Alors qu’elle est présentée comme une technologie susceptible de transformer l’économie mondiale, l’adoption de l’IA connaît un déclin notable auprès des grandes entreprises, d’après une récente enquête menée aux États-Unis. Ces nouvelles observations arrivent à point nommé alors que de plus en plus d’investisseurs s’inquiètent quant à la rentabilité à long terme de la technologie et d’une éventuelle stagnation de l’innovation dans le domaine.
L’IA a connu une croissance rapide depuis le lancement de ChatGPT en 2022. De nombreuses entreprises se sont mises à intégrer la technologie pour automatiser de larges pans de leurs opérations. Cette automatisation est censée générer un gain de productivité considérable. Les analyses économiques estiment que cela pourrait contribuer à terme à une croissance significative de l’économie mondiale (jusqu’à 7% du PIB selon les prévisions).
L’intégration de l’IA par les entreprises a suscité de vives inquiétudes quant aux impacts sur le marché de l’emploi, l’automatisation impliquant inévitablement des licenciements massifs. Les analystes s’accordent à dire que le monde du travail est en pleine mutation. Une récente étude de l’Université de Stanford indique par exemple une baisse de 13% de l’emploi chez les travailleurs âgés de 22 à 25 ans, depuis 2002.
Cependant, un changement semble se produire depuis peu. Si les prévisions initiales laissaient entrevoir un potentiel de croissance, les discours apparaissent désormais plus mitigés. Des rapports indiquent que la majeure partie des entreprises ne parviennent pas à rentabiliser l’IA et peinent à l’adopter pleinement dans leurs opérations. Certaines se mettraient même à recruter de nouveau des employés pour des tâches qu’elles prévoyaient initialement d’automatiser.
« Ce que je constate, c’est que l’humain revient en force », a déclaré Kelly Monahan, directrice générale de l’Upwork Research Institute, à Fortune. « Nous constatons même que les compétences humaines deviennent primordiales », a-t-elle ajouté. Or, la croissance économique prédite pour l’IA dépend étroitement de la vitesse et du taux d’adoption de la technologie par les entreprises.
La nouvelle enquête du Bureau américain du recensement vient renforcer ces constats en signalant un déclin rapide de l’adoption de l’IA par les grandes entreprises. « Les données bimensuelles du recensement commencent à montrer un ralentissement de l’adoption de l’IA par les grandes entreprises », indique le rapport publié par l’Apollo Academy.
Des baisses d’adoption et des programmes pilotes mis en échec
L’enquête bimensuelle du Bureau du recensement a été menée auprès de 1,2 million d’entreprises comprenant entre moins de 4 et plus de 250 salariés. L’étude demandait aux entreprises si elles utilisaient des outils d’IA tels que l’apprentissage automatique, le traitement du langage naturel, les agents virtuels ou la reconnaissance vocale pour produire des biens ou des services au cours des dernières semaines.
Les résultats indiquent que le taux d’utilisation de l’IA est passé de 14 à 12% entre la mi-juin et le mois d’août pour les entreprises de plus de 250 salariés. Bien qu’elle semble légère, il s’agirait de la plus forte baisse d’utilisation de l’IA par les entreprises depuis le lancement de l’enquête, en septembre 2023, et ce sur une période de seulement quelques semaines. Le taux d’adoption a légèrement augmenté dans les très petites entreprises mais demeure bas (4,8%), tandis qu’il a stagné au sein des entreprises de taille moyenne (5,5%).
Cette baisse d’adoption a été précédée d’une forte hausse. Entre septembre 2023 et décembre 2024, le taux global d’adoption de l’IA est passé de 3,7% à 5,7%. Ce chiffre est monté à 9,2% au cours du second trimestre de cette année. Les données récentes sur la baisse du taux d’utilisation concordent néanmoins avec celles de précédentes enquêtes. Celle menée par le MIT révèle par exemple que 95% des programmes pilotes menés par les entreprises autour de l’IA générative n’ont pas apporté les bénéfices escomptés.



Une stagnation de l’innovation technologique ?
Ces constats pourraient avoir des implications significatives tant pour l’évolution du secteur technologique que pour celle du marché du travail. Les résultats de l’étude du MIT ont d’ailleurs été suivis par une vague de ventes d’actions technologiques, selon Fortune. Les entreprises semblent désormais réévaluer les avantages à long terme que pourrait apporter l’intégration de l’IA dans leurs opérations.
Les raisons derrière cette baisse soudaine d’adoption demeurent incertaines, mais certains indices laissent penser à une stagnation des performances technologiques. Le modèle GPT-5 d’OpenAI, très attendu, était par exemple annoncé comme devant offrir des performances nettement supérieures. Or, des rapports suggèrent qu’elles ne dépassent que marginalement, voire pas du tout, celles des modèles concurrents déjà existants.
D’après Monahan, la reprise du recrutement par certaines entreprises apparaît comme une réponse logique au déclin de l’usage de l’IA, mais aussi comme une manière de contrebalancer l’automatisation. Ce mouvement semble favoriser à la fois l’acquisition de nouvelles compétences par les travailleurs et la revalorisation des aptitudes spécifiquement humaines. « Chaque évolution technologique majeure a remodelé l’éventail des compétences en faisant progresser les individus dans la chaîne de valeur », explique-t-elle au journal.
« À mesure que l’automatisation prend en charge certaines tâches, la demande de compétences spécifiquement humaines – jugement, communication et compréhension contextuelle – augmente », conclut-elle.