Un couple d’orques a été surpris en train de s’embrasser, en joignant leurs bouches et en se mordillant la langue, dans les eaux des fjords de Kvænangen, au nord de la Norvège. Si ce comportement avait déjà été documenté chez des orques en captivité, c’est la première fois qu’il est observé en milieu sauvage. Selon les chercheurs, il pourrait jouer un rôle dans l’établissement ou le renforcement des liens sociaux chez ces mammifères marins particulièrement intelligents.
L’étude du comportement animal offre de précieuses informations sur la dynamique biologique et écologique des espèces. Les animaux sociaux, tels que les primates, de nombreux insectes et les cétacés, présentent des répertoires comportementaux complexes destinés à faciliter la communication et la cohésion du groupe. Chez les primates, par exemple, des comportements spécifiques participent à la hiérarchisation du groupe ou aux réconciliations après un conflit.
Cependant, l’étude des cétacés demeure particulièrement difficile, en raison de leur habitat marin et du fait que la majorité de leurs interactions sociales se déroule sous la surface de l’eau. Les observations directes se limitent donc généralement à ce qui est visible en surface ou à proximité. Des études menées sur des cétacés en captivité ont tenté de pallier ces limites, mais les données faisaient jusque-là défaut concernant les interactions en milieu naturel.
L’étonnant comportement relevé par des chercheurs citoyens — des bénévoles participant à des projets de recherche scientifique en collaboration avec des professionnels — de la Fondation Loro Parque (Espagne) et de Wild-Encounters (Pays-Bas) constitue l’un des rares à avoir été observé sous l’eau chez des cétacés sauvages, grâce à une expédition de snorkeling.
« Cette découverte souligne l’importance de l’observation éthologique sous-marine pour saisir les comportements sociaux cryptiques des cétacés et illustre l’intérêt d’intégrer la science citoyenne à la documentation comportementale systématique », précisent-ils dans leur étude publiée dans la revue Oceans.
Une partie du répertoire social naturel de l’espèce
L’étude rapporte l’observation de deux orques (Orcinus orca) adultes et sauvages se mordillant délicatement la langue dans les fjords de Kvænangen, à environ 109 kilomètres au nord-est de Tromsø, en Norvège. L’interaction, filmée de manière opportuniste lors d’une sortie en snorkeling en octobre 2024, a duré près de deux minutes et consistait en des contacts oraux répétés, face à face. À l’issue de ce « baiser », les deux animaux se sont séparés.

Des comportements similaires avaient été décrits en 1978 chez des orques en captivité, puis en 2013 au zoo de Loro Parque, en Espagne. Ces interactions figurent parmi les rares relatées par des dresseurs et des plongeurs, qui affirmaient avoir observé des orques se mordillant la langue. Ce comportement semble toutefois avoir disparu depuis plusieurs années.
« Le mordillement de langue est extrêmement rare », souligne Javier Almunia, co-auteur de l’étude, chercheur en mammifères marins et directeur de la Fondation Loro Parque, dans un entretien à LiveScience. « Les soigneurs d’orques de plusieurs établissements connaissent ce comportement, mais sa fréquence est très faible ; il peut apparaître puis ne plus être observé pendant des années », précise-t-il. Son observation en milieu naturel suggère qu’il fait bien partie du répertoire social spontané de l’espèce.

Les chercheurs avancent qu’il pourrait contribuer à la formation ou au renforcement des liens sociaux, comme chez les bélugas (Delphinapterus leucas), qui présentent eux aussi des interactions buccales comparables. Ces dernières pourraient constituer une forme de communication plus polyvalente chez les cétacés que chez les mammifères terrestres, compte tenu de leur morphologie.
Chez les animaux terrestres, les contacts buccaux jouent également un rôle social. Les primates s’embrassent ou se touchent les lèvres en signe de confiance ou d’amitié. « Ce comportement semble servir à des fins d’affiliation et peut participer au renforcement des liens sociaux ou à la résolution des conflits, à l’instar du toilettage ou de comportements de réconciliation observés chez d’autres espèces sociales », note Almunia. D’autres espèces, comme les chiens ou les loups, utilisent ce type de contact pour exprimer une soumission envers des individus de rang supérieur.
Il est aussi possible qu’il s’agisse d’un simple jeu ou d’une tendance passagère, à l’image du fameux « chapeau de saumon ». Mais puisqu’il s’agit de la toute première observation en milieu naturel, aucune conclusion définitive ne peut être tirée. « Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur sa fonction ; personne ne peut l’affirmer sans données le reliant aux structures sociales connues dans la nature », observe Luke Rendall, chercheur à l’université de St Andrews (Écosse), non impliqué dans l’étude.
De plus, rappelle-t-il, les comportements observés en captivité ne reflètent pas nécessairement celles en milieu sauvage, car « la structure sociale y est artificielle et donc inadaptée à la compréhension de leur fonction dans l’évolution ». Pour autant, « l’étude met en lumière l’intérêt scientifique des populations gérées pour la recherche éthologique, tout en soulignant la nécessité éthique de protocoles stricts d’interaction avec la faune dans le cadre du tourisme marin », concluent les auteurs.