Les trous noirs, ces objets cosmiques ultramassifs, qui ne laissent s’échapper ni matière ni lumière, fascinent le monde entier. Pourtant, ils restent encore, en très grande partie, un mystère pour les physiciens. Dans l’effort de les comprendre un peu plus, des chercheurs de la Scuola Internazionale Superiore di Studi Avanzati (SISSA), en Italie, ont réussi à déterminer le nombre de trous noirs stellaires dans l’univers observable. Verdict : il y a environ 40 trillions (milliards de milliards) de trous noirs stellaires dans l’univers observable.
Publiée dans The Astrophysical Journal, l’étude a permis de développer une ingénieuse approche informatique pour calculer le nombre de trous noirs présents dans notre univers observable — une immense sphère de 90 milliards d’années-lumière de diamètre. Ils ont en plus réalisé une fascinante découverte, selon laquelle près de 1% de la matière ordinaire serait contenue dans ces trous noirs, dits stellaires.
Ces trous noirs, nés de l’effondrement d’étoiles dépassant les 20 à 25 masses solaires, contiendraient une grande partie de la matière qui compose tout ce qui nous entoure (matière ordinaire baryonique). Cette première trouvaille démographique des trous noirs stellaires s’inscrit dans le cadre du Big Data Application for Black Hole Evolution Studies (BiD4BESt) et ouvre la voie vers d’autres découvertes à venir.
Une prouesse multidisciplinaire
Dédié principalement à l’étude de l’évolution des trous noirs, comme son nom l’indique, le projet BiD4BESt nécessite plusieurs disciplines à la fois. Selon le professeur Andrea Lapi, superviseur de Sicilia et coordinateur des doctorats en astrophysique et cosmologie au SISSA, la recherche a mobilisé une expertise en astrophysique stellaire, en formation et évolution des galaxies, en ondes gravitationnelles et d’autres branches plus spécifiques de l’astrophysique.
Pour aboutir à leur résultat, les chercheurs italiens ont appliqué une méthodologie qui allie le code d’évolution stellaire et binaire de pointe appelé SEVN, avec une approche basée sur les calculs de probabilités. Le Dr Mario Spera, l’un des chercheurs de la SISSA, a spécialement développé le SEVN pour le projet.
Le plus gros du calcul a ensuite été effectué en tenant compte des propriétés des galaxies, du taux de formation d’étoiles dans chacune d’elles, de la quantité de masse stellaire et de la métallicité du milieu interstellaire (la part de sa masse qui n’est pas constituée d’hélium et d’hydrogène).
Une fois ces ingrédients répertoriés et réunis, le groupe de chercheurs y a appliqué une approche autocohérente, c’est-à-dire en prenant en compte chaque élément qui compose toutes les structures. Leur nouvelle méthode de calcul très poussée, intégrant toutes ces données, a alors permis de recenser tous les trois noirs stellaires de l’univers observable, ainsi que leur distribution en masse.
« Le caractère innovant de ce travail réside dans le couplage d’un modèle détaillé d’évolution stellaire et binaire, avec des recettes avancées pour la formation d’étoiles et l’enrichissement en métaux dans les galaxies individuelles. Il s’agit de l’un des premiers et des plus robustes calculs ab initio de la fonction de masse des trous noirs stellaires à travers l’histoire cosmique », explique dans un communiqué Alex Sicilia, doctorant en astrophysique et cosmologie au SISSA et auteur principal de l’étude.
Zoom sur l’origine des trous noirs stellaires les plus massifs
Les recherches du SISSA ne se sont pas arrêtées à la seule estimation du nombre de trous noirs stellaires. En effet, l’étude s’est penchée sur beaucoup d’autres questions fascinantes, comme la formation de trous noirs de différentes masses, les étoiles isolées, les systèmes d’étoiles binaires et les amas stellaires. Il est entre autres montré que les trous noirs stellaires les plus massifs proviennent en grande partie d’événements dynamiques au sein des amas stellaires.
Ces résultats, obtenus grâce à la collaboration de deux chercheurs de l’Université de Padoue, démontrent que ces événements dynamiques seraient utiles pour expliquer la fonction des masses des trous noirs qui ont fusionné, ou trous noirs coalescents. Ces masses sont estimées via la mesure d’ondes gravitationnelles avec la collaboration scientifique internationale LIGO/Virgo — un observatoire gravitationnel géant situé près de Pise.
Les chercheurs italiens pensent même avoir trouvé une bonne piste sur les formations des graines légères de trous noirs supermassifs, qui émettent dans la partie haute des longueurs d’onde rouges. Ces « graines » seraient des trous noirs intermédiaires, qui jouent un rôle clé dans la formation et l’évolution des galaxies, et plus particulièrement dans la formation des trous noirs supermassifs. L’étude du SISSA ouvrirait ainsi la voie vers l’identification de l’origine des « graines lourdes ».