Notre logement est censé être l’endroit le plus privé qui soit, en théorie. Mais plus les technologies se développent, plus cette certitude devient une incertitude. Sans compter que nos déplacements, nos données personnelles, presque tout, se retrouve sur Internet. Récemment, des chercheurs de l’Université Carnegie Mellon ont développé une méthode pour détecter la forme tridimensionnelle et les mouvements des corps humains dans une pièce, en utilisant uniquement des routeurs Wi-Fi.
Les progrès de la vision par ordinateur et des techniques d’apprentissage automatique ont conduit à un développement significatif de l’estimation de la position des humains en 2D et en 3D à partir de caméras RVB (Rouge, Vert, Bleu), de LiDAR (télédétection par laser) et de radars. Cela est d’une utilité pertinente dans le domaine militaire par exemple, ou dans le domaine policier.
Cependant, l’estimation de la position des corps humains à partir des images est affectée par l’occlusion, c’est-à-dire un champ de vision étroit, voire opaque, et la mauvaise qualité de l’éclairage (obscurité ou éblouissement), qui sont courants dans de nombreuses situations. Sans compter que les technologies radar et LiDAR, nécessitent un matériel spécialisé coûteux et gourmand en énergie, et donc difficilement utilisable.
De plus, placer ces capteurs dans des zones non publiques soulève d’importantes préoccupations en matière de confidentialité. Pour remédier à ces limitations, des recherches récentes ont exploré l’utilisation d’antennes Wi-Fi (capteurs 1D) pour la segmentation corporelle et la détection de points clés du corps.
Dans ce contexte, une équipe de recherche de l’Université Carnegie Mellon aborde ces problèmes, proposant une méthode pour détecter la forme tridimensionnelle et les mouvements des corps humains dans une pièce, en utilisant uniquement des routeurs Wi-Fi, dans des scénarios avec un champ de vision restreint et incluant plusieurs personnes. Leur étude est publiée sur arXiv (et pas encore évaluée par les pairs).
Porte d’entrée : le Wi-Fi
Concrètement, les auteurs de l’étude ont utilisé DensePose, un système permettant de cartographier tous les pixels à la surface d’un corps humain sur une photo. Comme le précise un article de Vice, DensePose a été développé par des chercheurs basés à Londres et des chercheurs en IA de Facebook. Par la suite, ils ont développé un réseau neuronal profond qui cartographie la phase et l’amplitude des signaux Wi-Fi envoyés et reçus par les routeurs aux coordonnées sur les corps humains. Les données sont traitées à l’aide d’algorithmes de vision par ordinateur.
Il faut savoir que la recherche d’alternatives moins couteuses que les systèmes LIDAR est ancienne. D’ailleurs, en 2013, une équipe de chercheurs du MIT a trouvé un moyen d’utiliser les signaux des téléphones portables pour voir à travers les murs ; en 2018, une autre équipe du MIT a utilisé le Wi-Fi pour détecter les personnes dans une autre pièce et traduire sommairement leurs mouvements.
Les auteurs estiment que les résultats de leur étude révèlent que le modèle peut estimer le positionnement précis de plusieurs sujets, avec des performances comparables aux approches basées sur l’image, en utilisant les signaux Wi-Fi comme seule entrée.
Éthique et vie privée
Outre la prouesse technologique, les auteurs ne font aucunement mention des problèmes éthiques que cela soulève. D’ailleurs, comme le souligne l’article de Vice, l’équipe estime que leur étude doit être considérée comme un progrès dans le droit à la vie privée.
Ils écrivent dans leur article : « Il [le nouveau dispositif] protège la vie privée des individus et l’équipement nécessaire peut être acheté à un prix raisonnable ». Ils ajoutent : « En fait, la plupart des foyers des pays développés ont déjà le Wi-Fi à la maison, et cette technologie peut être mise à l’échelle pour surveiller le bien-être des personnes âgées ou simplement identifier les comportements suspects à la maison ».
Mais ils ne précisent à aucun moment ce que les « comportements suspects » pourraient inclure, si jamais cette technologie atteignait le marché grand public. Qui serait juge de l’analyse des vidéos éditées ? Est-ce une intrusion grave dans la vie privée même en passant par le Wi-Fi ? Toutes ces questions méritent d’être abordées, avec des recherches supplémentaires.
Bien que leur modèle reste limité par des données d’entraînement publiques, l’équipe prévoit de collecter des « données multi-dispositions » et d’étendre son travail à la prédiction de la forme du corps humain en 3D via des signaux Wi-Fi.
Des drones utilisant la faille du Wi-Fi
Il faut savoir qu’une équipe de recherche basée à l’Université de Waterloo a développé en 2022 un appareil alimenté par un drone qui peut également utiliser les réseaux Wi-Fi pour voir à travers les murs.
L’appareil, surnommé Wi-Peep, peut voler à proximité d’un bâtiment puis utiliser le réseau Wi-Fi des habitants pour identifier et localiser tous les appareils compatibles Wi-Fi à l’intérieur en quelques secondes, du routeur à la montre connectée.
Le Wi-Peep exploite une faille que les chercheurs appellent le « Wi-Fi poli », selon un communiqué. Même si un réseau est protégé par un mot de passe, les appareils intelligents répondront automatiquement aux tentatives de contact de n’importe quel appareil à portée. Le Wi-Peep envoie plusieurs messages à un appareil pendant qu’il vole, puis mesure le temps de réponse de chacun, ce qui lui permet d’identifier l’emplacement de l’appareil à moins d’un mètre.
Les chercheurs mettent en garde en extrapolant : « En utilisant une technologie similaire, on pourrait suivre les mouvements des agents de sécurité à l’intérieur d’une banque en suivant l’emplacement de leurs téléphones ou montres intelligentes. De même, un voleur pourrait identifier l’emplacement et le type d’appareils intelligents dans une maison, y compris les caméras de sécurité, les ordinateurs portables et les téléviseurs intelligents, pour trouver un bon candidat pour une effraction. De plus, le fonctionnement de l’appareil via un drone signifie qu’il peut être utilisé rapidement et à distance sans grande chance que l’utilisateur soit détecté ».
L’équipe exhorte donc les fabricants de puces Wi-Fi à introduire une variation artificielle et aléatoire du temps de réponse de l’appareil, ce qui rendra les calculs comme ceux que le Wi-Peep utilise extrêmement imprécis.