En utilisant le A Large Ion Collider Experiment (ALICE) du Grand collisionneur de hadrons (LHC), des chercheurs ont détecté de l’antihyperhélium-4, l’hypernoyau d’antimatière le plus lourd jamais enregistré. Cette détection fait suite à celle de l’antihyperdrogène-4 (le précédent record de masse) et pourrait apporter des éléments pour mieux comprendre le mystère de l’asymétrie matière-antimatière dans l’Univers.
Les collisions d’ions lourds du LHC produisent du plasma de quarks et de gluons. Également appelée « soupe primordiale », cette matière chaude et dense aurait rempli l’Univers environ un millionième de seconde après le Big Bang. Les collisions créent également des noyaux atomiques, des particules exotiques appelées « hypernoyaux » et leurs homologues d’antimatière, les antinoyaux et les antihypernoyaux.
Découverts pour la première fois dans les années 70, les hypernoyaux sont des particules compactes d’environ 2 femtomètres de diamètre (1 femtomètre correspond à 10-15 mètres) contenant des protons et des neutrons, ainsi que des particules instables appelées « hypérons ». Alors que les protons et les neutrons contiennent deux types de quarks dits « up » et « down », les hypérons contiennent un ou plusieurs quarks dits « étranges ».
Les physiciens estiment que la détection et la quantification de ces particules sont essentielles à la compréhension de l’asymétrie matière-antimatière (la prédominance de la matière par rapport à l’antimatière) observée dans l’Univers actuel. L’origine de ce déséquilibre constitue notamment l’une des plus grandes énigmes de la physique moderne, étant donné que la matière et l’antimatière existaient en quantités égales au tout début de l’Univers. Ce déséquilibre est néanmoins essentiel à l’existence de l’Univers, car la matière et l’antimatière s’annihilent au contact l’une de l’autre.
Cependant, les hypernoyaux sont extrêmement rares dans la nature et très difficiles à créer en laboratoire. Jusqu’à récemment, seuls l’hypertriton et l’antihypertriton, l’hypernoyau le plus léger et son homologue antimatière, ont pu être observés. Un hypertriton est composé d’un proton, d’un neutron et d’une particule lambda (un hypéron contenant un quark étrange), tandis que l’antihypertriton est composé d’un antiproton, d’un antineutron et d’un antilambda.
L’antihyperhydrogène-4 a récemment été détectée à l’aide du collisionneur d’ions lourds relativistes (RHIC) à New York et était jusqu’à présent la particule d’antimatière la plus lourde observée. La collaboration ALICE fait suite à cette expérience avec la détection de l’antihyperhélium-4. « Dans la foulée de l’observation d’antihyperhydrogène-4 (composé d’un antiproton, de deux antineutrons et d’un antilambda) rapportée plus tôt cette année par la collaboration STAR au RHIC, la collaboration ALICE au LHC a maintenant observé la toute première preuve d’antihyperhélium-4, qui est composé de deux antiprotons, d’un antineutron et d’un antilambda », expliquent dans un communiqué les chercheurs de la collaboration ALICE. Les résultats de l’expérience sont décrits sur le serveur de prépublication arXiv.
Des résultats correspondant aux prédictions théoriques
Alors que la plupart des détecteurs du LHC utilisent la collision de protons pour détecter certaines particules, ALICE crée un plasma quark-gluon en faisant entrer en collision des particules beaucoup plus lourdes. Pour détecter l’antihyperhélium-4, le détecteur a effectué des collisions plomb-plomb avec une énergie d’accélération de 5,02 téraélectronvolts. Afin de détecter la signature de la particule d’antimatière, les chercheurs ont utilisé un algorithme d’apprentissage automatique dont la capacité de détection surpasse les techniques conventionnelles.
Plus précisément, l’algorithme a ratissé les données d’ALICE pour détecter les signatures d’hyperhydrogène-4, d’hyperhélium-4 et de leurs équivalents antimatière. Les candidats antihyperhydrogène-4 ont été identifiés en recherchant le noyau d’antihélium-4 et le pion chargé (une particule secondaire crée par l’annihilation matière-antimatière) en lequel ils se désintègrent. En revanche, les candidats antihyperhélium-4 ont été identifiés par la détection de leur désintégration en un noyau d’antihélium-3, un antiproton et un pion chargé.
En plus de détecter les signatures d’antihyperhydrogène-4 et d’antihyperhélium-4, l’équipe a également pu déterminer leurs masses ainsi que la quantité produite lors des collisions plomb-plomb. Les résultats concernant les masses sont en accord avec les prédictions des théories actuelles de la physique des particules. Ils indiquent également que les particules d’antimatière et de matière sont produites à des quantités égales à partir du plasma quark-gluon et aux niveaux d’énergie dont le LHC est capable d’atteindre.
« Pour les deux hypernoyaux, les masses mesurées sont compatibles avec les valeurs moyennes mondiales actuelles », expliquent les chercheurs. « Les rendements de production mesurés ont été comparés aux prédictions du modèle statistique d’hadronisation [le processus par lequel des gluons et quarks libres s’assemblent en hadrons], qui fournit une bonne description de la formation de hadrons et de noyaux dans les collisions d’ions lourds », ajoutent-ils.
Toutefois, les données n’ont pas encore montré de signes pouvant indiquer les prémices d’un déséquilibre matière-antimatière. Néanmoins, la détection de ces deux particules d’antimatière lourdes pourrait fournir d’importants indices à cet effet.