Une étude a mis au jour des anomalies cérébrales, immunitaires et métaboliques chez les personnes souffrant du syndrome de fatigue chronique (SFC) — également connu sous le nom d’encéphalomyélite myalgique (EM). Ces anomalies entraîneraient un déséquilibre entre l’activité cérébrale et les performances à l’effort des patients. Bien qu’elle n’ait inclus qu’un petit groupe de volontaires, il s’agirait de l’une des études les plus détaillées à ce jour concernant les mécanismes physiopathologiques de la maladie.
Le SFC est un trouble persistant et invalidant se manifestant généralement par une sensation d’épuisement, une intolérance à l’effort, un dysfonctionnement cognitif et endocrinien. Bien qu’il soit désormais reconnu comme une véritable maladie, les mécanismes physiologiques expliquant ses symptômes restent à déterminer. Plusieurs hypothèses ont été évoquées, allant des altérations immunologiques aux perturbations bioénergétiques et microbiotiques.
Cependant, les résultats des études suggérant ces hypothèses manquaient de cohérence pour la plupart, ce qui entrave la recherche de thérapies et de techniques de diagnostic efficaces. En effet, les difficultés résident principalement dans l’absence de biomarqueurs clairs et la confusion des symptômes avec ceux d’autres maladies. « Les personnes atteintes d’EM/SFC présentent des symptômes réels et invalidants, mais découvrir leur base biologique profonde est extrêmement difficile », explique dans un communiqué des National Institutes of Health (NIH), Walter Koroshetz, directeur de l’Institut national des troubles neurologiques et des accidents vasculaires cérébraux (NINDS) des NIH.
Néanmoins, il a récemment été établi que le SFC survient généralement à la suite d’une infection aiguë (EM/SFC post-infectieux ou PI-ME/SFC), avec un taux d’incidence estimé entre 10 et 20 %. Alors que l’association la plus connue impliquait jusqu’ici le virus d’Epstein-Barr, le SARS-CoV-2 est devenu depuis peu un facteur de risque plus important.
Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Communications, une équipe du NINDS figurant parmi un groupe de 75 chercheurs internationaux a mené l’une des enquêtes les plus précises à ce jour visant à décrypter les mécanismes sous-jacents à la maladie. « Cette étude approfondie menée auprès d’un petit groupe de personnes a révélé un certain nombre de facteurs susceptibles de contribuer à leur EM/SFC », explique Koroshetz. Les résultats offriraient une orientation plus précise et détaillée pour le développement de traitements.
Une différence significative entre les hommes et les femmes
L’enquête, codirigée par le NINDS, concernait 17 personnes souffrant de PI-ME/CFS depuis moins de 5 ans et 21 témoins sains. Les participants ont effectué des essais approfondis incluant des examens cliniques, des IRM fonctionnelles (IRMf), des évaluations de performances physiques et cognitives, des tests de fonction autonome, des biopsies cutanées et musculaires et des analyses avancées du sang et du liquide céphalo-rachidien.
Pendant toute la durée de l’étude, les volontaires ont été placés dans des chambres contrôlées, à l’intérieur desquelles leur régime alimentaire, leur consommation énergétique, leur métabolisme, leurs habitudes de sommeil et leur microbiote intestinal ont été analysés. Au cours d’une seconde visite clinique, ils ont effectué des tests d’effort cardio-pulmonaire, afin de mesurer leur réponse à l’exercice.
Les IRMf ont révélé que les participants malades présentaient une activité réduite dans la région cérébrale appelée jonction temporo-pariétale (TPJ), impliquée dans la planification et l’orchestration des efforts. Le liquide céphalo-rachidien des patients présentait également des niveaux anormalement bas de catécholamines et d’autres molécules essentielles à la régulation du système nerveux. Cela serait notamment associé à des performances motrices et cognitives réduites, suggérant ainsi un lien entre des déséquilibres cérébraux spécifiques et les symptômes du SFC. Les patients présentaient aussi une fréquence cardiaque plus élevée et leur tension artérielle mettait plus de temps à se normaliser après l’effort (par rapport aux témoins).
En outre, les patients SFC présentaient des niveaux plus élevés de cellules B naïves et des niveaux inférieurs de cellules B mémoires. Les premières sont présentes en permanence dans l’organisme et s’activent en réponse à une substance étrangère, tandis que les secondes répondent à un antigène spécifique et aident à maintenir l’immunité adaptative ou acquise. « Nous pensons que l’activation immunitaire affecte le cerveau de diverses manières, provoquant des changements biochimiques et des effets en aval tels que des dysfonctionnements moteur, autonome et cardiorespiratoire », indique le coauteur principal de la recherche, Avindra Nath, directrice clinique du NINDS.
Une seconde partie de l’enquête consistait à demander aux participants de prendre des décisions fondées sur les risques de fatigue que pourrait provoquer un effort physique donné. Cela a permis d’évaluer les aspects cognitifs de la fatigue, notamment la manière dont un individu décide de l’effort à déployer lorsqu’il en a le choix. Résultat : les volontaires malades avaient plus de difficultés à choisir les tâches nécessitant plus d’efforts. Leur cortex moteur était anormalement actif au cours des tâches d’effort, même sans aucun signe de fatigue musculaire.
Ces résultats suggèrent que la sensation de fatigue dans le SFC pourrait être causée par un dysfonctionnement des régions cérébrales régulant le cortex moteur, comme le TPJ. « Plutôt que l’épuisement physique ou le manque de motivation, la fatigue peut résulter d’un décalage entre ce qu’une personne pense pouvoir accomplir et ce que son corps accomplit réellement », estime Brian Walitt du NINDS, également coauteur de l’étude.
Par ailleurs, des analyses plus approfondies ont mis en évidence des différences entre les hommes et les femmes dans les modèles d’expression génétique, les populations de cellules immunitaires et les marqueurs métaboliques. Les hommes présentaient une altération dans l’activité des lymphocytes T ainsi que d’autres marqueurs immunitaires innés, tandis que les femmes avaient des schémas de prolifération des lymphocytes B anormaux. Les femmes et les hommes présentaient également des marqueurs inflammatoires différents.
Toutefois, l’étude reste relativement limitée dans la mesure où elle n’impliquait que 17 patients. Elle ne précise pas non plus si ces résultats pourraient s’appliquer au COVID long, étant donné que les participants ont été évalués avant la pandémie. Néanmoins, les résultats offrent une piste prometteuse pour la recherche de traitements plus adaptés.