Moins médiatisée que le calcium ou les vitamines C et D, la vitamine B12 joue pourtant un rôle essentiel dans le maintien de la santé, en particulier celle du cerveau. Considérés comme normaux lorsqu’ils oscillent entre 200 et 900 pmol/mL, les niveaux sanguins de vitamine B12 sont associés à un apport journalier recommandé de 2,4 µg chez l’adulte. Cependant, une étude récente menée par des chercheurs américains met en évidence une problématique sous-estimée : ces seuils jugés « normaux » pourraient ne pas être suffisants pour prévenir le déclin neurologique et cognitif associé à la carence en B12. Ces résultats incitent donc à reconsidérer les recommandations actuelles et à envisager une supplémentation, notamment chez les personnes âgées.
Également appelée cobalamine, la vitamine B12 est une molécule complexe et volumineuse, essentielle au bon fonctionnement de l’organisme. Présente principalement dans les produits d’origine animale, la levure alimentaire, certains fruits secs et les aliments enrichis, elle possède un noyau avec un atome de cobalt, à l’origine de son nom et de sa couleur rouge-rosée. Cet atome joue également un rôle central dans ses propriétés biochimiques.
La vitamine B12 intervient dans de nombreux processus physiologiques clés : la synthèse de l’ADN, la formation des globules rouges, le métabolisme énergétique et le maintien des cellules nerveuses. Une carence peut entraîner des problèmes graves, tels que l’anémie mégaloblastique, des dégénérescences nerveuses comme la dégénérescence combinée subaiguë de la moelle épinière (DCS), des troubles cognitifs, des pertes de mémoire, voire la démence et des symptômes psychotiques. Des recherches antérieures ont déjà montré que la supplémentation en vitamine B12 peut ralentir l’atrophie cérébrale chez les personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers (TCL).
Un taux de vitamine B12 dans la norme peut néanmoins être insuffisant
Dans une étude menée par des chercheurs de l’Université de Californie à San Francisco, a été exploré le lien entre la vitamine B12 et la dégradation cognitive. D’après les résultats, publiés dans la revue Annals of Neurology le 10 février 2025, les chercheurs ont constaté que les personnes âgées ayant des taux biologiquement actifs plus faibles présentaient un ralentissement du traitement cognitif et davantage de lésions de la substance blanche, même lorsque leurs taux de B12 étaient considérés comme normaux.
Selon le Dr Ari J. Green, neurologue et auteur principal de l’étude, les critères actuels pourraient ne pas suffire à détecter les signes précoces d’un déficit fonctionnel en B12. « Les études précédentes qui définissaient des quantités saines de B12 peuvent avoir manqué des manifestations fonctionnelles subtiles de niveaux élevés ou faibles qui peuvent affecter les gens sans causer de symptômes apparents », a déclaré Green dans un communiqué. Il a ajouté : « Revoir la définition de la carence en B12 en y intégrant des biomarqueurs fonctionnels pourrait permettre d’intervenir plus tôt et de prévenir le déclin cognitif ».
Pour arriver à cette conclusion, Green et son équipe ont réalisé une étude portant sur 231 adultes en bonne santé, d’un âge médian de 71 ans, issus du Brain Aging Network for Cognitive Health (BrANCH) du Memory and Aging Center de l’UCSF. Tous les participants ont passé des tests annuels de performance cognitive et neurologique, ainsi que des IRM cérébrales, afin de détecter d’éventuelles inflammations, lésions axonales ou maladies amyloïdes.
Les participants présentaient un taux moyen de vitamine B12 de 414,8 pmol/L, soit largement au-dessus du seuil minimal de 148 pmol/L fixé aux États-Unis. Pourtant, en analysant uniquement la forme biologiquement active de la vitamine B12 (celle utilisable par l’organisme), les chercheurs ont observé des effets néfastes chez ceux qui en avaient les niveaux les plus faibles. Lors des tests cognitifs, ces derniers affichaient une vitesse de traitement visuel plus lente, une transmission des signaux électriques du cerveau ralentie et des réponses retardées aux stimuli visuels. Ces altérations étaient d’autant plus marquées chez les participants plus âgés.
Pour confirmer ces observations, les chercheurs ont analysé les imageries cérébrales de chaque participant et ont découvert que des lésions plus étendues de la substance blanche étaient relevées chez les sujets ayant un faible taux de B12 active, un phénomène fréquemment associé à un risque accru de démence, de maladie d’Alzheimer et d’accident vasculaire cérébral.
Vers une redéfinition des seuils de carence en vitamine B12 ?
Bien que l’étude ne précise pas quels devraient être les nouveaux seuils de vitamine B12 à viser, elle souligne l’intérêt d’adopter des biomarqueurs fonctionnels pour déterminer les besoins réels. Comme l’explique Alexandra Beaudry-Richard, co-auteure de l’étude : « Ces niveaux inférieurs de vitamine B12 pourraient avoir un impact sur la cognition dans une plus grande mesure que nous le pensions auparavant, et toucher une proportion bien plus importante de la population ».
En attendant de nouvelles recherches, les auteurs recommandent une surveillance des niveaux de vitamine B12 chez les personnes âgées et considèrent que la supplémentation pourrait être un levier préventif efficace contre le déclin cognitif. « En fin de compte, nous devons investir davantage dans la recherche sur la biologie sous-jacente de l’insuffisance en vitamine B12, car elle peut être une cause évitable de déclin cognitif », conclut Beaudry-Richard.