Au cours des 500 dernières années, l’activité humaine a conduit à l’extinction de 73 genres de vertébrés, révèle une nouvelle étude. Cette extinction est 35 fois plus rapide qu’elle ne l’aurait été en l’absence de l’Homme — elle aurait normalement dû s’étendre sur 18 000 ans. Cette perte ira très probablement en s’accélérant au cours des années à venir et les conséquences sur la biosphère risqueraient d’être bien plus graves que le changement climatique.
Les extinctions massives au cours des 500 derniers millions d’années ont annihilé des branches entières de l’arbre phylogénétique de la vie. Il a fallu des millions d’années supplémentaires pour que l’évolution crée des remplacements fonctionnels à ces espèces, afin de maintenir le subtil et vital équilibre au sein de la biosphère. Contrairement aux 5 précédentes, la sixième extinction de masse (actuelle) est causée par la prolifération d’une seule espèce : l’Homo sapiens.
Au cours du siècle dernier, l’activité humaine et la croissance démographique ont transformé l’environnement de manière spectaculaire. La plupart des écosystèmes ont été soit complètement modifiés, soit détruis. Ces changements ont conduit à l’extinction de milliers d’espèces, dont les conséquences sur la biosphère sont catastrophiques.
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En effet, la disparition d’espèces et de clades entiers affecte considérablement la configuration de « l’arbre de vie » (selon Darwin). Elle change le cours de l’évolution en interrompant des voies de changement biologique uniques. Ce qui a des conséquences substantielles sur les caractéristiques morphologiques et écologiques des espèces restantes et à venir. À leur tour, ces effets engendrent des cascades d’impacts négatifs sur les fonctions écosystémiques, essentielles à l’habitabilité de notre planète. Ces derniers, plus directs et plus évidents, sont les plus facilement visibles et devraient inciter à une prise de conscience plus massive.
Cependant, les informations concernant les relations phylogénétiques et les processus écologiques en corrélation sont très inégalement disponibles. La raison est que l’accent est surtout mis sur les espèces éteintes et en danger d’extinction. De ce fait, nous manquons de véritables aperçus de l’ampleur et des impacts de la disparition de branches de vie entières. La nouvelle étude, menée par l’Université de Stanford et l’Université nationale du Mexique, éclaire davantage à ce sujet et révèle des chiffres alarmants.
Un taux d’extinction 35 fois plus élevé que la normale
Dans le cadre de l’étude, disponible dans la revue PNAS, les experts ont analysé 5400 genres de vertébrés (excepté les poissons), incluant 34 600 espèces. Ils ont constaté que 2 ordres, 10 familles et 73 genres de tétrapodes (regroupant les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les amphibiens) se sont éteints au cours des 500 dernières années. La majorité des pertes est enregistrée chez les oiseaux, suivis des mammifères, des amphibiens, puis des reptiles.
Les 2 ordres concernent les moas de Nouvelle-Zélande (Dinornithiformes) et les oiseaux-éléphants de Madagascar (Aepyornithiformes). Cette île déplore une perte majeure de plus avec les lémuriens paresseux (Palaepropothecidae). Ces derniers sont inclus parmi 6 genres de mammifères éteints, compris dans les 10 familles précédemment mentionnées. D’autre part, 4 genres d’oiseaux, tels que les méliphages moho d’Hawai (Mohidae), ont également disparu.
Les chercheurs indiquent que la plupart des pertes génériques se sont produites au cours des deux derniers siècles, où l’empreinte humaine sur les écosystèmes a connu une croissance exponentielle. Si la vache marine de Steller (Hydrodamalis gigas) a par exemple disparu en 1768, d’autres comme le tigre de Tasmanie (Thylacinus cynocephalus) se sont officiellement éteints en 1936, parallèlement à l’avènement de la science moderne.
Ce taux d’extinction est 35 fois plus élevé que le taux naturel attendu, c’est-à-dire en l’absence d’impacts humains. Notamment, sans l’empreinte anthropique, ces genres auraient normalement mis environ 18 000 ans à disparaître. Au rythme actuel de la croissance des activités anthropiques (braconnage, destruction des habitats, agriculture intensive, urbanisation, …) et des impacts négatifs qui l’accompagnent (réchauffement climatique), ce taux ira en s’accélérant. Si tous les genres actuellement menacés disparaissent d’ici 2100, cela signifierait un taux d’extinction 354 fois supérieur au niveau naturel (511 fois plus élevé pour les mammifères). Ce qui signifie que sans l’Homme, ces genres mettraient normalement 106 000 ans à s’éteindre (153 000 ans pour les mammifères).
Cette amputation des branches de l’arbre de vie représente une menace considérable pour la biosphère. Les experts estiment que les conséquences de ces pertes imminentes seront nettement supérieures à celles engendrées au cours des 500 dernières années. « Une telle mutilation de l’arbre de vie et la perte qui en résulte des services écosystémiques fournis par la biodiversité à l’humanité constituent une menace sérieuse pour la stabilité de la civilisation », écrivent-ils dans leur document.
En effet, chaque espèce jouant un rôle très précis au sein d’un écosystème, une extinction signifie que le service écosystémique qu’elle apportait n’existe tout simplement plus, ce qui perturbe le subtil et fragile équilibre initialement instauré. À Madagascar par exemple, l’annihilation des animaux (dont l’oiseau-éléphant) dispersant les graines de baobabs (endémiques) fait que ces derniers sont aujourd’hui menacés de disparition (en danger critique d’extinction pour les espèces les plus rares). Jusqu’à aujourd’hui, aucune autre espèce ne peut assurer leur dispersion. Cela fragilise les localités et les autres espèces dépendantes de ces arbres.
Autre exemple, les lémuriens, tels que Varecia variegata (en danger critique d’extinction) étant à la fois des animaux disperseurs et pollinisateurs, leur disparition entraînerait une cascade de pertes considérables (socioenvironnementales et économiques). Et alors que certaines espèces disparaissent, d’autres pullulent et deviennent invasives — ce qui favorise la transmission de zoonoses. En Amérique centrale, le déclin des amphibiens régulant les populations de moustiques a entraîné une augmentation de l’incidence du paludisme.
« Des efforts politiques, économiques et sociaux immédiats d’une ampleur sans précédent sont essentiels si nous voulons prévenir ces extinctions et leurs impacts sociétaux. Ce qui se passera au cours des deux prochaines décennies définira très probablement l’avenir de la biodiversité et de H. sapiens », conclut l’équipe. Contrairement à l’impact de l’astéroïde ayant conduit à l’extinction des dinosaures, nous avons encore le temps de changer les choses.