Désorientation dans le temps et dans l’espace, difficultés à se faire comprendre et perte de coordination motrice sont généralement les principaux symptômes précédant le diagnostic de démence. Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 55 millions de personnes dans le monde en sont atteintes. Le diagnostic précoce de la démence est essentiel pour retarder le développement de la maladie, qui reste incurable à ce jour. Dans cette optique, des chercheurs britanniques ont découvert que des troubles de la sensibilité visuelle peuvent permettre de déceler la démence jusqu’à 12 ans avant son diagnostic.
Depuis longtemps, les scientifiques recherchent des marqueurs fiables en mesure de prédire l’apparition de la démence. Récemment, des chercheurs de l’Université de Loughborough et de Cambridge, au Royaume-Uni, ont découvert qu’une baisse de la capacité de traitement visuel peut permettre l’identification de la démence des années avant la manifestation des premiers symptômes cliniques. Pour y parvenir, l’équipe s’est basée sur les données cliniques de 8623 personnes en bonne santé qui ont participé volontairement à l’étude EPIC-Norfolk au Royaume-Uni et qui ont été suivies pendant plusieurs années.
Au début de l’étude, les participants ont été soumis à un test de sensibilité visuelle (VST) où chacun devait réagir en fonction de l’apparition d’une source lumineuse. Les volontaires devaient par la suite appuyer sur un bouton dès qu’ils voyaient un triangle se former dans un champ de points en mouvement. Le but était de mesurer la vitesse de traitement visuel de chacun. Au cours de cette évaluation, les chercheurs ont constaté qu’un groupe de participants mettait plus de temps à identifier le triangle sur l’écran. Par la suite, 537 de ces participants ont été diagnostiqués avec une démence. « La vitesse réduite de traitement visuel complexe est significativement associée à une forte probabilité d’un futur diagnostic de démence », affirment les chercheurs dans un communiqué publié sur The Conversation.
Alzheimer : des zones cérébrales liées à la vision précocement altérées
D’après les observations de l’équipe de recherche, dirigée par le Dr Bedge, le risque de démence future est 1,56 fois plus élevé chez les personnes montrant un VST complexe plus faible. D’ailleurs, les auteurs de l’étude, récemment publiée dans la revue Scientific Reports, affirment que « les problèmes visuels peuvent être un indicateur précoce du déclin cognitif, car les plaques amyloïdes toxiques associées à la maladie d’Alzheimer peuvent d’abord affecter les zones du cerveau associées à la vision, avec les parties du cerveau associées à la mémoire qui se détériorent au fur et à mesure que la maladie progresse ».
En plus d’un VST faible, d’autres aspects du traitement visuel peuvent être affectés par la maladie d’Alzheimer. La capacité à voir les contours des objets et à discerner des couleurs (surtout le spectre bleu-vert) serait également altérée. Les chercheurs ont également constaté qu’un déficit dans le contrôle inhibiteur des mouvements oculaires (les stimuli distrayants retiennent plus facilement l’attention) est un autre signe précoce de la maladie d’Alzheimer. « Si la démence rend plus difficile le contournement des stimuli distrayants, alors ces problèmes pourraient augmenter le risque d’accident de conduite – un sujet que nous étudions actuellement à l’Université de Loughborough », poursuivent les auteurs de l’étude.
Le Dr Bedge et son équipe affirment également disposer de données similaires confirmant que les personnes atteintes de démence ont une certaine difficulté à traiter les nouveaux visages. Une personne en bonne santé « scanne » le visage de son interlocuteur en partant des yeux et jusqu’à la bouche, en passant par le nez. Un individu souffrant de démence en revanche ne suit pas ce schéma. En d’autres termes, ses yeux ne bougent pas efficacement pour scruter et analyser l’environnement et les objets.
Un avenir encore incertain pour le diagnostic de la démence ?
Ce n’est pas la première fois que les scientifiques s’intéressent au rapport entre la vision et le diagnostic de la démence. Selon les auteurs de l’étude EPIC-Norfolk, des recherches antérieures ont déjà mis en lumière une potentielle association entre la déficience visuelle et le risque de démence. Toutefois, l’équipe souhaite effectuer des études plus poussées, car les travaux réalisés récemment sont limités.
L’accès aux technologies de suivi oculaire, coûteuses et nécessitant une formation pour être utilisées et interprétées correctement, représente également un obstacle pour ce type d’étude. « Jusqu’à ce que des dispositifs de suivi oculaire moins chers et faciles à utiliser soient disponibles, l’utilisation des mouvements oculaires comme outil de diagnostic de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce n’est pas possible en dehors du laboratoire », concluent-ils.