C’est un fait : les arbres ne seraient rien sans leurs amis les microbes et autres micro-organismes ! En effet, des millions d’espèces de champignons et de bactéries échangent des éléments nutritifs entre le sol et les racines des arbres, formant ainsi un vaste réseau d’organismes interconnectés dans les bois du monde entier. Et pour la toute première fois, des scientifiques ont réussi à cartographier ce réseau, un véritable « wood wide web » des arbres, en utilisant une base de données recensant plus de 28’000 espèces d’arbres vivant dans plus de 70 pays.
Mais avant que les scientifiques ne puissent cartographier l’écosystème souterrain des forêts du monde entier, ils ont du apprendre à connaître quelque chose de bien plus fondamental… soit le lieu de résidence des différents arbres existants sur la planète.
En effet, c’est l’écologiste Thomas Crowther, aujourd’hui à l’ETH Zürich en Suisse, qui a rassemblé de nombreuses données à ce sujet à partir de 2012, auprès d’agences gouvernementales ainsi que des scientifiques qui avaient identifié des arbres et mesuré leur taille à travers le monde. Puis, en 2015, ce dernier a cartographié la répartition mondiale des arbres et indiqué que la Terre comptait environ 3000 milliards d’arbres.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Inspiré par ce document, c’est Kabir Peay, biologiste à l’Université Stanford de Palo Alto, en Californie, qui a contacté Crowther pour lui suggérer de faire de même concernant le réseau d’organismes souterrains qui connectent les arbres dans les forêts du monde entier.
À noter que chaque arbre de la base de données de Crowther est étroitement associé à certains types de microbes. Par exemple, les racines des chênes et des pins sont entourées de champignons ectomycorhiziens (EM) capables de constituer de vastes réseaux souterrains dans leur recherche d’éléments nutritifs.
Les érables et les cèdres, en revanche, préfèrent les mycorhizes arbusculaires (MA), qui s’enfouissent directement dans les cellules des racines des arbres mais forment des réseaux de sol plus petits. D’autres arbres, principalement de la famille des légumineuses (liés à des plantes cultivées telles que le soja et l’arachide), s’associent à des bactéries qui transforment l’azote de l’atmosphère en un aliment végétal utilisable, un processus appelé « fixation de l’azote ».
Les chercheurs ont alors mis au point un algorithme informatique permettant de rechercher les corrélations entre les arbres associés aux EM, aux MA et au fixateur d’azote dans la base de données de Crowther ainsi qu’aux facteurs environnementaux locaux tels que la température, les précipitations, la chimie du sol et la topographie. Puis, les chercheurs ont utilisé les corrélations trouvées par l’algorithme pour remplir la carte globale et prédire quels types de champignons vivent dans des endroits où ils ne disposent pas de données (soit notamment l’Afrique et l’Asie).
Leur recherche a permis de mettre en lumière plusieurs éléments : par exemple, dans les forêts tempérées fraîches et les forêts boréales, où le bois et la matière organique se décomposent lentement, c’est les champignons EM qui prolifèrent le plus. Selon les auteurs, environ quatre arbres de ces régions sur cinq sont associés à ces champignons, suggérant que les réseaux trouvés dans les études locales imprègnent effectivement les sols d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie.
En revanche, dans les régions tropicales plus chaudes où le bois et la matière organique se décomposent bien plus rapidement, ce sont les champignons MA qui dominent. À savoir que ces champignons forment des réseaux plus petits et effectuent moins de permutation inter-arbres, ce qui signifie que le « large réseau des bois » tropical est probablement plus localisé.
De plus, il faut savoir qu’environ 90% de toutes les espèces d’arbres sont associées aux champignons AM, bien que la grande majorité soit regroupée dans les tropiques. Les chercheurs ont également constaté que les fixateurs d’azote étaient plus abondants dans les endroits chauds et secs, tels que le désert du sud-ouest des États-Unis.
Charlie Koven, scientifique du système terrestre au Laboratoire national Lawrence Berkeley en Californie, salue cette première carte mondiale de microbes forestiers, mais se demande tout de même si les auteurs n’ont pas oublié certains facteurs importants qui façonnent également le monde souterrain. En effet, « il existe des processus difficiles à mesurer, tels que la perte de nutriments et de gaz du sol, ce qui pourrait affecter les endroits où vivent différents microbes, et si tel est le cas, les prévisions de l’étude pourraient être moins précises », explique-t-il.
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Cependant, même au dépit de ces incertitudes, « le fait de posséder les tous premiers chiffres précis concernant les microbes vivants et associés aux arbres sera très utile », déclare Kathleen Treseder, écologiste à l’Université de Californie à Irvine. « Les résultats pourraient aider les chercheurs à élaborer de meilleurs modèles informatiques pour prédire la quantité de carbone de forêt qui s’échappe ainsi que la quantité de carbone rejetée dans l’atmosphère lorsque le climat se réchauffe », continue Treseder.
Quant à Crowther, ce dernier suggère qu’à mesure que la planète se réchauffe, environ 10% des arbres associés aux champignons EM pourraient être remplacés par des arbres associés aux MA. À savoir que « dans les forêts dominées par les champignons MA, les microbes filtrent plus rapidement les matières organiques contenant du carbone, ce qui leur permet de libérer beaucoup de dioxyde de carbone piégeant la chaleur. Ceci pourrait potentiellement accélérer le processus de changement climatique qui se produit déjà… », a-t-il expliqué.