Un chercheur suggère que la gravité téléparallèle, une variante presque centenaire de la relativité générale d’Einstein, pourrait être prometteuse pour résoudre les plus grandes énigmes de la cosmologie, notamment la matière et l’énergie noires ainsi que la tension de Hubble. Elle posséderait une structure mathématique bien plus riche et complexe, offrant de nombreuses possibilités d’ajuster la gravité sans échouer aux tests expérimentaux. La théorie suscite toutefois beaucoup de scepticisme et nécessite encore des travaux rigoureux pour faire ses preuves.
Bien qu’elles n’aient encore jamais été directement observées, la matière et l’énergie noires sont mises en évidence par de nombreuses études cosmologiques. La première correspond à une forme hypothétique de matière, expliquant notamment l’anomalie dans la vitesse de déplacement des étoiles et des galaxies. En effet, ces dernières se déplacent beaucoup plus rapidement que ce qui pourrait être expliqué uniquement par l’attraction gravitationnelle de la matière visible.
L’énergie noire, quant à elle, correspond à une force hypothétique expliquant l’accélération de l’expansion de l’Univers, tandis que la tension de Hubble correspond aux différences entre les mesures de la vitesse de cette expansion (ou constante de Hubble). Ensemble, ces paramètres posent un problème majeur dans les modèles cosmologiques standards, que les physiciens tentent de résoudre depuis des décennies.
Ces théories reposent majoritairement sur la relativité générale d’Einstein, considérant la gravité comme une courbure de l’espace-temps. Cependant, la relativité ne peut entièrement expliquer ni l’existence de la matière et de l’énergie noires, ni celle de la tension de Hubble. En conséquence, certains théoriciens ont suggéré de l’adapter en proposant de nouvelles compréhensions de la gravité, plutôt que de s’appuyer sur l’existence hypothétique d’une force et d’une autre forme de matière. En d’autres termes, ces adaptations visent à éliminer la matière et l’énergie noires de l’équation.
Toutefois, ces hypothèses ont généralement donné des résultats mitigés. Parmi celles-ci figure par exemple la théorie de la dynamique newtonienne modifiée, qui est censée éliminer la matière noire. Cependant, des recherches contradictoires ont démontré qu’elle nécessite encore l’existence d’une forme dérivée de la matière noire. Une autre étude, plus récente, suggère que la gravité pourrait agir même en l’absence de masse, atténuant (voire éliminant) ainsi le besoin de matière noire. Des questions subsistent toutefois quant à sa cohérence.
D’autres groupes de physiciens se demandent alors si la théorie
unificatrice tant recherchée n’était pas déjà sous nos yeux depuis
le début. Proposée par Einstein lui-même après celle de la
relativité, la gravité téléparallèle pourrait
potentiellement résoudre ces problèmes.
Selon Paul M. Sutter, professeur
invité de physique et d’astronomie au Barnard College de
l’Université de Columbia, « elle offre de nombreuses possibilités
de modifier et d’ajuster la gravité – des modifications qui peuvent
survivre à tous les tests expérimentaux actuels tout en se
manifestant de manière à expliquer la matière noire et l’énergie
noire ».
Une théorie plus complexe et plus flexible pour expliquer la matière noire
Proposée en 1928 (environ une décennie après la relativité), la gravité téléparallèle a été initialement explorée par Einstein dans le but de décrire à la fois la gravité et l’électromagnétisme. En effet, bien que la théorie de la relativité puisse décrire un grand nombre de phénomènes physiques, elle ne peut expliquer la force électromagnétique. La gravité téléparallèle offrirait plus de flexibilité en introduisant la force de torsion. Dans cette vision, la matière et l’énergie noire influenceraient la distorsion de l’espace-temps.
Bien qu’Einstein semble avoir échoué à éprouver la théorie, des théoriciens ont découvert plus tard qu’en mettant de côté sa tentative d’intégrer l’électromagnétisme, ils pourraient proposer des versions de la gravité téléparallèle correspondant à la relativité. Autrement dit, les deux modèles donneraient les mêmes résultats en ce qui concerne la gravité, même si l’un prend en compte la force de torsion.
D’autre part, en 2017, des chercheurs ont découvert deux étoiles à neutrons en fusion projetant des ondes gravitationnelles et électromagnétiques parvenant jusqu’à la Terre à 3 secondes d’intervalle. Cela suggère que la force gravitationnelle et la lumière se déplacent presque à la même vitesse – une observation que la gravité téléparallèle a prédite.
Une complexité comportant des désavantages
Cependant, la complexité de la théorie, qui la rend difficile à tester et entrave son potentiel à effectuer des prédictions viables, comporte également des désavantages. « La complexité supplémentaire qui s’ajoute à la relativité confère à la théorie une ambiguïté troublante », explique Sautter. « Il n’est pas toujours évident que les riches structures mathématiques puissent se connecter de manière fiable à la réalité physique – en d’autres termes, que les mathématiques ne vous explosent pas au visage lorsque vous essayez de les appliquer à des scénarios réalistes ».
Néanmoins, des progrès ont été réalisés concernant l’exploration de ses liens avec la relativité. Des recherches ont par exemple démontré sa viabilité quant à la description des trous noirs et du Big Bang. D’importantes avancées ont également été réalisées concernant sa capacité à décrire des phénomènes que la relativité ne peut entièrement expliquer. D’après Sutter, il pourrait être possible de proposer une version de la gravité téléparallèle pouvant être démontrée expérimentalement tout en éliminant le besoin de matière noire, ou encore une version qui pourrait résoudre la tension de Hubble.
Toutefois, « il y a un défi encore plus grand : convaincre les plus sceptiques – les scientifiques eux-mêmes – de la validité de cette approche. Cela demanderait un effort considérable, la nature elle-même étant l’arbitre ultime », précise l’expert. Néanmoins, les résultats pourraient potentiellement résoudre les plus grands problèmes de la cosmologie, tout en restant vérifiables.