En exploitant une technique d’imagerie de pointe habituellement utilisée pour la rétine, des chercheurs révèlent que pour réguler la sensibilité de l’oreille aux sons et compenser la perte auditive, le cerveau envoie des signaux amplifiés vers la cochlée – une structure interne essentielle au traitement des sons. Ce processus rétrograde pourrait contribuer à des affections telles que l’hyperacousie et les acouphènes et constituer ainsi une cible médicamenteuse prometteuse.
La cochlée est l’organe en forme de spirale de l’oreille interne responsable de la conversion des ondes sonores en signaux nerveux. Pour ce faire, les cellules ciliées tapissant sa surface détectent les ondes sonores dans l’air et les convertissent en signaux électriques, qui sont ensuite transmis au nerf auditif pour parvenir jusqu’au cerveau. La majorité des troubles de l’audition sont liés à des altérations au niveau de la cochlée. Des lésions au niveau des cellules ciliées sont par exemple relevées chez les patients souffrant d’hyperacousie.
Cependant, alors que la grande majorité des nerfs cochléaires transmettent les informations depuis la cochlée vers le cerveau, environ 5 % envoient des signaux en sens inverse, c’est-à-dire du cerveau vers la cochlée. Le rôle exact de ces fibres rétrogrades demeure à ce jour partiellement incompris, mais il a été suggéré qu’elles pourraient être associées aux troubles de l’audition comme l’acouphène et l’hyperacousie.
Ce manque de compréhension s’explique en partie par la difficulté à mesurer l’activité cochléaire chez l’humain et les modèles animaux éveillés. Afin de combler les lacunes, les chercheurs de la Keck School of Medicine de l’Université de Californie du Sud et du Baylor College of Medicine de Houston, au Texas, ont développé une nouvelle méthode d’observation de l’activité de l’oreille interne en adaptant une technique d’imagerie habituellement utilisée pour la rétine.
« L’OCT [la technique utilisée] nous permet d’observer le conduit auditif, à travers le tympan et l’os, jusqu’à la cochlée, et d’en mesurer le fonctionnement, de manière non invasive et indolore », explique dans un communiqué le coauteur de l’étude, John Oghalai, professeur et titulaire de la chaire d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, et de la chaire de médecine Leon J. Tiber et David S. Alpert à la Keck School of Medicine. « Ce qui est passionnant, c’est que cela nous permet d’étudier en temps réel comment le cerveau contrôle la cochlée », affirme-t-il.
Une technique d’imagerie habituellement utilisée pour la rétine
Une théorie suggère que les nerfs auditifs rétrogrades (fibres efférentes) régulent la réponse de la cochlée au son à court terme, de la même manière que nos pupilles se contractent en réponse à une lumière vive et soudaine. Pour explorer cette hypothèse, les chercheurs de la nouvelle étude – publiée dans le Journal of Neuroscience — ont utilisé une technique d’imagerie appelée tomographie par cohérence optique (OCT). Elle est utilisée en ophtalmologie pour scanner la rétine et détecter des pathologies telles que le glaucome et la dégénérescence maculaire.
Le dispositif d’OCT utilise des ondes lumineuses pour analyser les tissus et créer une image tridimensionnelle des structures internes, à l’instar de l’échographie, qui utilise des ondes sonores. Cela a permis à Oghalai et ses collègues de capturer en temps réel l’activité cochléaire de souris et d’observer leurs réactions aux stimuli à court terme.
Parallèlement, l’équipe a suivi l’évolution de l’activité cérébrale des souris en mesurant les fluctuations de la taille de leurs pupilles. Toutefois, l’activité cochléaire est restée stable malgré les changements d’état cérébral, ce qui suggère que la cochlée ne module pas l’audition à court terme.
Un processus rétrograde exacerbant l’activité de la cochlée
La seconde étape de l’expérience consistait à modifier génétiquement les souris afin de désactiver les nerfs transportant les informations de l’oreille interne vers le cerveau, ce qui a entraîné une perte d’audition. Le suivi des activités cochléaires a montré que la cochlée tentait de compenser en s’activant plus fortement que d’habitude. Cette amplification se produisait uniquement lorsque les fibres efférentes étaient intactes.
Aussi utile que puisse être ce processus pour compenser la perte auditive, les chercheurs suggèrent qu’il pourrait avoir des effets secondaires. En augmentant la capacité de traitement sonore de la cochlée, ce phénomène pourrait provoquer des bourdonnements désagréables, similaires aux sifflements aigus perçus lorsque l’on augmente le volume d’un haut-parleur sans signal sonore.
« Avec l’âge et la mort de nos cellules ciliées, nous commençons à perdre l’audition. Ces résultats suggèrent que le cerveau peut envoyer des signaux aux cellules ciliées restantes, leur indiquant d’augmenter le volume », explique Oghalai. La prochaine étape de la recherche consistera à identifier des composés pouvant cibler et bloquer ces fibres efférentes et d’en évaluer l’effet sur les acouphènes et l’hyperacousie.
Par ailleurs, ces travaux montrent que l’OCT pourrait être utilisée pour améliorer le diagnostic des troubles auditifs. « C’est la première étape vers un outil qui nous permet d’examiner l’oreille d’un patient, de découvrir quel est le problème et de le traiter », suggère Oghalai. L’équipe d’Oghalai teste actuellement une version de l’outil chez des patients dans le cadre d’une nouvelle étude.
« Acouphènes, les reconnaître et les oublier »
Les personnes souffrant d’acouphènes ont souvent entendu des phrases comme « Il n’y a rien à faire » ou « Il faut s’y habituer ». Pourtant, pour les 3 à 30 % de la population dont les acouphènes perturbent la vie quotidienne ou nuisent à la qualité de vie, des solutions existent bel et bien. Le diagnostic d’acouphènes marque un avant et un après, où l’adaptation est essentielle. Ce processus d’habituation, bien qu’indispensable, est loin d’être linéaire : il alterne entre phases de progression et moments de difficulté, nécessitant un accompagnement personnalisé pour chaque individu.
Dans son livre « Acouphènes, les reconnaître et les
oublier », Sylvie Hébert répond notamment aux questions « Que
sont les acouphènes ? Qui et quand consulter ? Quels sont les
facteurs de risque et les problèmes associés à divers troubles de
l’audition ? Quelles sont les techniques et les solutions pour
améliorer la situation et retrouver l’espoir ? ». Disponible
ici.