Depuis plusieurs années, la Chine investit massivement dans la recherche sur la fusion nucléaire, une technologie susceptible de révolutionner la production énergétique en offrant une source propre et quasi inépuisable. Grâce à ses réacteurs expérimentaux, notamment le Tokamak supraconducteur expérimental avancé (EAST), la Chine ambitionne d’être la première nation à commercialiser cette technologie. Selon la China National Nuclear Corporation (CNNC), son dispositif, surnommé le « soleil artificiel », pourrait alimenter le réseau électrique national dès 2050, une échéance qui placerait le pays à l’avant-garde de cette révolution énergétique en devenir.
Mis en service en 2006 à Hefei, dans la province de l’Anhui, EAST a franchi des caps déterminants ces dernières années. En 2018, le réacteur a atteint pour la première fois une température de plasma de 100 millions de degrés Celsius, un seuil clé pour la fusion nucléaire. Depuis, ses performances n’ont cessé de progresser : en 2021, il a maintenu un plasma à 120 millions de degrés Celsius durant 101 secondes, puis à 160 millions de degrés pendant 20 secondes.
L’année 2023 a marqué une nouvelle avancée avec un temps de confinement porté à 403 secondes. Mais c’est en 2024 qu’un record sans précédent a été établi : le « soleil artificiel » chinois est parvenu à stabiliser un plasma durant 1 066 secondes, soit plus de 17 minutes.
Pour y parvenir, les chercheurs ont modernisé plusieurs composants, notamment le système de chauffage du plasma, dont la puissance a été doublée. Parallèlement à EAST, la Chine développe le réacteur HL-2M, conçu pour atteindre des températures encore plus élevées et optimiser le confinement du plasma.
Avec ces avancées, la Chine s’impose comme l’un des leaders mondiaux de la fusion nucléaire, aux côtés des grandes initiatives internationales, notamment le projet ITER en France. D’ailleurs, le 12 février dernier, le tokamak WEST, surnommé le « soleil artificiel français » et implanté dans les Bouches-du-Rhône, a battu à son tour le record du monde en maintenant un plasma stable durant 1 337 secondes (soit 22 minutes).
Un cap stratégique vers la production commerciale
Le programme chinois a franchi une nouvelle étape clé avec l’annonce la CNNC : une phase de démonstration devrait débuter en 2045, ouvrant la voie à une exploitation commerciale cinq ans plus tard. Cette accélération témoigne de l’ambition de la Chine de s’imposer dans un domaine où seuls quelques pays – États-Unis, Russie, Corée du Sud, France – ont enregistré des progrès significatifs.
En 2024, la CNNC a consolidé son programme en créant la China Fusion Corporation, une entité spécifiquement dédiée à la fusion nucléaire. Ce projet bénéficie déjà d’un investissement de 1,75 milliard de yuans (environ 228 millions d’euros), financé notamment par Zhejiang Zheneng Electric Power Co.
Ces fonds visent à développer des tokamaks de nouvelle génération, capables de produire de l’énergie sans émissions de gaz à effet de serre ni déchets radioactifs. Ce projet s’inscrit dans une stratégie énergétique plus large visant à réduire la dépendance du pays aux énergies fossiles et à renforcer son indépendance énergétique.
Un tournant décisif pour l’énergie mondiale ?
Au-delà de la fusion, la Chine poursuit également l’expansion de son parc nucléaire conventionnel. Xin Feng, vice-directeur général de la CNNC, a récemment déclaré que l’entreprise allait intensifier la production de réacteurs à fission, notamment des modèles conçus localement et des petits réacteurs modulaires.
D’ici 2030, la Chine pourrait ainsi dépasser les États-Unis et la France pour devenir le premier exploitant mondial de réacteurs nucléaires. Depuis les pénuries d’électricité de 2022, le pays a accéléré son programme de construction, validant chaque année une dizaine de nouveaux réacteurs, un rythme qui devrait se maintenir jusqu’à la fin de la décennie.
Si la Chine parvient à maîtriser la fusion nucléaire à grande échelle, l’impact sur le paysage énergétique mondial serait considérable. Une source d’énergie propre et abondante pourrait changer radicalement les modèles de production et consolider la position stratégique de la Chine dans le secteur énergétique et technologique.
Toutefois, d’importants défis demeurent : le confinement du plasma, l’optimisation des infrastructures et l’efficacité énergétique des réacteurs restent autant d’obstacles à surmonter avant une exploitation commerciale viable. En attendant, la course à la fusion nucléaire se poursuit, avec des enjeux qui dépassent largement les frontières chinoises.