Des chercheurs révèlent que l’activité humaine a mené à l’extinction de 1430 espèces d’oiseaux, soit deux fois plus que précédemment estimé. En effet, bien que de nombreuses disparitions aient été recensées depuis les années 1500, les enregistrements antérieurs à cette date sont limités, les archives fossiles aviaires étant relativement rares. Cela signifierait qu’il existe un grand nombre d’espèces disparues non découvertes et que l’ampleur des extinctions d’origine anthropique est largement sous-estimée.
La migration de l’Homme depuis l’Afrique vers quasiment toutes les terres sans glace de la planète a déclenché des vagues d’extinction de nombreuses espèces. Ces extinctions ont été particulièrement importantes au niveau des îles et archipels initialement isolés, tels que les Açores, Hawaï, les îles Tonga et celles de l’Océan Indien (l’île Maurice, Madagascar, les Seychelles, …).
Parmi les groupes les plus impactés figurent l’avifaune insulaire, qui a rapidement été décimée, même avec des populations humaines relativement restreintes. Cette extinction a eu lieu soit directement par le biais de la chasse, soit indirectement, par la destruction des habitats (déforestation, agriculture extensive, …) et l’introduction d’espèces exotiques domestiques (chiens, chats, bétail, …) ou nuisibles (rongeurs, parasites, insectes, …).
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Parmi les exemples les plus connus figure le dodo de Maurice (Raphus cucullatus), qui a disparu à la fin du 17e siècle, soit moins d’un siècle après l’arrivée des Européens sur l’île. Ces derniers ont amené avec eux un grand nombre d’animaux exotiques, tout en chassant activement le dodo — une proie facile incapable de voler et endémique à une île d’à peine 2040 km2 de superficie.
Cependant, en raison du manque d’archives fossiles aviaires, de nombreuses extinctions d’oiseaux sont probablement restées inaperçues. Cela signifie que, soit ces espèces n’ont pas été découvertes, soit elles n’ont tout simplement laissé aucune trace dans les archives fossiles (probablement parce que les os légers des oiseaux se fossilisent difficilement). Les estimations précédentes du taux de disparition des oiseaux se sont uniquement concentrées sur les disparitions observées et les fossiles bien conservés depuis les années 1500.
Par conséquent, l’ampleur de l’extinction de l’avifaune depuis le Pléistocène est très probablement sous-estimée. « Ignorer les extinctions non découvertes limite notre compréhension des taux d’extinction des espèces aviaires et peut considérablement sous-estimer l’ampleur de la perte de biodiversité provoquée par l’Homme, avec des implications pour la biodiversité mondiale, l’histoire de l’évolution et la conservation », ont expliqué dans leur nouvelle étude des chercheurs du Centre britannique d’écologie et d’hydrologie (UKCEH), de l’University College de Londres (UCL) et du Centre mondial de la biodiversité et de l’Université de Göteborg.
Afin de combler les lacunes, l’équipe a effectué des modélisations pour estimer le nombre d’extinctions aviaires non découvertes. Les résultats — publiés dans la revue Nature Communications — révèlent une tendance inquiétante, qui pourrait avoir de lourdes répercussions sur les écosystèmes. « Notre étude démontre qu’il y a eu un impact humain bien plus important sur la diversité aviaire qu’on ne le pensait auparavant », explique dans un communiqué de l’UCL Rob Cooke, expert en modélisation écologique à l’UKCEH et chercheur principal de l’étude. « Nous montrons que de nombreuses espèces ont disparu avant les écrits et n’ont laissé aucune trace », ajoute-t-il.
1 oiseau sur 8 disparu à cause de l’activité humaine
Afin d’estimer le nombre d’extinctions non découvertes, les experts de l’étude ont d’abord modélisé les extinctions recensées dans les archives fossiles, au niveau de 69 archipels comprenant 1488 îles. Ils se sont concentrés sur les archipels, car 90 % des disparitions enregistrées ont eu lieu dans ces régions. Ces estimations ont ensuite été combinées avec celles des extinctions fossiles observées à travers le monde. Les calculs ont permis de déduire la date et le nombre d’extinctions de toutes les espèces d’oiseaux perdues depuis le Pléistocène supérieur (il y a 130 000 ans).
Les résultats ont révélé qu’environ 1300 à 1500 espèces d’oiseaux (12 % du total des espèces) ont disparu depuis le Pléistocène supérieur, soit plus du double des précédentes estimations basées sur les observations et les archives fossiles. Plus précisément, ces dernières ont montré que 640 espèces oiseaux ont disparu depuis la fin du Pléistocène, dont 90 % sur les îles colonisées par les humains. Ceux-ci incluent par exemple le dodo, le grand pingouin (Pinguinus impennis) et la huppe de Sainte-Hélène (Upupa antaios). En revanche, les chercheurs estiment qu’il y a eu 790 autres extinctions non découvertes, ce qui fait 1430 espèces disparues au total, soit 1 oiseau sur 8.
La grande majorité de ces disparitions serait directement attribuée à l’introduction et à l’expansion de l’activité humaine au niveau de régions initialement isolées. Seules une cinquantaine d’espèces auraient disparu de manière naturelle. En outre, l’étude révèle que 570 espèces ont disparu après l’arrivée des humains dans l’est du Pacifique (dont les îles Cool et Hawaï) au 14e siècle, soit plus de 100 fois le taux d’extinction naturelle ! Selon les experts, il s’agirait du plus grand événement d’extinction de vertébrés d’origine anthropique de l’histoire. Un autre événement d’extinction majeure aurait également eu lieu au 9e siècle avant notre ère, lorsque les humains ont commencé à coloniser le Pacifique occidental, dont les îles Fidji, les Mariannes et les îles Canaries.
Selon le coauteur de l’étude Søren Faurby de l’Université de Göteborg, « ces extinctions historiques ont des implications majeures sur la crise actuelle de la biodiversité ». Il est en effet important de savoir que les oiseaux jouent des rôles écosystémiques majeurs spécifiques à leurs habitats, tels que la pollinisation et la dispersion des graines. Leur disparition aurait ainsi entraîné l’extinction de plantes ou de petits carnivores dont la survie dépendait d’eux. « Cela aura eu des effets néfastes en cascade sur les écosystèmes », ajoute l’expert.
Par ailleurs, les oiseaux sont désormais confrontés à d’autres menaces anthropiques telles que la pollution, l’agriculture intensive et le réchauffement climatique. Des recherches connexes suggèrent que nous risquerions de perdre jusqu’à 700 espèces supplémentaires au cours des 100 prochaines années. « C’est à nous de décider si d’autres espèces d’oiseaux vont disparaître ou non. Les récentes mesures de conservation ont permis de sauver certaines espèces et nous devons désormais intensifier nos efforts pour protéger les oiseaux, par la restauration de l’habitat effectuée par les communautés locales », conclut Cooke.