Réseaux sociaux alimentés par l’IA : nouvelle menace sous-estimée pour la démocratie ?

Un expert en manipulation de l'information, contacté par Trust My Science, a accepté de témoigner anonymement.

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Image d'illustration générée par l'IA. | Trust My Science avec un outil de Creatools.ai
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Dans un monde de plus en plus connecté, les technologies numériques jouent un rôle clé dans presque tous les aspects de notre vie quotidienne. Cependant, leur impact sur le processus démocratique soulève de sérieuses questions. Alors que certains voient dans ces technologies un moyen de revitaliser la démocratie, d’autres craignent qu’elles ne la sapent en influençant les électeurs de manière insidieuse. Un expert en manipulation de l’information pour le compte de politiciens du continent africain, contacté par Trust My Science, a accepté de témoigner anonymement.

Sections principales de l’article :

    • Un risque accentué par l’arrivée fulgurante de l’IA (et ses deepfake)
    • Témoignage d’un expert en manipulation de l’information
    • Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes…

L’élection présidentielle américaine de 2016 est souvent citée comme un exemple marquant de l’influence des médias sociaux sur les décisions électorales. Les « tweets » incessants de Donald Trump ont non seulement mobilisé ses partisans, mais ont également dominé le discours médiatique tout au long de la campagne.

Ce phénomène a mis en lumière la puissance des plateformes numériques dans la formation de l’opinion publique. L’utilisation stratégique de la désinformation et des bots sur les réseaux sociaux a joué un rôle colossal dans la manipulation des électeurs.

En Belgique, les élections fédérales et régionales de 2024 ont eu lieu dans un contexte où les réseaux sociaux sont presque devenus centraux. En effet, les plateformes comme TikTok, Twitch et YouTube sont devenues des outils incontournables pour les politiques cherchant à atteindre un public plus jeune et plus connecté. Les réseaux sociaux permettent aux candidats « de toucher directement les électeurs sans passer par les filtres des médias traditionnels », explique Caroline Close, politiste à l’Université Libre de Bruxelles, dans un article de l’université, ce qui peut avoir un impact important sur les résultats des élections. Les campagnes électorales modernes utilisent en effet des techniques de micro-ciblage pour influencer les électeurs de manière plus précise et efficace. « L’efficacité de la communication politique sur les réseaux sociaux dépend de l’usage que les partis en font : contenus sponsorisés, utilisation de techniques de ‘ciblage’, etc. Pour certains, les questions éthiques de ces stratégies sont de vrais enjeux et obstacles, quand d’autres s’en accommodent assez facilement… », ajoute-t-elle.

Cependant, l’influence des technologies numériques ne se limite pas aux campagnes électorales. Elles ont également un impact profond sur le processus démocratique lui-même. D’une part, elles facilitent la participation citoyenne en permettant à chacun de s’exprimer et de s’informer plus facilement. D’autre part, elles peuvent être utilisées pour diffuser de la désinformation et manipuler l’opinion publique. La désinformation numérique et l’intelligence artificielle constituent toutes deux une véritable menace pour la souveraineté nationale et la gouvernance démocratique, souligne un rapport du Conseil de l’Europe, surtout lorsqu’elles sont combinées. Les plateformes numériques, en raison de leurs algorithmes orientés vers le profit, favorisent souvent les contenus polarisants, sensationnalistes, voire haineux, exacerbant ainsi les divisions sociales et politiques.

Un risque accentué par l’arrivée fulgurante de l’IA (et ses deepfake)

Les technologies de deepfake propulsées par l’intelligence artificielle ajoutent une couche supplémentaire de complexité et de danger à l’influence numérique sur les élections. Les deepfakes, qui consistent à utiliser l’IA pour créer des vidéos ou des enregistrements audio hyperréalistes (et entièrement falsifiés), peuvent être utilisés pour diffuser de fausses informations de manière extrêmement convaincante. Par exemple, une vidéo truquée d’un candidat politique tenant des propos scandaleux pourrait se propager rapidement sur les réseaux sociaux, influençant ainsi l’opinion publique et modifiant potentiellement les résultats électoraux.

« Les dégâts causés par les fausses nouvelles sont mineurs par rapport à ceux qui pourraient découler des deep fakes. […] Une personne, par exemple, peut sembler dire ou faire des choses qu’elle n’a jamais dites ou faites. Pour créer des formes élémentaires de deep fakes, il suffit de fournir des images et des sons d’une personne à un logiciel spécialisé et de lui donner des instructions pour qu’il apprenne à imiter sa voix », avertit un autre rapport du Conseil de l’Europe.

En plus des deep fakes, l’IA est globalement utilisée pour automatiser et amplifier la diffusion de la désinformation. Les bots (robots), souvent alimentés par l’IA, peuvent créer et diffuser massivement des contenus trompeurs, atteignant des millions de personnes en un temps record. Ces technologies permettent non seulement de cibler des groupes spécifiques d’électeurs avec des messages personnalisés, mais aussi de manipuler les algorithmes des réseaux sociaux pour maximiser la visibilité de ces contenus. « La récolte des données se faisait de manière artisanale lors des réunions publiques et lors des meetings. Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’il y a des outils qui permettent de récupérer les données de manière massive. L’on a aussi une accentuation de la professionnalisation autour des outils de big data électoral et une prise de conscience des politiques de l’enjeu stratégique que ces données représentent », expliquait en 2022 à France Culture Anaïs Theviot, maîtresse de conférence en sciences politiques.

Témoignage d’un expert en manipulation de l’information

Les effets des technologies numériques sur la démocratie sont particulièrement visibles dans les élections post-2021, ce qui concorde avec l’arrivée fulgurante de l’IA. Au Kenya par exemple, le scrutin de 2022 a révélé comment l’influence numérique peut être « marchandisée » pour influencer les choix électoraux. De même, en France, les stratégies de communication numérique des candidats à l’élection présidentielle ont montré l’importance croissante des réseaux sociaux dans les campagnes électorales, comme le stipulait en 2017 déjà le Conseil Constitutionnel. Cette marchandisation de l’influence électorale est facilitée par des entreprises spécialisées dans la manipulation des médias sociaux et la création de faux comptes pour diffuser des messages politiques.

Un expert en manipulation de l’information pour le compte de politiciens du continent africain, contacté par Trust My Science, a accepté de s’exprimer anonymement : « On procède souvent de la même façon pour manipuler l’information. On créer d’abord une stratégie de communication qu’on valide avec la (ou les) personne(s) responsable(s), qui nous (a/ont) mandatés. Ensuite, nous créons des centaines voire des milliers de faux comptes, principalement sur des réseaux sociaux moins restrictifs tels que X (anciennement Twitter). Nous utilisons ensuite un algorithme pour cibler des personnes à suivre et avec lesquelles s’engager de façon automatique (en les suivant, en likant leurs publications, etc.). Généralement, les faux comptes en question possèdent déjà des publications sur le fil avant d’interagir, pensées pour manipuler l’opinion ».

« De façon isolée ça ne sert presque à rien, mais avec des milliers de comptes, ça fait la différence, surtout quand ces bots interagissent entre eux pour propulser les publications (en manipulant l’algorithme) et les rendre plus visibles, voire virales. Les nouvelles techniques de manipulation avec l’IA nous permettent maintenant de faire encore plus de bruit, quand on le fait bien », ajoute-t-il. « Le défi aujourd’hui c’est d’être assez malin et discret pour ne pas se faire repérer facilement par les jeunes, qui souvent sont au courant de ces pratiques. En plus, ce sont eux qui sont les plus présents sur les plateformes sociales, et donc eux que l’on cible le plus ».

Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes…

Les statistiques montrent également que l’utilisation des médias sociaux par les électeurs est en constante augmentation. Une étude de 2023 de la Fondation pour l’Innovation Politique a révélé que les réseaux sociaux sont devenus des espaces publics de plus en plus importants pour la discussion politique et la formation de l’opinion, malgré une détérioration de la qualité de l’information. Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes, qui sont plus susceptibles de s’informer et de participer au débat politique via les plateformes numériques. De ce fait, les jeunes électeurs non instruits sur ces technologies sont particulièrement vulnérables à la désinformation en ligne, ce qui peut fortement influencer leurs décisions électorales.

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Ce tableau présente les principales sources d’information utilisées par les différentes tranches d’âge pour suivre la campagne présidentielle 2022 en France. Ce qui ressort clairement, c’est l’importance des réseaux sociaux chez les jeunes de 18 à 24 ans, avec 59 % d’entre eux utilisant des plateformes comme Facebook, Twitter et Instagram pour s’informer. En revanche, cette tranche d’âge privilégie beaucoup moins les grandes chaînes de télévision (46 %) comparée aux générations plus âgées, qui dépendent davantage des médias traditionnels (71 % pour les 65 ans et plus). Les discussions en famille sont également significatives chez les jeunes (44 %), soulignant l’importance de l’environnement social dans leur manière de consommer l’information. © Fondation pour l’innovation politique – septembre 2022

Malgré les opportunités offertes par les technologies numériques, il est donc plus important que jamais de reconnaître leurs limites et les risques qu’elles posent pour la démocratie. Plusieurs mesures peuvent atténuer ces risques, y compris une régulation plus stricte des plateformes numériques et une éducation accrue des électeurs sur les dangers de la désinformation.

Si les technologies numériques ont le potentiel de revitaliser la démocratie en facilitant la participation citoyenne et en permettant une communication plus directe entre les candidats et les électeurs, elles posent également des défis importants. La désinformation, la manipulation de l’opinion publique et le manque de régulation sont autant de menaces qui doivent être adressées pour préserver l’intégrité du processus démocratique. La question ultime dans une ère où les technologies numériques évoluent à la vitesse de la lumière c’est… Comment faire face à ces menaces sans trop freiner le développement technologique dans une économie déjà en crise ?

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