WEST, le réacteur à fusion en tungstène situé à Cadarache, dans le sud de la France, a enregistré un nouveau record en maintenant un plasma ultra-chaud (50 millions de degrés Celsius) pendant six minutes consécutives. Bien que d’autres réacteurs puissent générer des températures plus élevées, il s’agit de la durée la plus longue atteinte à ce jour pour un plasma à cette température. L’expérience constitue ainsi un grand pas vers la mise à l’échelle commerciale d’une énergie propre, durable et quasi illimitée.
L’énergie de fusion nucléaire, la même qui alimente le Soleil, est la plus puissante source énergétique dont on pourrait disposer à moyen terme. Elle permet notamment de produire environ 4 millions de fois plus d’énergie par kilogramme de combustible que les sources fossiles, sans compter qu’elle ne génère aucune émission CO2 ou autre gaz à effet de serre. Cet aspect en fait une source de prédilection pour les objectifs de neutralité carbone.
Depuis le début de l’année, les avancées se succèdent, dont des densités de plasma et des températures de chauffe records. Cependant, de nombreux défis restent à surmonter avant la mise à l’échelle commerciale des réacteurs à fusion. Des chercheurs du Laboratoire de Physique des Plasmas de Princeton (PPPL) et du Commissariat français à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), ont réalisé une grande avancée dans ce sens avec le tokamak en tungstène WEST.
Le dispositif a pu maintenir un plasma ultra-chaud pendant une durée de 6 minutes, ce qui ouvre la voie aux réacteurs à régime longue durée. « Nous devons fournir une nouvelle source d’énergie, et cette source doit être continue et permanente », explique dans un communiqué du PPPL Xavier Litaudon, l’un des responsables du projet et chercheur au CEA. « Nous avons atteint un régime stationnaire malgré un environnement difficile dû au mur de tungstène », indique-t-il.
Un allumage à 50 millions de degrés pendant 6 minutes
WEST est un tokamak de la taille d’une pièce de 2,5 mètres carrés avec des plafonds de la même hauteur. Afin de mesurer les « tirs » de plasma, les chercheurs ont développé un nouvel outil basé sur la détection du rayonnement X, directement intégré au réacteur. Baptisé « caméra à rayons X doux multi-énergies » (ME-SXR), le dispositif permet d’évaluer directement les propriétés du plasma, telles que la température réelle des électrons au niveau de son cœur (là où la température est la plus élevée).
Un autre avantage du ME-SXR est qu’il est possible de le calibrer selon les niveaux d’énergie générés. Les précédents dispositifs étaient en effet configurés pour mesurer les flux de particules émettant les mêmes niveaux d’énergie. Cette méthodologie génère des données parfois affectées par les interférences des ondes de radiofréquence utilisées pour chauffer le plasma. Le nouveau dispositif, quant à lui, mesure indépendamment tous les niveaux d’énergie présents, de sorte que les résultats du diagnostic ne soient pas biaisés par les interférences. « Ce détecteur a la capacité unique de pouvoir être configuré pour mesurer le même plasma avec autant d’énergie que vous le souhaitez », explique Tullio Barbui du PPPL.
Le tokamak a maintenu un plasma de fusion de 50 millions de degrés Celsius pendant six minutes avec 1,15 gigajoule de puissance injectée. L’énergie obtenue est 15 % supérieure à celle des précédentes expériences avec une densité de plasma deux fois plus grande. « Au cours de l’allumage de six minutes, nous avons pu mesurer assez précisément la température centrale des électrons. C’était dans un état très stable d’environ 4 kilovolts. C’est un résultat assez remarquable », indique l’expert.
De parois en tungstène pour une utilisation à grande échelle
D’un autre côté, la précédente version du tokamak (Tore Supra) permettait d’obtenir un temps d’allumage légèrement plus long. Cependant, son intérieur était tapissé de tuiles de graphite, une forme cristalline du carbone. Bien que les parois en carbone permettent un meilleur contrôle pour les fusions à long terme, elles sont mal adaptées aux réacteurs à grande échelle, car elles ont tendance à s’imprégner de combustible. Cela n’est pas idéal, car le tritium de la chambre du réacteur doit être récupéré efficacement pour être réintroduit dans le plasma.
En revanche, le tungstène est plus avantageux selon l’équipe de recherche, car il s’imprègne beaucoup moins de combustible. Toutefois, « l’environnement des parois en tungstène est bien plus complexe que celui en carbone », précise Luis Delgado-Aparicio, également du PPPL. En effet, d’infimes quantités de l’élément migrent depuis les parois du tokamak vers le plasma, ce qui pourrait surcharger ce dernier en impuretés.
Les experts affirment pouvoir surmonter ce problème avec leur nouveau dispositif de mesure, qui évalue également la densité d’impuretés dans le plasma. Cela permettrait à terme d’élaborer des stratégies pour minimiser la quantité de tungstène qui migre vers le plasma et en optimiser ainsi la densité énergétique.
Ces résultats devraient ainsi permettre de développer de meilleurs mécanismes de fonctionnement pour ITER, le gigantesque tokamak en construction à proximité de WEST, qui est également en tungstène. Selon Delgado-Aparicio, les expériences réussies avec WEST seront directement applicables à ITER, qui, une fois terminé, sera le plus grand tokamak autonome au monde. La prochaine étape expérimentale de WEST débutera en automne de cette année, avec l’installation de nouveaux systèmes, d’après un communiqué du CEA.