Des « virus zombies » emprisonnés depuis des millénaires dans le pergélisol arctique pourraient bientôt être libérés et provoquer de nouvelles pandémies, alertent les scientifiques. Cela serait à la fois attribué à la fonte des glaces due au réchauffement climatique et à l’expansion des activités humaines dans la région. En prévision, un réseau de surveillance est désormais en cours de planification pour identifier et isoler les premiers cas éventuels d’infections qui pourraient y être liés.
Le pergélisol arctique englobe près d’un cinquième de l’hémisphère Nord. Les conditions à l’intérieur de son sol ont contribué à conserver du matériel biologique pendant des centaines de milliers d’années. Cependant, en raison de la hausse des températures mondiales, les pergélisols subissent actuellement des changements disproportionnés.
Selon les scientifiques, leur fonte pourrait avoir des conséquences microbiologiques majeures. En effet, au-dessus des températures de congélation, l’eau liquide peut engendrer la réactivation métabolique de nombreux micro-organismes (bactéries, champignons, archées, virus, …) piégés. Sans compter que la matière organique précédemment emprisonnée dans la glace serait ensuite exposée à la décomposition, libérant ainsi du CO2 et du méthane supplémentaires dans l’atmosphère.
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Toutefois, la libération et la réactivation des microorganismes longtemps restés en cryptobiose dans le pergélisol profond sont dans l’immédiat plus inquiétantes en raison des risques pour la santé publique. Ces agents pathogènes — dont les virus sont surnommés à juste titre « virus zombies » — pourraient engendrer de nouvelles épidémies (voire des pandémies) auxquelles notre système immunitaire n’aura peut-être jamais été exposé.
D’un autre côté, les études concernant les maladies à tendance épidémique sont pour la plupart concentrées sur celles provenant de l’hémisphère sud et pouvant se propager vers le nord. « En revanche, peu d’attention a été accordée à une épidémie qui pourrait apparaître dans l’extrême nord et se propager ensuite vers le sud », a déclaré à The Gardian Jean-Michel Claverie, généticien à l’Université d’Aix-Marseille. Or, bien que nous ne sachions pas précisément quels pathogènes sont emprisonnés dans le pergélisol arctique, il existerait un risque réel qu’au moins l’un d’eux puisse déclencher une épidémie, comme une ancienne forme de polio ou de peste, par exemple.
Une menace accélérée par l’expansion des activités humaines
En 2014, Claverie et ses collègues ont isolé des virus vivants prélevés dans le pergélisol de 7 sites différents en Sibérie. L’étude — dont une récente mise à jour est disponible dans la revue Viruses — fait état de nouvelles souches de virus zombies précédemment non répertoriées. Au total, 13 génomes viraux ont été détectés, tous conservant leur capacité à devenir infectieux même après des milliers d’années de cryogénie. La souche la plus ancienne détectée est le Pandoravirus yedoma, datant de 48 500 ans.
Bien que les virus isolés dans le cadre de l’étude ne pouvaient infecter que des organismes unicellulaires (des amibes), ceux enfouis plus profondément dans le pergélisol pourraient présenter des risques pour les humains. En effet, les chercheurs ont également détecté dans leurs échantillons des traces génomiques de poxvirus et d’herpèsvirus, connus pour infecter les humains.
D’autres groupes de recherche ont également signalé la présence de souches de Clostridium, certains étant responsables de graves intoxications alimentaires. En outre, le pergélisol profond pourrait abriter des souches vieilles de plus d’un million d’années, soit plus anciennes que notre lignée. « Notre système immunitaire n’a peut-être jamais été en contact avec certains de ces microbes, et c’est une autre inquiétude », explique Claverie. « Le scénario d’un virus inconnu ayant infecté les néandertaliens et revenant vers nous, bien que peu probable, est devenu un risque réel », ajoute-t-il.
Par ailleurs, l’expansion de l’activité humaine pourrait libérer ces anciens pathogènes de manière plus directe que la fonte du pergélisol. La diminution de la banquise arctique a notamment provoqué le développement du transport maritime dans des régions auparavant très peu desservies. Cela a permis de développer l’industrialisation et l’urbanisation dans ces zones, sans compter l’extension des exploitations minières. Les mineurs seraient ainsi les premiers exposés à ces pathogènes et pourraient contribuer à leur tour à les propager sur des régions plus vastes.
Il est important de savoir que les changements dans l’utilisation des terres ont à plusieurs reprises contribué à la dynamique des épidémies dans le monde. La destruction anthropique des habitats des chauves-souris frugivores a par exemple déclenché la propagation du virus Nipah en Asie (infectant le système nerveux et respiratoire). L’urbanisation en Afrique est également associée à la propagation de la variole du singe. Des scénarios similaires seraient désormais sur le point d’être enclenchés en Arctique. En 2016, les étés sibériens exceptionnellement chauds ont par exemple déjà provoqué des dégels qui ont libéré de vieilles souches de Bacillus anthracis (responsable de la maladie du charbon) provenant d’anciennes sépultures et de carcasses d’animaux. Cela a conduit à l’abattage de près de 200 000 rennes et au décès d’un humain.
Dans le but d’anticiper au mieux les risques, Claverie et ses collègues de l’Université de l’Arctique travaillent désormais sur un réseau de surveillance permettant de détecter les premiers cas d’éventuelles infections par des virus zombies ou autres pathogènes anciens. Des installations de quarantaine ainsi qu’une expertise médicale spécialisée sont également prévues. D’autre part, bien que des protocoles de sécurité soient mis en place pour l’étude de ces pathogènes, les chercheurs devront également redoubler de vigilance afin d’éviter tout accident de propagation. « Nous sommes désormais confrontés à une menace tangible et nous devons être prêts à y faire face », conclut Claverie.