Depuis l’apparition du SARS-CoV-2, plusieurs patients ont rapporté des symptômes neurologiques plus ou moins graves, et plus ou moins durables. Ces symptômes peuvent être très handicapants au quotidien, notamment en cas de COVID long. La manière dont ce virus accède au cerveau est peu claire. Une nouvelle étude met en évidence un mécanisme de propagation jusque-là inconnu : le virus induirait la formation de nanotubes pour se propager du nez jusqu’aux cellules neuronales.
Le SARS-CoV-2 cible principalement les voies respiratoires, mais dans certains cas, il affecte également d’autres organes, tels que l’intestin, le foie, les reins, le cœur et le cerveau. La manière dont le virus accède au cerveau et entraîne des symptômes neurologiques n’est pas claire, car la principale « porte d’entrée » du virus — le récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) — est à peine détectable dans les cellules du cerveau (contrairement aux cellules nasales et pulmonaires).
Comprendre comment le SARS-CoV-2 pénètre dans les cellules neuronales est essentiel pour comprendre (et traiter) les manifestations neurologiques associées à la COVID-19. Chiara Zurzolo, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, et son équipe ont découvert que le virus de la COVID-19 empruntait une tout autre voie pour pénétrer les cellules dépourvues du récepteur ACE2 : il tire profit d’une voie de communication intercellulaire appelée « tunneling nanotubes » (TNT) ou « nanotubes à effet tunnel ».
Une voie directe de propagation virale
Les TNT sont de minuscules tunnels, de quelques dizaines de nanomètres de diamètre, qui permettent à au moins deux cellules d’échanger des ions, des organites entiers… et même des virus ! En 2016, l’équipe de Chiara Zurzolo avait montré que les TNT jouaient même un rôle dans la propagation intercellulaire des protéines amyloïdes pathogènes impliquées dans les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Les chercheurs n’ont cessé d’étudier le fonctionnement de ces nanotubes depuis lors, afin d’éclaircir leur implication dans la propagation de certains virus et bactéries dans l’organisme.
Face aux conséquences neurologiques d’une infection au SARS-CoV-2, ils ont ainsi émis l’hypothèse que le virus pourrait aussi utiliser les TNT pour se propager des cellules permissives aux cellules moins permissives (dépourvues du récepteur membranaire ACE2) — et échapper à la surveillance immunitaire par la même occasion.
Pour tester cette hypothèse, ils ont cultivé des cellules neuronales (non permissives à l’infection par la voie endocytaire) en présence de cellules épithéliales infectées (permissives) ; le modèle de cellules neuronales utilisé (nommé SH-SY5Y) est un modèle dont les TNT ont été caractérisés et sont identifiables avec une grande fiabilité, précise l’équipe dans Science Advances.
En examinant leurs cultures cellulaires par microscopie confocale, ils ont découvert que les cellules neuronales peuvent être infectées par un mécanisme médié par les TNT lorsqu’elles sont co-cultivées avec des cellules épithéliales permissives infectées. « Après 24 heures de coculture, 36,4% des cellules acceptrices contenaient des taches reconnues par l’anticorps anti-N [ndlr : un anticorps spécifique de la protéine N du SARS-CoV-2] dans leur cytoplasme, et ce pourcentage est passé à 62,5% après 48 heures », rapportent les chercheurs.
Une structure cellulaire détournée de ses fonctions
Les chercheurs ont constaté que le virus présent dans les cellules épithéliales (représentatives des cellules qui tapissent la paroi nasale), stimulait la formation de nanotubes de manière à ce que ces derniers établissent des connexions avec les cellules neuronales en présence (que le virus ne pouvait infecter seul). Il les détourne ensuite de leurs fonctions initiales, telles que le transfert de lipides et de protéines, pour s’y engouffrer.
Les capacités de zoom de leur instrument d’observation leur ont même permis d’observer le virus transiter de l’une à l’autre cellule : « De multiples structures vésiculaires telles que des vésicules à double membrane, sites de réplication virale, sont observées à l’intérieur des TNT entre cellules permissives et non permissives », écrivent-ils. Ils ont également détecté des protéines liées à la machinerie cellulaire que le virus utilise pour se répliquer.
En résumé, non seulement le SARS-CoV-2 a trouvé le moyen d’envahir des cellules dans lesquelles il ne pouvait pénétrer par la voie classique, mais ce mécanisme améliore la propagation du virus entre les cellules permissives, en plus de la voie endocytaire. À noter que ce n’est pas le seul virus à contrôler les cellules de cette manière : le VIH et le virus de la grippe exploitent eux aussi les TNT pour se déplacer de cellule en cellule. Ces nanotubes pourraient par ailleurs être à l’origine du Covid long : dissimulé à l’intérieur, le virus peut en effet éviter les anticorps et persister plus longtemps dans l’organisme.
Il s’agit là d’une expérience réalisée in vitro, sur des modèles cellulaires, et d’autres études seront nécessaires pour confirmer que c’est ce même mécanisme qui intervient dans le cerveau humain. Mais si ce mode d’action se confirme, l’équipe de Zurzolo estime possible de développer des médicaments permettant de bloquer la formation des nanotubes ou de les sectionner.