Une étude suggère que le fromage pourrait favoriser les cauchemars, comme le veut le vieil adage populaire. Portant sur plus de 1 000 étudiants, l’enquête indique qu’une consommation excessive de produits laitiers est susceptible de perturber le sommeil, et que l’intolérance au lactose est plus souvent associée à des rêves angoissants — probablement en raison des troubles gastro-intestinaux qui l’accompagnent.
Depuis plusieurs siècles, une croyance populaire veut que l’alimentation influence le sommeil et le contenu des rêves. Une intuition largement relayée par la culture populaire, où abondent récits et anecdotes en ce sens. Ainsi, au début du XXᵉ siècle, le dessinateur Winsor McCay publiait une série dans laquelle ses personnages vivaient des songes inquiétants après avoir mangé du Welsh rarebit — une épaisse sauce au fromage servie sur du pain grillé — juste avant de se coucher. De quoi renforcer l’idée que le fromage pourrait donner des cauchemars.
Mais les données scientifiques appuyant cette croyance restent rares. Certaines études ont observé que les adeptes d’une alimentation biologique déclaraient faire plus de rêves agréables et récurrents, tandis que ceux qui privilégiaient la malbouffe évoquaient davantage de cauchemars ou se souvenaient peu de leurs rêves. Une autre enquête a mis en relation la consommation de fruits et de poissons avec les rêves lucides et leur rémanence, et les aliments riches en glucides avec une fréquence accrue de cauchemars.
Cependant, après ajustement pour des variables telles que l’âge ou la personnalité, ces liens s’affaiblissent nettement, empêchant toute conclusion définitive. C’est dans ce contexte que des chercheurs, codirigés par l’Université de Montréal, ont voulu explorer plus en profondeur les interactions possibles entre alimentation, sommeil et tonalité des rêves. Leurs résultats, publiés dans la revue Frontiers in Psychology, offrent un nouvel éclairage sur la question.
« On nous demande régulièrement si la nourriture influence les rêves, surtout par les journalistes dont les travaux sont axés sur la gastronomie », confie dans un communiqué l’auteur principal de l’étude, Tore Nielsen, du Laboratoire Rêves et Cauchemars du Centre de recherche avancée en médecine du sommeil (CIUSSS-NIM) et du Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal. « Nous avons maintenant des réponses », indique-t-il.
Des cauchemars plus fréquents chez les intolérants au lactose
Pour mener cette étude, les chercheurs ont interrogé 1 082 étudiants de premier cycle de l’Université MacEwan, en Alberta (Canada), âgés en moyenne de 20 ans. Un questionnaire détaillé portait sur leurs habitudes alimentaires, la durée et la qualité de leur sommeil, la nature de leurs rêves (agréables ou non), ainsi que sur leur santé mentale et physique. L’objectif était de déterminer si la consommation de certains aliments — produits laitiers, sucreries, nourriture épicée — ou certaines pratiques comme le grignotage tardif pouvaient influencer le sommeil et les rêves.
Au total, 40,2 % des participants ont affirmé que leur alimentation influençait la qualité de leur sommeil. Parmi eux, 24,7 % ont désigné certains aliments, notamment les desserts, les sucreries, les plats épicés et les produits laitiers, comme perturbateurs du repos nocturne. À l’inverse, 20,1 % ont estimé que des aliments tels que les fruits frais, les légumes ou les tisanes amélioraient leur sommeil.
Plus rarement — dans 5,5 % des cas — les participants ont évoqué un effet direct de l’alimentation sur le contenu de leurs rêves, les sucreries et les produits laitiers étant plus souvent associés à des rêves perturbants ou intenses. L’intolérance au lactose, en particulier, était fortement corrélée aux cauchemars, sans doute à cause des inconforts digestifs qu’elle entraîne. Les allergies alimentaires, elles aussi, semblaient prédire des rêves négatifs, indépendamment des troubles gastro-intestinaux.
« Les cauchemars sont plus graves chez les personnes intolérantes au lactose qui souffrent de symptômes gastro-intestinaux sévères et dont le sommeil est perturbé », souligne Tore Nielsen. « C’est logique, car nous savons que d’autres sensations corporelles peuvent affecter les rêves », précise-t-il. Ces cauchemars peuvent être suffisamment marquants pour inciter à éviter l’endormissement, ce qui finit par dégrader la qualité globale du sommeil.
Les chercheurs ont également observé que grignoter tard le soir était lié à une moins bonne qualité de sommeil et à une fréquence accrue de cauchemars. À l’inverse, une alimentation plus équilibrée, sans prises alimentaires nocturnes, favorisait un meilleur repos et des rêves positifs, dont les participants se souvenaient davantage.
Des limites qui restent à éclairer
Cette étude comporte toutefois des limites notables. Elle n’établit pas de lien de causalité : on ignore si l’alimentation influence effectivement les rêves et le sommeil, ou si l’inverse est vrai — ou encore si un autre facteur agit sur les deux. Par ailleurs, elle se concentre sur une population jeune et relativement homogène, ce qui rend délicate toute généralisation à l’ensemble de la population.
L’autoévaluation du sommeil et des rêves par les participants constitue un autre biais méthodologique. Les auteurs reconnaissent par ailleurs ne pas avoir pris en compte les éventuels biais culturels pouvant influencer les réponses. « Nous devons étudier davantage de personnes d’âges, de milieux sociaux et d’habitudes alimentaires variés afin de déterminer si nos résultats sont réellement généralisables à l’ensemble de la population », souligne Nielsen.
Des études expérimentales, plus contrôlées, sont désormais nécessaires. « Nous aimerions mener une étude dans laquelle nous demanderions aux participants de consommer des produits à base de fromage plutôt qu’un aliment témoin avant de se coucher, afin de voir si cela altère leur sommeil ou leurs rêves », propose le chercheur.
Ces résultats ont des implications pratiques potentielles, en soulignant l’intérêt d’une alimentation saine et équilibrée. L’étude s’inscrit dans les recherches montrant un lien entre santé intestinale et santé mentale. « Ils ont des implications claires pour comprendre comment les facteurs alimentaires peuvent influencer la qualité du sommeil et la survenue de cauchemars, et pourraient éclairer les interventions non pharmacologiques pour les troubles du sommeil », conclut l’équipe dans son article.