L’intelligence artificielle est-elle sur le point de vivre une bulle similaire à celle d’Internet dans les années 1990-2000 ? Les experts du secteur expriment leurs inquiétudes quant à un potentiel effondrement de l’industrie de l’IA, qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’économie mondiale. James Ferguson, partenaire fondateur de MacroStrategy Partnership, a récemment déclaré lors d’un podcast que l’IA n’a à ce jour « toujours pas fait ses preuves » et que la mentalité « fake it till you make it » (« fais semblant tant que ça marche »), typique de la Silicon Valley selon lui, pourrait mener l’industrie à sa perte.
Cette comparaison avec la bulle Internet n’est pas nouvelle. En 1999, l’Internet a connu une explosion d’investissements avant de s’effondrer spectaculairement en 2000 après un apogée en mars de la même année. De la même manière, les analystes prévoient que l’énorme capital investi dans l’IA pourrait créer une bulle qui, si elle éclate, pourrait entraîner une crise économique majeure, avance Reuters. Richard Windsor, analyste des actions technologiques, a noté dans un article de blog publié en mars que « ce qui est arrivé avec l’Internet en 1999, la conduite autonome en 2017 » pourrait bien se reproduire en 2024 « avec l’IA générative ».
Les défis de l’IA : hallucinations et consommation extrême d’énergie
La question de la fiabilité de l’IA est au cœur des préoccupations. Les « hallucinations » de l’IA, terme désignant les erreurs ou les fausses informations générées par les modèles de langage, représentent un obstacle majeur à la confiance dans cette technologie. Les experts avancent que ces problèmes sont intrinsèques à la nature même de l’IA générative, ce qui signifie qu’ils pourraient ne jamais être entièrement résolus, comme l’évoque d’ailleurs un article sur le sujet publié par IBM.
« Ce n’est pas solvable », a déclaré récemment à l’Associated Press Emily Bender, professeure de linguistique et directrice du laboratoire de linguistique informatique de l’Université de Washington. « C’est inhérent à l’inadéquation entre la technologie et les cas d’utilisation proposés ».
Quant à l’énorme consommation d’énergie nécessaire à la formation et au maintien des modèles d’IA, c’est un autre point de friction. Par exemple, les émissions carbone de Google ont augmenté de près de 50 % en cinq ans en raison de ses investissements substantiels dans l’IA, ce qui met en péril ses propres objectifs climatiques. Cette consommation excessive d’énergie pourrait rendre l’IA insoutenable à long terme, tant sur le plan économique qu’environnemental.
L’utilisation de l’eau est un autre facteur environnemental de l’essor de l’IA. Une étude estime que l’IA pourrait représenter jusqu’à 6,6 milliards de mètres cubes d’eau d’ici 2027, soit plus que la consommation annuelle de la France.
Les avertissements des leaders de l’industrie
Les préoccupations concernant une potentielle bulle de l’IA ne se limitent pas à des voix isolées. L’ancien PDG de Stability AI par exemple, Emad Mostaque, a averti des banquiers l’été dernier qu’il s’agira « de la plus grande bulle de tous les temps », la qualifiant de « bulle dot-AI » — en référence à la « Dot-com bubble », désignation anglophone de la bulle Internet. Les signes avant-coureurs sont nombreux, mais l’industrie continue d’attirer d’énormes investissements malgré les mises en garde.
Les implications macroéconomiques d’un effondrement de l’IA pourraient être vastes. Une étude du MIT souligne que les décisions collectives prises aujourd’hui détermineront comment l’IA affectera la croissance de la productivité, l’inégalité des revenus et la concentration industrielle. Le Fonds Monétaire international (FMI) a également exprimé ses préoccupations quant au potentiel de l’IA à amplifier les crises économiques, soulignant les risques pour les marchés financiers et les chaînes d’approvisionnement.
Des bulles, des bulles et encore des bulles… Les leçons de l’histoire
L’histoire des bulles technologiques nous offre de précieuses leçons sur les dangers de l’investissement excessif dans des technologies émergentes. La bulle Internet de la fin des années 1990, par exemple, a vu des entreprises Internet sans modèle économique viable attirer des milliards de dollars d’investissements. Lorsque la bulle a éclaté en 2000, des millions d’investisseurs ont subi des pertes colossales, et de nombreuses entreprises ont fait faillite presque du jour au lendemain, rappelle Britannica. La chute vertigineuse de la valeur des actions technologiques a souligné les risques inhérents à l’engouement pour des technologies « non prouvées ».
Une autre leçon tirée de l’histoire est l’importance de la prudence et de la régulation. Les bulles spéculatives sont souvent alimentées par une combinaison d’enthousiasme débridé et de régulation laxiste. Par exemple, lors de la bulle immobilière de 2008, des prêts hypothécaires à risque ont été accordés sans suffisamment de contrôle, menant à une crise financière mondiale. De même, l’absence de régulation rigoureuse dans le domaine de l’IA pourrait exacerber les risques d’une bulle.
D’un autre côté, l’histoire de la technologie montre également que les entreprises qui survivent sont celles qui s’adaptent et innovent… Durant la bulle Internet, des entreprises comme Amazon et eBay ont réussi à traverser la tempête en restructurant leurs modèles économiques et en se concentrant sur la rentabilité à long terme. Cela contraste avec les nombreuses startups qui ont disparu faute de stratégie viable.
Les bulles technologiques, peu importe leur ampleur, ont souvent des conséquences à long terme sur l’industrie. En effet, même après l’éclatement de la bulle Internet, le web a continué à se développer et à transformer l’économie mondiale. De même, malgré les avertissements actuels et potentiellement l’explosion d’une nouvelle bulle technologique, l’IA pourrait continuer à évoluer et à s’intégrer profondément dans divers secteurs, à condition que les leçons du passé soient retenues et appliquées au mieux.