Des chercheurs ont créé un bit quantique, dit « qubit de chat », pouvant résister aux erreurs inhérentes aux ordinateurs quantiques pendant plus de 10 secondes — soit 10 000 fois plus longtemps que ceux précédemment expérimentés. Ce niveau de contrôle inédit permettrait de réduire jusqu’à 10 fois le nombre de qubits nécessaires à la correction d’erreurs, ouvrant ainsi la voie aux ordinateurs quantiques fiables et à usage pratique.
Contrairement aux bits des ordinateurs classiques, qui traitent les informations de façon binaire (0 ou 1), les qubits peuvent prendre la forme de n’importe quelle combinaison des deux en même temps (superposition quantique). Cet aspect permet logiquement aux ordinateurs quantiques de surpasser largement la capacité de calcul des ordinateurs conventionnels, leur permettant ainsi de résoudre des problèmes normalement considérés comme insolubles. Cependant, leurs capacités n’ont été jusqu’à présent que très peu démontrées en raison de leur vulnérabilité aux erreurs de calcul et de la limitation en taille des systèmes quantiques actuels.
En effet, les qubits sont extrêmement fragiles et difficiles à stabiliser. Tout « bruit » extérieur peut les faire s’effondrer et perdre leur nature quantique, enclenchant ainsi un processus de décohérence. Lorsqu’une décohérence se produit avant la fin de l’exécution d’une tâche (un algorithme), le résultat est illisible, car les informations stockées dans le qubit sont perdues. La décohérence affecte en quelque sorte l’état de superposition du qubit et perturbe ainsi sa capacité à traiter l’information.
La décohérence conduit donc à des erreurs (dits « retournement de bit ») dans les systèmes de calcul quantique. Alors qu’un ordinateur classique se montre très fiable en matière de calcul, les meilleures versions quantiques feraient une erreur sur 1000 opérations. De plus, la difficulté à maintenir la cohérence augmente à mesure que le nombre de qubits augmente, si bien que les processeurs quantiques les plus avancés peinent à dépasser les 100 qubits. Or, un dispositif adapté aux usages pratiques nécessiterait plusieurs milliers de qubits.
Afin de surmonter ce problème, les physiciens ont proposé il y a environ 10 ans un nouveau genre de qubit dit « qubit de chat ». Inspiré de la célèbre « expérience du chat de Schrödinger », ce type de qubit serait capable de corriger ses erreurs de manière autonome en induisant une superposition quantique similaire à l’état du fameux chat dans la boîte (le chat est considéré comme étant potentiellement à la fois mort et vivant tant que sa boîte n’est pas ouverte).
Cependant, la démonstration expérimentale de cette capacité (d’autocorrection) constitue un défi de taille. Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Nature, une équipe de l’École Normale Supérieure (en France) et de la start-up d’informatique quantique française Alice & Bob, décrive le premier qubit de chat capable de résister aux erreurs pendant plus de 10 secondes — soit 10 000 fois plus longtemps que ceux produits lors de précédentes expériences.
Une résistance aux erreurs 10 000 fois plus élevée
Pour créer un qubit de chat, les chercheurs ont utilisé un résonateur (ou oscillateur) supraconducteur. Il s’agit d’une puce sillonnée de minuscules circuits supraconducteurs et comportant un orifice piégeant la lumière en son milieu. Une fois à l’intérieur de l’orifice, la lumière peut osciller de deux manières différentes. Au lieu de la faire osciller dans un seul sens, l’équipe la laisse se déplacer simultanément dans les deux sens, créant ainsi un état de superposition quantique similaire à celui de l’expérience de pensée du chat de Schrödinger — d’où son appellation.
Cependant, pendant plusieurs années, les chercheurs détectaient toujours des retournements de bits toutes les quelques millisecondes, malgré la production réussie d’un qubit de chat. Récemment, ils ont réalisé que le problème provenait de la manière dont ils mesuraient l’état du qubit produit. Après avoir révisé leur protocole, ils sont parvenus à faire fonctionner un qubit de chat sans retournement pendant 10 secondes.
Ce premier qubit de chat fonctionnel pourrait ainsi ouvrir la voie à la mise au point d’ordinateurs quantiques fiables et utiles. En effet, de tels ordinateurs pourraient consacrer davantage de qubits de chat aux calculs, plutôt que de les réserver uniquement à la correction d’erreurs. Selon les experts de l’étude, ce nouveau type de qubit permettrait de réduire jusqu’à 10 fois le nombre de qubits nécessaires à la correction d’erreurs, par rapport aux dispositifs actuels utilisant des circuits supraconducteurs.
Toutefois, il est important de noter que les retournements de bits ne sont pas les seuls types d’erreurs que les qubits de chat doivent corriger. En effet, leur résilience aux retournements pourrait les rendre plus vulnérables à d’autres types d’erreurs. Bien que la performance obtenue par les chercheurs dans le cadre de cette étude constitue une avancée significative, de nombreux défis restent à résoudre avant d’envisager une application réelle.