Les facteurs de risque traditionnels et comportementaux (l’hypertension, une faible activité physique, etc.) de l’accident vasculaire cérébral (AVC) sont connus et étayés, contrairement à l’influence que peut avoir l’environnement. En effet, les données sont limitées et parfois incohérentes. Récemment, une équipe de chercheurs espagnols a réalisé la plus grande étude populationnelle à ce jour, dans le but de déterminer l’existence ou non d’une association entre notre environnement de vie et le risque d’AVC. Les résultats sont clairs : vivre près d’espaces verts, avec moins de polluants atmosphériques, réduit le risque jusqu’à 16%. Explications.
Un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, également appelé « attaque cérébrale », survient lorsque la circulation sanguine vers ou dans le cerveau est interrompue par un vaisseau sanguin bouché.
Le poids de l’accident vasculaire cérébral dans le monde s’alourdit depuis 30 ans. Entre 1990 et 2019, l’incidence a augmenté de 70% (12,2 millions en 2019), la prévalence a augmenté de 85% (101 millions), et les décès par AVC de 43% (6,5 millions). Il s’agit de la deuxième cause de mortalité dans le monde (la 4e dans les pays industrialisés), la deuxième cause de démence (après Alzheimer) et la première cause de handicap moteur acquis chez l’adulte. Toutes les 6 secondes, une personne dans le monde est victime d’un AVC. Face à ce constat, l’OMS parle de pandémie d’ici 2030. Effectivement, le coût humain et le poids financier de cette affection menacent de s’alourdir avec le vieillissement de la population.
Avec plus de 75% de la population européenne vivant dans des zones urbaines, il est important d’identifier comment les risques liés à ces zones, tels que la pollution de l’air ou l’accès limité aux environnements naturels, contribuent au fardeau des accidents vasculaires cérébraux.
Des études antérieures ont établi des liens entre pollution de l’air et risque d’AVC, mais les sujets d’étude étaient hors Europe et les données remontent à plus de dix ans. Les concentrations atmosphériques de polluants et nos environnements de vie ont considérablement changé. Une mise à jour et des résultats plus robustes sont nécessaires face à cette pathologie. C’est dans ce contexte que l’équipe de C. Avellaneda-Gómez et al., a effectué ses recherches. Les résultats sont publiés dans la revue Environment International.
Une étude de grande ampleur
L’étude résulte d’un travail conjoint entre l’Institut de recherche médicale de l’Hôpital del Mar, de l’Agence catalane d’évaluation et de qualité de la Santé (AQuAS) du ministère de la Santé du gouvernement catalan et de l’Institut de Santé mondiale de Barcelone (ISGlobal). Elle rassemble le plus grand jeu de données, à ce jour en Europe, concernant les facteurs de risque de l’AVC ischémique. Pour ce faire, les chercheurs ont sélectionné leurs données sur l’ensemble de la population de la Catalogne entre 2016 et 2017, via le Registre central des assurés de Catalogne. Ce dernier recueille des informations sociodémographiques et permet d’établir des liens entre plusieurs bases de données de l’administration de la santé, fournissant des informations détaillées sur la comorbidité.
Plus de trois millions et demi de personnes ont ainsi été sélectionnées, âgées de plus de dix-huit ans et n’ayant pas subi d’accident vasculaire cérébral avant le début de l’étude. L’équipe a couplé ce jeu d’informations avec celui sur l’exposition à trois polluants atmosphériques liés à la circulation des véhicules : les particules fines de moins de 2,5 microns (PM 2,5), le dioxyde d’azote (NO2) et le carbone noir (BC), c’est-à-dire la suie. Enfin, le nombre et la densité des espaces verts dans un rayon de 300 mètres autour de leur habitation ont aussi été pris en compte.
Pollution atmosphérique : perturbateur du cerveau
Les résultats de l’étude sont sans appel : plus la pollution atmosphérique est importante, plus le risque de subir un AVC ischémique augmente. En effet, les chercheurs ont mis en évidence un lien entre AVC et concentration de dioxyde d’azote (NO2). Pour la suie et les particules fines, des conclusions similaires semblent émerger, même si elles étaient plus sensibles aux méthodes d’analyse statistique effectuées. L’équipe a établi que le risque d’AVC croît de 4%, pour chaque augmentation de 10 microgrammes (µg) par mètre cube de NO2, ou de 5 µg/m3 pour les PM 2,5. Dans le cas des particules de suie, le risque évolue de 5% pour chaque augmentation de 1 µg/m3 dans l’atmosphère. Ces chiffres sont les mêmes pour l’ensemble de la population, quels que soient les autres facteurs socio-économiques, l’âge ou les habitudes tabagiques.
Cathryn Tonne, chercheuse à ISGlobal et co-auteure de l’étude, explique dans un communiqué : « Il convient de garder à l’esprit que, contrairement aux autres polluants atmosphériques, qui ont des sources diverses, le NO2 est principalement causé par le trafic routier. Par conséquent, si nous voulons vraiment réduire les risques multiples que ce polluant fait peser sur la santé des personnes, nous devons mettre en place des mesures audacieuses pour réduire l’utilisation des voitures ».
D’ailleurs, l’exposition à la pollution de l’air ambiant peut entraîner plusieurs changements physiopathologiques liés à l’AVC, tels qu’une inflammation systémique, une progression accélérée de l’athérosclérose et une prédisposition aux arythmies cardiaques. Des études antérieures du même groupe avaient déjà fourni des preuves sur la relation entre des facteurs tels que les niveaux de suie ou de bruit et le risque de subir un accident vasculaire cérébral et sa gravité. Tous ces éléments et changements agissent comme des déclencheurs d’AVC.
Les arbres et les plantes, protecteurs de notre santé ?
Néanmoins, les facteurs de risque d’AVC peuvent être amoindris, dans une certaine mesure, par la présence d’espaces verts autour du lieu de vie. Les scientifiques ont déterminé que le risque de subir un AVC était réduit de 16% chez les personnes vivant dans un environnement proche de la nature, à moins de 300 mètres. D’ailleurs, d’après Pascal Mittermaier, chargé de la place de la nature au sein des villes pour l’ONG Nature Conservancy, qui a publié en 2016 un rapport sur le rôle des arbres urbains pour contrer la pollution de l’air et les trop fortes chaleurs, si les arbres permettent de réduire la concentration de particules, c’est essentiellement dans un rayon de 300 mètres autour d’eux.
De manière générale, l’exposition aux espaces verts est considérée comme ayant des effets bénéfiques à travers une variété de mécanismes, tels que la réduction du stress, l’augmentation de l’activité physique et des contacts sociaux, et même l’exposition à un microbiome enrichi. Les espaces verts peuvent également atténuer l’exposition à la pollution de l’air. En effet, les arbres, par exemple, ont un effet direct sur les particules en suspension dans l’atmosphère. La surface des feuilles des arbres retient notamment les particules fines, qui sont les plus toxiques pour nos poumons. De plus, les feuilles jouent un rôle de filtre en absorbant certains gaz polluants par leurs stomates, et en rejetant de l’oxygène.
Cependant toutes les plantes n’agissent pas ainsi, certains arbres rejettent même des composés organiques volatils dans l’air, pouvant jouer sur notre santé. Et tout comme nous, une quantité trop importante de particules atmosphériques est nocive pour eux. Par exemple, les particules grasses de diesel bouchent les pores des feuilles. La plante respire mal et sa photosynthèse est perturbée, impactant sa croissance et sa survie. Il en résulte alors que nous devons commencer par moins polluer, sous peine de détruire les filtres naturels que sont les arbres.
Le Dr Carla Avellaneda, chercheuse du groupe de recherche neurovasculaire de l’IMIM-Hospital del Mar, co-auteur déclare : « L’étude démontre l’importance des déterminants environnementaux dans le risque d’AVC. Étant donné qu’il est prévu que l’incidence, la mortalité et l’invalidité attribuées à la maladie augmenteront dans les années à venir, il est important de comprendre tous les facteurs de risque impliqués ».
Des normes européennes trop larges
Au vu de ces données, les chercheurs soulignent qu’il est nécessaire de réfléchir aux niveaux actuels de pollution atmosphérique considérés comme sûrs. De fait, cette étude fournit de nouvelles preuves d’associations positives entre la pollution de l’air ambiant, en particulier le NO2, à des niveaux inférieurs aux normes européennes et le risque d’AVC.
Actuellement, les seuils fixés par l’Union européenne sont de 40 µg/m3 pour le NO2, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) réduit à 10 µg/m3, et de 25 µg/m3 pour les PM 2,5, que l’OMS limite à 5 µg/m3. Actuellement, aucun niveau n’a été fixé pour les particules de suie.
Le Dr Jaume Roquer, chef du service de neurologie de l’hôpital del Mar et coordinateur du groupe de recherche neurovasculaire de l’IMIM-Hospital del Mar, souligne : « Compte tenu des effets de la pollution atmosphérique, du manque d’espaces verts, du bruit, etc., davantage d’efforts et de stratégies populationnelles sont nécessaires pour réduire son impact. Ses effets néfastes sont durablement et globalement dommageables. Nous devons nous efforcer de concevoir des villes et des cités plus durables où vivre ne signifie pas un risque accru de maladie ».
L’augmentation du fardeau des accidents vasculaires cérébraux à l’échelle mondiale suggère que les stratégies actuelles de prévention des AVC ne sont pas suffisantes. Cette étude prospective apporte de nouvelles preuves et connaissances soutenant le rôle important de l’environnement physique et naturel sur les AVC. C’est une nouvelle voie qui s’ouvre quant à la prévention primaire des AVC, en prônant une place plus importante des végétaux dans les zones urbaines, et une révision simultanée des seuils acceptables des polluants atmosphériques. D’autres études sont nécessaires pour comprendre les mécanismes sous-jacents liant la nature et l’incidence des accidents vasculaires cérébraux.