Quatre entreprises sur cinq (80 %) qui tentent d’adopter l’IA ne parviennent pas à obtenir les avantages escomptés, car la réussite de son adoption dépendrait, contrairement à ce que l’on pourrait croire, de facteurs directement et indirectement liés à l’humain — et non à la technologie. Ce constat, issu de la conclusion d’une étude récente, suggère que l’intégration de l’IA ne constitue pas uniquement un défi technologique, mais représente également un défi de leadership.
Des études ont montré que l’IA peut offrir un avantage concurrentiel notable pour les entreprises en raison de sa capacité à traiter de grandes quantités de données et à automatiser un grand nombre de tâches. Elle peut également améliorer la prise de décision, stimuler l’innovation et faciliter la collaboration interentreprises – améliorant ainsi la productivité des employés.
Étant donné ces avantages, les entreprises investissent massivement dans l’adoption de l’IA. L’an dernier, le nombre d’entreprises investissant plus de 100 millions de dollars dans l’intégration de la technologie a plus que doublé. Selon le Technology Report 2024 de Bain & Company, le marché mondial des produits et services liés à l’IA pourrait atteindre 780 à 990 milliards de dollars d’ici seulement deux ans, soit une croissance annuelle de 40 à 55 %.
Cependant, malgré les efforts d’adoption et de sensibilisation auprès des employés, 80 % des entreprises ne parviennent pas à rentabiliser leurs investissements dans cette technologie. « Souvent, les employés n’adoptent pas les nouvelles technologies d’IA et n’en tirent pas profit, mais nous ne savons pas vraiment pourquoi », explique Natalia Vuori, professeure adjointe à l’Université d’Aalto, en Finlande.
D’après l’experte, ce manque de compréhension découle en partie du fait que l’on considère les échecs d’adoption comme une limitation de la technologie. Cependant, la nouvelle étude de Vuori et ses collègues montre que le point de vue des utilisateurs concernant l’adoption de l’IA constitue également un facteur clé à considérer.
« Ce que nous avons appris, c’est que le succès dépend moins de la technologie et de ses capacités que des différentes réactions émotionnelles et comportementales des employés vis-à-vis de l’IA – et de la manière dont les dirigeants peuvent gérer ces réactions », explique-t-elle en référence à l’étude, détaillée dans le Journal of Management Studies.
Une question de confiance et de leadership
Des études antérieures ont suggéré que la confiance des employés envers l’IA constitue un facteur déterminant pour une adoption réussie. Les expériences in situ ont montré que ceux ayant un faible niveau de confiance envers la technologie l’utilisaient moins souvent. Les chercheurs soutiennent que la confiance dans l’utilisation de l’IA comprend à la fois des éléments cognitifs et émotionnels. La confiance cognitive décrit une personne qui croit que la technologie fonctionne bien (une évaluation rationnelle), tandis que la confiance émotionnelle représente ses sentiments envers celle-ci (évaluation irrationnelle).
Bien que de précédentes études aient mis en évidence la nature multidimensionnelle de la confiance des utilisateurs envers l’IA, ces dernières n’offraient que des résultats limités concernant l’effet conjoint de la confiance émotionnelle et cognitive. Afin de combler les lacunes, l’équipe de Vuori a suivi pendant plus d’un an 600 employés d’une société de conseil qui tentait d’intégrer un nouvel outil d’IA.
L’outil devait recueillir les empreintes numériques des employés, cartographier leurs compétences et leurs aptitudes au travail. Les données collectées devaient servir à établir un aperçu des performances globales de l’entreprise et simplifier le processus de sélection des équipes pour les projets de conseil. En fin de compte, l’expérience devait servir à créer un outil d’IA que l’entreprise pouvait proposer à ses clients.
Cependant, après presque deux ans d’expérimentation, l’intégration de l’outil a échoué et l’entreprise a dû abandonner le projet. « Les dirigeants ne comprenaient pas pourquoi l’utilisation de l’IA déclinait. Ils ont pris de nombreuses mesures pour promouvoir les outils, en essayant d’expliquer comment ils utilisaient les données, mais cela n’a servi à rien », explique Vuori.
Les chercheurs ont constaté que même si certains employés pensaient que l’outil fonctionnait bien et était très utile, ils étaient tout de même mal à l’aise avec l’idée que l’IA suive leurs notes d’agenda, leurs communications internes et leurs transactions quotidiennes. Les niveaux de confiance se répartissaient en quatre catégories : confiance totale, méfiance totale, confiance inconfortable et confiance aveugle.
Les personnes du premier groupe avaient une confiance élevée sur le plan cognitif et émotionnel, tandis que celles du second avaient un score faible sur les deux plans. Le troisième groupe montrait une confiance cognitive élevée, mais une confiance émotionnelle faible, tandis que le quatrième groupe avait une confiance émotionnelle élevée.
Les experts ont constaté que moins les employés faisaient émotionnellement confiance à l’outil, plus ils restreignaient, retiraient ou manipulaient leur empreinte numérique. Ce constat était valable même s’ils avaient une confiance cognitive dans la technologie. En conséquence, les employés ont soit complètement arrêté de fournir des informations, soit fournissaient uniquement celles qu’ils pensaient utiles à leur carrière.
Au fil du temps, l’outil d’IA est devenu de plus en plus imprécis dans ses résultats en raison du manque d’informations ou d’informations biaisées, de sorte que les employés ont fini par perdre complètement confiance en ses capacités. Ces résultats suggèrent que le leadership et la compréhension des appréhensions des employés envers la technologie tiennent une place déterminante dans la réussite de son adoption.
« Sans cette approche centrée sur l’humain et des stratégies adaptées aux besoins de chaque groupe, même l’IA la plus intelligente ne parviendra pas à exploiter son potentiel », affirme Vuori. L’équipe indique en outre que cette étude reflète une tendance courante en matière d’adoption de l’IA et de la technologie en général. En outre, elle collecte actuellement des données sur l’adoption de Copilot, le chatbot/assistant IA de Microsoft, et affirme déjà constater une tendance similaire, selon des résultats préliminaires.