Chaque année, environ 15% des personnes tuées sur les routes françaises sont des piétons. Les problèmes de visibilité réciproque et d’anticipation entre les piétons et les conducteurs sont en grande partie responsables, ce qui pose un réel questionnement en matière de sécurité à l’heure des voitures autonomes sans conducteur. Récemment, une équipe de chercheurs japonais a développé un concept de voiture « regardante » avec des yeux robotiques, permettant au piéton d’appréhender le comportement de la voiture. Cette innovation pourrait équiper les futures voitures autonomes, reste à définir le design.
Le développement des véhicules autonomes nous amène rapidement vers une ère nouvelle du transport. Qu’il s’agisse de livrer des colis, de labourer des champs ou de transporter des personnes au sein d’un campus, de nombreuses recherches sont en cours afin de mettre en œuvre de manière concrète ce concept, tout en assurant la sécurité routière.
Mais l’une des principales différences entre les véhicules ordinaires et autonomes est que les conducteurs de ces derniers peuvent devenir davantage des passagers, de sorte qu’ils ne prêtent plus toute leur attention à la route, ou qu’il n’y a peut-être tout simplement personne au volant. Il est donc difficile pour les piétons d’évaluer si un véhicule a remarqué leur présence ou non, car il peut n’y avoir aucun contact visuel ou indication des personnes à l’intérieur.
C’est pourquoi des chercheurs de l’Université de Tokyo ont étudié plus précisément cette préoccupation touchant la relation même à la voiture autonome, qui devrait être plus « humaine ». Ils voulaient trouver une méthode permettant d’informer les piétons lorsqu’un véhicule autonome les a remarqués et a l’intention de s’arrêter, ou s’il ne les a pas vus et donc ne s’arrêtera pas à leur passage. Un article sur leur recherche a été présenté lors de la 14e Conférence internationale sur les interfaces utilisateur automobiles et les applications interactives pour véhicules.
Une voiture toute droit sortie d’un dessin animé
Afin de pallier le problème de « connexion » entre la voiture et le piéton, les chercheurs ont équipé une voiturette de golf autonome de deux grands yeux robotiques actionnés manuellement par le conducteur, à l’image d’une voiture de dessin animé. Étant muni d’un film réchléchissant sans tain sur le pare-brise, l’intérieur du véhicule échappait à la vue des piétons, donnant l’impression qu’il n’y avait pas de conducteur. Les chercheurs l’ont appelée « The Gazing Car » (la voiture regardante). Ils voulaient tester si mettre des yeux mobiles sur le véhicule affecterait le comportement risqué des gens, c’est-à-dire si les gens traverseraient toujours la route devant un véhicule en mouvement lorsqu’ils étaient pressés.
Takeo Igarashi, de la Graduate School of Information Science and Technology, déclare dans un communiqué : « Il n’y a pas suffisamment d’enquêtes sur l’interaction entre les voitures autonomes et les personnes qui les entourent, comme les piétons. Nous avons donc besoin de plus d’investigations et d’efforts sur une telle interaction pour apporter sécurité et assurance à la société concernant les voitures autonomes ».
L’équipe a mis en place quatre scénarios, deux où le véhicule avait des yeux et deux où il n’en avait pas. Soit la voiture avait remarqué le piéton et avait l’intention de s’arrêter, soit elle ne l’avait pas remarqué et continuait à rouler. Lorsqu’elle était équipée des yeux, ces derniers regardaient soit vers le piéton, pour signifier « Je vais m’arrêter », soit ailleurs, signifiant « Je ne vais pas m’arrêter ».
De manière pratique, 18 volontaires — neuf femmes et neuf hommes, âgés de 18 à 49 ans, tous japonais — ont participé à l’étude. Les auteurs ont décidé de tester leur attitude grâce à la réalité augmentée, pour ne pas faire prendre de risque en situation réelle.
C’est ainsi que l’équipe a enregistré les scénarios à l’aide de caméras vidéo à 360 degrés. Grâce à la réalité augmentée, les volontaires ont expérimenté, en toute sécurité, les scénarios 40 fois dans un ordre aléatoire et ont eu trois secondes à chaque fois pour décider s’ils traverseraient ou non la route devant le véhicule. Les chercheurs ont enregistré leurs choix et mesuré les taux d’erreur, c’est-à-dire la fréquence à laquelle ils ont choisi de s’arrêter alors qu’ils auraient pu traverser et la fréquence à laquelle ils ont traversé alors qu’ils auraient dû attendre.
Des résultats différents entre les hommes et les femmes
Après analyse des résultats, une nette différence de réactions apparait entre les sexes. Chia-Ming Chang, chargée de cours et membre de l’équipe de recherche explique : « Bien que d’autres facteurs comme l’âge et les antécédents aient également influencé les réactions des participants, nous pensons que c’est un point important, car cela montre que différents usagers de la route peuvent avoir des comportements et des besoins différents, qui nécessitent des moyens de communication différents dans notre futur monde de conduite autonome ».
Concrètement, ce sont les hommes qui ont pris le plus grand nombre de décisions dangereuses pour traverser la route (c’est-à-dire choisir de traverser lorsque la voiture ne s’arrêtait pas), mais ces erreurs ont été réduites par le regard du véhicule. Du côté des femmes, les auteurs soulignent qu’elles ont pris des décisions inefficaces. En d’autres termes, elles ont choisi de ne pas traverser lorsque la voiture avait l’intention de s’arrêter. Mais ces erreurs ont également été réduites par le regard du véhicule.
Cependant, la présence des yeux n’a pas changé de manière pertinente les réactions des hommes dans les situations sans danger (c’est-à-dire choisir de traverser quand la voiture allait s’arrêter) ni celles des femmes dans les situations dangereuses. En effet, elles ne traversaient pas que le véhicule ait des yeux ou non. Les auteurs concluent que les yeux entraînent une traversée plus fluide ou plus sûre pour tout le monde.
Une réaction induite par une voiture humanisée
Les auteurs se sont alors demandé ce que les yeux ont fait ressentir aux participants, pour expliquer les différents résultats obtenus. Les sentiments sont tout aussi mitigés que les réactions mentionnées précédemment.
Ainsi, certains volontaires les trouvaient (les yeux) mignons, tandis que d’autres les voyaient comme effrayants. Pour de nombreux participants masculins, lorsque les yeux étaient détournés, ils ont déclaré avoir le sentiment que la situation était plus dangereuse. Pour les femmes, lorsque les yeux les regardaient, beaucoup ont dit qu’elles se sentaient plus en sécurité.
Igarashi déclare : « Nous nous sommes concentrés sur le mouvement des yeux, mais n’avons pas prêté trop d’attention à leur conception visuelle dans cette étude particulière. Nous avons fait au plus simple pour minimiser les coûts de conception et de construction en raison des contraintes budgétaires. À l’avenir, il serait préférable qu’un concepteur de produits professionnel trouve le meilleur design, mais il serait probablement encore difficile de satisfaire tout le monde ».
L’équipe reconnaît que cette étude est limitée par le petit nombre de participants jouant un seul scénario. Il est également possible que les gens fassent des choix différents en réalité virtuelle par rapport à la vie réelle. Cependant, le changement d’ère qui se profile pour l’avenir, avec ces voitures autonomes, nécessite des points de sécurité supplémentaires et la mise en œuvre de telles études permettra de rendre plus sûr l’usage des routes pour tous les usagers, qu’ils soient motorisés ou non.
Les chercheurs soulignent : « À l’avenir, nous aimerions développer un contrôle automatique des yeux robotiques connectés à l’IA autonome (au lieu d’être contrôlé manuellement), qui pourrait s’adapter à différentes situations ».