Un économiste avance que les grandes attentes par rapport à l’IA pourraient affecter négativement l’économie mondiale, contrairement à ce que prédisent la plupart des modèles économiques. Les perspectives économiques anticipées par les entreprises pourraient entraîner une hausse considérable des taux d’intérêt, tandis que les ménages augmenteraient leur épargne en prévision de l’inflation. Cela creuserait davantage les fossés dans la répartition des richesses en créant une forme de « dilemme du prisonnier ».
L’IA est généralement considérée comme une technologie transformatrice en raison de son potentiel perçu pour de nombreux domaines. Parmi les idées les plus populaires figurent son potentiel à accélérer les avancées scientifiques et la croissance économique des entreprises. Cette dernière est attribuée à la capacité de l’IA à automatiser les tâches et, par extension, à augmenter la productivité. Des rapports suggèrent que son adoption généralisée contribuera à augmenter de 7 % le PIB mondial, soit l’équivalent de près de 7 000 milliards de dollars.
Bien que la technologie affecte chaque secteur de façon distincte, l’avènement d’une IA de niveau humain pourrait accélérer l’automatisation. La généralisation de cette automatisation soulève des préoccupations en matière d’emplois et de distribution économique. Dans son état actuel, l’IA est capable de prendre en charge de nombreuses tâches auparavant effectuées par les humains. Les avancées à venir, notamment les agents IA et l’IA générale (IAG), pourraient rendre le travail humain économiquement obsolète dans la plupart des domaines.
Alors que la plupart des grandes transformations technologiques passées ont créé autant d’emplois qu’elles en ont supprimé, la prochaine génération d’outils d’IA offrirait une productivité bien supérieure, ce qui pourrait limiter la pertinence du travail humain à long terme. Les principaux acteurs de la technologie ont d’ailleurs laissé entendre des affirmations dans ce sens.
Sebastian Siemiatkowski, PDG de Klarna, a par exemple affirmé que l’agent IA de son entreprise pourra à terme effectuer le travail de 700 employés à temps plein et réduire de 22 % ses effectifs. Il a même récemment déclaré que la technologie pourrait prendre son poste. De son côté, Elon Musk, PDG de Tesla et de SpaceX, entre autres (et plus récemment membre de l’administration Trump), a affirmé que l’IA rendra la plupart des emplois facultatifs pour les humains dans un avenir relativement proche.
Ces transformations à venir soulèvent des inquiétudes quant à leur capacité à remodeler l’économie et la société à l’échelle mondiale. Selon Caleb Maresca, du Département d’économie de l’Université de New York, « contrairement à l’automatisation historique qui a créé de nouveaux rôles, l’IA générale pourrait permettre une substitution globale tout en concentrant les rendements : les ‘travailleurs’ de l’IA généreraient de la richesse, mais la propriété de ces systèmes resterait probablement aux détenteurs de capital existants ».
Autrement dit, il existerait un risque substantiel que l’IA creuse les écarts de richesses à l’échelle mondiale en les concentrant davantage chez une infime partie de la population. « Cela représente non seulement un déplacement d’emploi, mais aussi un changement structurel du rôle de la main-d’œuvre — de l’activité humaine au service du capital par l’intermédiaire de l’IA, ce qui profite à ceux qui ont plus de capital au détriment des autres », explique l’expert dans son document, récemment publié sur la plateforme arXiv.
Une augmentation des taux d’intérêt de 10 à 16 %
Selon le chercheur, le potentiel de l’IA à remodeler l’économie mondiale est influencé par deux mécanismes distincts. Le premier se manifesterait par la capacité à remplacer un grand nombre de travailleurs humains dans un objectif de croissance économique ou d’accélération des avancées scientifiques. Le second serait sa capacité à concentrer les avantages économiques attendus aux développeurs d’IA.
« Lorsque l’IA automatise un travail – qu’il s’agisse d’un chauffeur de camion, d’un avocat ou d’un chercheur –, les salaires précédemment gagnés par le travailleur humain ne disparaissent pas ou ne se transforment pas automatiquement en gains économiques plus importants », écrit l’économiste. « Au contraire, ils reviennent à celui qui contrôle le système d’IA qui effectue ce travail ».
D’après ses analyses, la simple idée selon laquelle l’IA réduira les coûts pour les entreprises pourrait entraîner des taux d’intérêt considérables compris entre 10 et 16 %, contre environ 3 % en temps normal. Cela signifierait que les coûts de création d’entreprise et d’acquisition de biens augmenteraient fortement.
Un creusement des fossés dans la répartition des richesses
Selon l’expert, ces attentes par rapport à la technologie pourraient modifier la manière dont la population consomme ou achète des biens et des services. Même les incertitudes entourant l’IA, seules, pourraient modifier le comportement économique actuel.
En prévision de la suppression d’emplois et de l’inflation, les ménages pourraient être incités à épargner davantage et à réduire leurs dépenses ou leurs investissements au fil des années. Bien que ce comportement soit avantageux au niveau individuel, cela engendrerait des impacts négatifs d’un point de vue macroéconomique.
Cette course à l’épargne créerait une forme de « dilemme du prisonnier » — une situation dans laquelle des acteurs économiques prennent des décisions basées sur la recherche de leur propre intérêt, mais qui desservent l’intérêt collectif — chez les ménages. La généralisation de ce type de comportement pourrait conduire les États-Unis et d’autres pays vers une réalité où une infime portion de la population détiendrait la majorité des richesses.
« Mes conclusions révèlent que les attentes vis-à-vis de [l’IA] peuvent avoir un impact considérable sur les conditions économiques actuelles avant même qu’une quelconque avancée technologique [réellement tangible] ne se produise », indique l’expert. Une solution pour atténuer ce risque serait d’encourager la mise en place de politiques visant à une meilleure répartition des richesses générées par l’IA.