Une percée au LHC révèle un nouvel indice sur la disparition de l’antimatière

La violation de la symétrie de charge-parité a été observée pour la première fois dans les baryons.

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Illustration artistique de la brisure de symétrie charge-parité dans un baryon beauté-lambda. | Daniel Dominguez / CERN
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En analysant des années de données de collisions du Grand collisionneur de hadrons (LHC), des physiciens ont pour la première fois observé la brisure — ou violation — de la symétrie charge-parité dans la désintégration de particules baryoniques, révélant une différence de comportement entre la matière et l’antimatière. Comme les baryons composent l’essentiel de la matière dans l’Univers, cette découverte constitue une pièce essentielle du puzzle visant à expliquer pourquoi la matière a prévalu sur l’antimatière après le Big Bang.

La principale distinction entre la matière et l’antimatière réside dans la charge opposée des particules qui les constituent. Bien que cette différence puisse a priori paraître mineure, cela implique qu’elles s’annihilent mutuellement lorsqu’elles entrent en contact. Au début de l’Univers, juste après le Big Bang, des quantités égales de matière et d’antimatière auraient dû logiquement être créées. Mais si tel avait été le cas, l’Univers tout entier — y compris la Voie lactée et tout ce qu’elle abrite — aurait dû disparaître.

Une explication possible de notre existence est que le Big Bang aurait favorisé la matière au détriment de l’antimatière. Toute la matière présente aujourd’hui aurait ainsi échappé à l’annihilation massive qui aurait dû survenir — un mystère de longue date que les physiciens s’efforcent d’élucider depuis plusieurs décennies.

Dans un univers simplifié, l’inversion de la charge et de la position spatiale d’une particule ne devrait pas modifier son comportement. Ce principe, appelé « symétrie charge-parité » (ou symétrie CP), a longtemps été considéré comme aussi fondamental que la conservation de l’énergie. Toutefois, un certain degré de violation de cette symétrie a été prédit au milieu du XXe siècle dans le cadre du modèle standard de la physique des particules.

Une rupture discrète dans l’ordre fondamental

Cependant, cette prédiction demeure insuffisante pour rendre compte de la prédominance de la matière dans l’Univers. « La violation de CP est l’un des éléments essentiels pour expliquer l’asymétrie matière-antimatière. Cependant, les physiciens estiment que l’ampleur de la violation de CP dans la nature doit être bien supérieure à celle prédite par le modèle standard de la physique des particules », explique Xueting Yang, physicienne à l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), à ScienceAlert.

Les chercheurs en ont déduit que cette source supplémentaire de violation de la symétrie CP pourrait provenir d’une physique encore inconnue. Dans une récente étude publiée dans la revue Nature, Xueting Yang et ses collègues ont peut-être découvert les premières traces de cette physique, en mettant en évidence pour la première fois une violation de la symétrie CP lors de la désintégration de particules baryoniques.

« Plus nous observons de systèmes dans lesquels des violations de CP sont détectées, et plus les mesures sont précises, plus nous avons de possibilités de tester le modèle standard et d’explorer la physique au-delà de celui-ci », indique, dans un communiqué du CERN, Vincenzo Vagnoni, porte-parole du programme LHCb. « La toute première observation d’une violation de CP dans une désintégration baryonique ouvre la voie à de nouvelles recherches théoriques et expérimentales sur la nature de cette violation, offrant potentiellement de nouvelles contraintes pour la physique au-delà du modèle standard », ajoute-t-il.

La violation de la symétrie CP avait été détectée pour la première fois dans les années 1960 dans une classe de particules appelées mésons, composées d’une paire quark-antiquark. Depuis lors, les scientifiques ont mené de nombreuses recherches pour identifier cette rupture de symétrie chez d’autres types de particules, en particulier les baryons, formés de trois quarks. Jusqu’à présent, aucune observation directe n’avait été réalisée.

Une prouesse rendue possible par le LHC

« La raison pour laquelle il a fallu plus de temps pour observer la violation de CP dans les baryons que dans les mésons est liée à l’ampleur de l’effet et à la quantité de données disponibles », explique Vagnoni. « Nous avions besoin d’une machine comme le LHC, capable de produire un nombre suffisant de baryons de beauté \[des baryons contenant au moins un quark « bottom » ou quark « beauté »] et de leurs équivalents en antimatière, ainsi que d’une expérience sur cet accélérateur capable d’identifier précisément leurs produits de désintégration », précise-t-il.

Les particules et leurs antiparticules ont des masses identiques et des charges opposées. Cependant, lorsque ces particules se désintègrent pour former d’autres entités — comme c’est le cas dans les processus de désintégration radioactive — la violation CP introduit une rupture dans cette symétrie miroir. Cela se manifeste, par exemple, par des différences de vitesses de désintégration ou par une différence de masse chez leurs homologues d’antimatière.

L’équipe dirigée par Xueting Yang a analysé plus de 80 000 désintégrations baryoniques pour détecter une telle asymétrie. Les chercheurs ont porté leur attention sur la désintégration du baryon lambda de beauté (Λ b), un parent plus massif et éphémère des protons et neutrons, composé d’un quark up, d’un quark down et d’un quark beauté. Les données ont été recueillies par le détecteur LHCb entre 2009 et 2013, puis entre 2015 et 2018.

desintegration baryon
Illustration des produits de désintégration de la matière et de l’antimatière, et de la manière dont le LHC les capte. © Collaboration LHCb

Une asymétrie mesurée dans la désintégration des baryons

La particule Λ b devait se désintégrer en un proton, un kaon et une paire de pions de charges opposées, tandis que l’anti-Λ b donnait naissance à leurs équivalents en antimatière. L’objectif était d’identifier d’éventuelles disparités dans leurs modes de désintégration. Si la symétrie CP est conservée, alors les particules et antiparticules devraient produire des désintégrations symétriques.

Or, les chercheurs ont relevé une différence de 2,5 % dans les comportements de désintégration de la Λ b et de l’anti-Λ b. « Cela peut paraître minime, mais les résultats sont statistiquement suffisamment significatifs », souligne Yang dans *ScienceAlert*. « Ils montrent que Λb et anti-Λb ne se désintègrent pas de manière identique, ce qui permet d’observer une violation de CP dans les baryons », ajoute-t-elle.

Il est par ailleurs important de noter que cette violation CP a atteint une valeur statistique de 5,2 sigma, soit un niveau supérieur au seuil requis pour valider l’existence d’un tel phénomène dans cette désintégration baryonique. Concrètement, la probabilité que l’effet observé soit dû au hasard est estimée à une sur dix millions. Pour enthousiasmante qu’elle soit, cette avancée demeure néanmoins insuffisante pour expliquer à elle seule la domination de la matière dans l’Univers ; elle ne constitue qu’une pièce supplémentaire dans la résolution de l’énigme.

« La violation de CP observée dans les désintégrations baryoniques — comme dans le nouveau résultat de LHCb — est cohérente avec les prédictions du modèle standard. Elle ne fournit donc pas une violation de CP suffisante pour résoudre à elle seule l’énigme matière-antimatière », explique Yang. Mais elle ouvre une nouvelle perspective sur le comportement de la violation de CP dans le secteur baryonique, un domaine jusqu’alors largement inexploré », conclut-elle.

Source : Nature
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