Des chercheurs ont extrait et séquencé les molécules d’ARN les plus anciennes jamais prélevées à partir des restes momifiés d’un mammouth laineux vieux de près de 40 000 ans. Il s’agit également de la première fois que des molécules d’ARN ont pu être extraites d’un spécimen de mammouth laineux. Ces données pourraient offrir un nouvel aperçu de l’histoire de la mégafaune préhistorique et des écosystèmes au sein desquels ils ont évolué.
L’ARN joue un rôle essentiel dans les fonctions cellulaires, notamment en transportant l’information génétique, en produisant des protéines fonctionnelles et en régulant l’expression des gènes. Autrement dit, l’ARN permet d’identifier quels gènes sont actifs au niveau de l’ADN et l’ADN seul ne permet pas d’appréhender entièrement toutes les fonctions cellulaires actives.
Cependant, comme l’ARN se dégrade très facilement après la mort, sa récupération sur des fossiles ou des restes anciens est difficile. Si l’ADN ancien est suffisamment stable pour être prélevé sur des échantillons datant de plusieurs millions d’années, l’ARN est trop fragile et se dégrade rapidement après la mort sous l’action d’enzymes spécifiques. Étant donné le peu de probabilité que l’ARN persiste sur des fossiles, les études se concentrant sur l’ARN ancien sont rares.
De récentes études ont néanmoins remis en question cette hypothèse. En 2023, des chercheurs ont par exemple extrait de l’ARN de la peau et des muscles des restes d’un tigre de Tasmanie (Thylacinus cynocephalus) datant de plus de 130 ans. Une autre équipe est également parvenue à extraire de l’ARN de l’estomac d’une momie humaine congelée datant de 5 300 ans.
Cependant, malgré ces avancées, l’étude de l’ARN ancien n’en est qu’à ses balbutiements. La nouvelle étude codirigée par l’Université de Stockholm, en Suède, sur l’ARN ancien de mammouth laineux (Mammuthus primigenius) figurera probablement parmi les travaux pionniers du domaine. « Nous avions déjà repoussé les limites de la récupération d’ADN au-delà d’un million d’années. Nous souhaitions maintenant explorer la possibilité d’étendre le séquençage de l’ARN encore plus loin dans le temps que lors des études précédentes », explique dans un communiqué le coauteur de la recherche, Love Dalén, professeur de génomique évolutive à l’Université de Stockholm et au Centre de paléogénétique de Stockholm.
Un profil d’ARN indiquant un stress profond avant la mort
Dalén et ses collègues ont extrait les molécules d’ARN des restes d’un petit mammouth laineux surnommé Yuka. Il a été découvert en 2010 par un groupe de chasseurs d’ivoire près d’une rivière, à proximité de la côte arctique sibérienne (d’où le surnom). Il a été conservé pendant près de 40 000 ans dans le pergélisol dans un état de préservation remarquable. La momie présentait encore une fourrure rousse partielle, une trompe et même un cerveau.

« Grâce à l’ARN, nous pouvons obtenir des preuves directes des gènes qui sont activés, ce qui nous permet d’entrevoir les derniers instants de la vie d’un mammouth ayant foulé la Terre durant la dernière période glaciaire. Ces informations sont inaccessibles par la seule analyse de l’ADN », explique Emilio Mármol, auteur principal de l’étude et ancien chercheur postdoctoral à l’Université de Stockholm, désormais affilié au Globe Institute de Copenhague.
D’après les résultats détaillés dans la revue Cell, les molécules d’ARN extraites révèlent des profils d’expression génique spécifiques aux tissus musculaires. Elles codent plus précisément pour des protéines impliquées dans la contraction musculaire et la régulation métabolique en situation de stress.
Cela suggère que le mammouth a probablement vécu une situation particulièrement stressante peu de temps avant sa mort. Cela concorde avec des précédentes études suggérant que Yuka avait été attaqué par des lions des cavernes (Panthera spelaea) avant de finir dans un lac ou un étang peu profond.
D’autres molécules d’ARN, telles que les microARN, ont également été détectées et ont permis de confirmer que le matériel génétique provenait bien du mammouth. « Les microARN spécifiques aux muscles que nous avons découverts dans les tissus de mammouths constituent une preuve directe de la régulation génique en temps réel à une époque reculée. C’est la première fois qu’un tel résultat est obtenu », explique le coauteur de l’étude, Marc Friedländer, professeur associé au Département des biosciences moléculaires de l’Institut Wenner-Gren de l’Université de Stockholm et de SciLifeLab.

Le sexe du spécimen confirmé
Par ailleurs, les analyses des chercheurs ont révélé que Yuka est un mâle. Cela contredit les précédentes observations fondées sur l’analyse anatomique et qui indiquaient qu’il s’agissait d’une femelle. Si l’équipe de Mármol pensait initialement avoir interverti accidentellement les échantillons, des analyses plus approfondies ont confirmé la présence de chromosomes X et Y.
D’après Daniel Fisher, paléontologue à l’Université du Michigan et spécialiste des mammouths qui n’a pas participé à l’étude, cette contradiction n’est pas surprenante. « Ce système est complexe à interpréter, surtout compte tenu des importants dommages post-mortem subis par le corps de Yuka », explique-t-il au National Geographic. La confirmation du sexe impliquera, selon lui, de réinterpréter différents aspects de la vie de Yuka avant son décès, telles que sa croissance et le développement de ses os. Ces travaux pourraient en outre contribuer aux efforts récents visant à « dé-éteindre » le mammouth laineux.
Mármol et ses collègues espèrent, pour la prochaine étape, combiner l’analyse de l’ARN ancien et de l’ADN ancien, ainsi que les protéines et autres biomolécules, afin d’étudier les espèces préhistoriques. « De telles études pourraient fondamentalement remodeler notre compréhension de la mégafaune disparue ainsi que d’autres espèces, révélant les nombreuses couches cachées de la biologie qui sont restées figées dans le temps jusqu’à présent », conclut Mármol dans le communiqué.


