Longtemps perçus comme de simples abîmes gravitationnels, les trous noirs continuent de poser un redoutable défi aux lois de la physique. La relativité générale les décrit comme des objets lisses et dépourvus de structure interne, tandis que la mécanique quantique laisse entrevoir une complexité invisible. Pour tenter de réconcilier ces deux visions, une équipe de chercheurs avance une hypothèse audacieuse : à l’intérieur des trous noirs se déploieraient des « super-labyrinthes », des réseaux de cordes multidimensionnelles issus de la théorie des cordes. Une piste théorique prometteuse pour sonder leur microstructure.
Les trous noirs, ces singularités gravitationnelles d’où rien ne peut s’échapper, posent un casse-tête théorique depuis des décennies. Si la relativité générale d’Einstein permet d’en modéliser les effets à grande échelle, elle se révèle inadéquate pour en décrire l’intérieur au niveau quantique.
Dans cette zone encore inexplorée, des hypothèses audacieuses, telles que celle des « super-labyrinthes », ouvrent une nouvelle voie pour appréhender les propriétés fondamentales des trous noirs dits « branaires », dont la description implique l’existence de dimensions spatiales supplémentaires.
C’est dans cette perspective qu’une équipe de physiciens de l’Université de Californie du Sud (USC), conduite par Nicholas Warner, professeur de physique, d’astronomie et de mathématiques au USC Dornsife College of Letters, Arts and Sciences, propose une construction conceptuelle innovante.
« La relativité générale est un cadre puissant pour comprendre la structure macroscopique des trous noirs, mais elle reste un outil approximatif lorsqu’il s’agit de leur microstructure », déclare Warner dans un communiqué. Selon lui, la théorie des cordes, qui vise à unifier les forces fondamentales, pourrait fournir les outils manquants pour cette exploration.
Les travaux antérieurs de Warner et de ses collaborateurs ne permettaient qu’une représentation floue des trous noirs, analogue à une image numérique de faible définition. Les « super-labyrinthes » offriraient, en comparaison, une résolution mille fois supérieure, équivalente — par analogie — à une image de haute définition à un milliard de pixels. Cette finesse d’analyse permettrait d’entrevoir la structure interne de ces objets, restée jusqu’ici hors de portée de toute observation directe.
Des cordes qui vibrent dans onze dimensions
Dans le cadre de cette recherche, les scientifiques s’appuient sur la théorie M, une extension de la théorie des cordes qui postule un univers à onze dimensions — bien au-delà des quatre que nous percevons (trois dimensions spatiales et une temporelle). Ce cadre décrit un univers composé de « branes », membranes vibrantes aux propriétés multidimensionnelles.
« Le labyrinthe est une structure extrêmement complexe, avec de multiples pièces, des intersections et des couches superposées », explique Warner au Scientific American. « Ces murs sont les branes, et leurs intersections représentent les points de contact entre objets bidimensionnels et entités à cinq dimensions. Ils s’attirent mutuellement, se plient et se recomposent », poursuit-il.
Les chercheurs ont concentré leur attention sur l’interaction entre les M2-branes (bidimensionnelles) et les M5-branes (à cinq dimensions) dans un cadre de supergravité — version simplifiée de la théorie M. Cela les a conduits à définir une « fonction labyrinthe », un outil mathématique destiné à reproduire l’entropie des trous noirs et à modéliser leurs micro-états.
« Les fonctions labyrinthe jouent un rôle central dans la connexion entre les configurations de branes et les solutions de supergravité. Elles ouvrent un accès nouveau à la description des micro-états des trous noirs », souligne Warner.
Selon le document d’étude, publiée dans le Journal of High Energy Physics, ces travaux s’inscrivent dans la continuité de recherches antérieures sur les micro-états, mais apportent une formulation affinée grâce à cette fonction. Ils proposent également de remplacer la représentation classique du trou noir par celle d’une « boule de poils » (fuzzball) — un objet possédant une structure interne complexe, tout en se comportant extérieurement comme un trou noir.
Ce modèle permettrait de conserver toutes les informations relatives au contenu du trou noir, potentiellement en mesure de résoudre le paradoxe de l’information, l’un des problèmes les plus persistants de la physique théorique.
Warner précise toutefois que ces résultats ne constituent qu’« une première étape dans un programme de recherche plus large, visant à élaborer une description complète de la microstructure des trous noirs branaires à travers le prisme de la théorie des cordes ».