L’année 2020 a été marquée par la propagation du SARS-CoV-2 à travers le monde entier. Ce contexte sanitaire inédit a complètement occulté l’évolution d’un autre pathogène potentiellement dangereux pour la santé publique : le virus H5N8, un sous-type du virus de la grippe A. S’il touche presque exclusivement les oiseaux pour le moment, il mute constamment et pourrait donc constituer un jour une nouvelle menace pour l’Homme.
Le virus H5N8 a été isolé pour la première fois chez un canard domestique, en Chine, en 2010. Il est classé comme un virus de grippe aviaire « hautement pathogène », ce qui signifie qu’il est particulièrement dévastateur chez les populations d’oiseaux ; en 2020, plusieurs épidémies de grippe H5N8 ont émergé dans plusieurs pays, conduisant à la mort ou à l’abattage de plusieurs millions d’oiseaux. Selon les virologues Weifeng Shi et George F. Gao, de plus en plus de régions sont touchées : on compte aujourd’hui des foyers épidémiques dans 46 pays.
La France est elle aussi concernée par l’épidémie depuis la mi-novembre 2020. À la date du 3 mai, le pays enregistrait 492 foyers de grippe aviaire hautement pathogène, principalement dans le sud-ouest ; 3,5 millions de volailles (canards) ont été abattues pour limiter la propagation du virus. Selon le ministère de l’Agriculture, le niveau de risque est passé d’« élevé » à « modéré » le 24 avril dernier. Mais la vigilance, en France comme dans d’autres pays, reste de mise.
Des mutations qui peuvent affecter la transmissibilité
Weifeng Shi et George F. Gao ont écrit un article dans la revue Science, pour avertir des dangers que représente ce virus H5N8. En effet, si ce dernier touche principalement plusieurs espèces d’oiseaux (des poulets et canards d’élevage, tout comme des oiseaux sauvages et migrateurs), il se trouve que des cas humains ont également été rapportés : au mois de décembre, un foyer de grippe aviaire détecté dans une ferme d’élevage en Russie a entraîné l’infection de sept personnes travaillant sur le site. C’est la première fois que le virus H5N8 est transmis à l’Homme.
Le phénomène n’est toutefois pas inédit pour les virus de la grippe aviaire. Il a déjà été rapporté que la majorité des clades et sous-clades du type H5Ny causaient des infections humaines, en particulier le clade 2.3.4, avec les sous-types H5N1 et H5N6. Shi et Gao précisent dans leur article qu’entre 2003 et 2020, 862 cas humains d’infection au H5N1 confirmés en laboratoire, dont 455 décès, ont été signalés à l’Organisation mondiale de la santé. Ainsi, le potentiel zoonotique des virus hautement pathogènes de type H5Ny justifie « une surveillance continue et vigilante pour éviter d’autres retombées qui pourraient entraîner des pandémies désastreuses », écrivent les virologues.
Les virus de grippe aviaire évoluent principalement via deux mécanismes : la dérive génétique à partir d’une ou plusieurs mutations ponctuelles et l’échange génétique par réassortiment des génomes segmentés. Tous deux peuvent donner naissance à de nouvelles formes virales, des variants, dotés de caractéristiques différentes qui peuvent affecter leur transmissibilité et leur pathogénicité.
La première souche décrite de virus H5Ny — le virus H5N1 — a été identifiée en Chine en 1996. Depuis, le sous-type H5 a évolué en divers clades et sous-clades ; le clade 2.3.4 étant le clade dominant depuis 2010. Isolé pour la première fois en Chine, le virus H5N8 s’est très rapidement répandu : en Corée du Sud et au Japon tout d’abord, puis en Russie et dans plusieurs autres pays européens, ainsi qu’aux États-Unis et au Canada, fin 2014. Non seulement les virus du clade 2.3.4 du sous-type H5 ont montré une propension à une propagation mondiale rapide chez les oiseaux migrateurs, mais il s’avère que ces virus sont en évolution constante ; ils peuvent notamment se réassortir génétiquement avec d’autres sous-types de virus de grippe aviaire, ce à quoi il faut être particulièrement vigilant.
Une préoccupation majeure pour la santé publique
La pandémie de COVID-19, mais surtout les mesures de prévention et de contrôle mises en place dans le monde entier pour freiner sa propagation, ont entraîné parallèlement une forte réduction de la propagation des virus de la grippe humaine saisonnière A et B l’année dernière. Mais au cours de la même période, plusieurs virus de grippe aviaire considérés comme hautement pathogènes — notamment les sous-types H5N1, H5N2, H5N5 et H5N8 — se sont répandus en Chine, en Afrique du Sud, en Europe, en Eurasie et ailleurs.
Ce qui est inquiétant, c’est qu’une étude publiée l’an dernier dans Reviews in Medical Virology, a révélé que les virus du clade 2.3.4 présentent des adaptations de liaison cellulaire particulières, qui pourraient présenter des risques plus importants pour la transmission humaine, qui elle-même pourrait potentiellement déboucher sur une transmissibilité interhumaine. Ainsi, les auteurs de cette étude expliquent qu’en raison du manque d’immunité de la population et de l’évolution continue du virus, il existe un risque persistant que les virus de ce clade provoquent une pandémie de grippe si la capacité d’une transmission efficace entre humains était acquise.
Pour les spécialistes, il est donc essentiel d’intensifier la surveillance des foyers épidémiques de grippe aviaire, afin de pouvoir agir au plus tôt. Shi et Gao soulignent que les régions géographiques touchées par des flambées de grippe dues au H5N8 ne cessent de s’étendre. De plus, l’une des protéines de ce virus, l’hémagglutinine, est le siège de plusieurs substitutions « préoccupantes », dont certaines améliorent la capacité de liaison aux récepteurs cellulaires humains. À cela s’ajoute la migration à longue distance des oiseaux sauvages… C’est pourquoi le sous-type H5N8 est devenu une préoccupation majeure non seulement pour l’aviculture et la sécurité de la faune, mais aussi pour la santé publique mondiale.
Les virologues précisent par ailleurs qu’une évaluation plus approfondie de la transmissibilité, de la pathogénicité et de l’antigénicité du virus H5N8 est nécessaire. Ils conseillent également d’améliorer les mesures de protection personnelle pendant la saison grippale, de se tenir à l’écart des oiseaux sauvages et d’éviter de les chasser ou de les manger.