Une récente expérience sur des souris très âgées révèle qu’elles développent des tumeurs pulmonaires nettement moins nombreuses et moins agressives que celles plus jeunes. Cette découverte remet en question l’hypothèse largement admise selon laquelle le taux de cancer augmente avec l’âge. Ces observations suggèrent notamment qu’il existe un point dans la courbe de vieillissement au niveau duquel le risque de cancer se stabilise, voire, diminue.
Il est largement admis que le taux de cancer augmente avec l’âge car à chaque division cellulaire, il existe un risque d’altération et d’introduction de mutations oncogènes dans notre génome. Cela augmente la probabilité que les cellules ne puissent assurer correctement leurs fonctions et ne répondent pas aux signaux leur indiquant à quel moment se diviser ou non. Cette tendance se confirme au niveau épidémiologique : l’incidence du cancer augmente en fonction de l’âge avec une forte croissance à partir de 50 ans.
Cependant, des études ont révélé des données contre-intuitives indiquant une diminution de l’incidence de cancer chez les personnes très âgées. La courbe de risque semble se stabiliser après 85 ans. « Le modèle standard du cancer est le suivant : avec l’âge, on accumule des choses néfastes sous forme de mutations », explique Dmitri A. Petrov, professeur titulaire de la chaire Michelle et Kevin Douglas à la Faculté des sciences humaines et sociales de l’Université de Stanford.
« Et quand on accumule suffisamment de facteurs néfastes, le cancer survient. Après un certain âge, cela devrait être presque inévitable, non ? Mais ce n’est pas ce que l’on observe ; après un certain point, le vieillissement semble plutôt être une forme générique de suppression du cancer », indique-t-il.
Diverses hypothèses ont été avancées, dont la diminution du taux de dépistage et donc de diagnostic chez les personnes de plus de 85 ans. Une forme de sélection naturelle a également été proposée, qui impliquerait notamment que les personnes naturellement prédisposées à la longévité disposent d’un meilleur système immunitaire pour lutter contre le cancer.
D’un autre côté, l’étude de la relation entre l’âge avancé et le taux de cancer est complexe à étudier en laboratoire. Cela implique que nous ne savons pour le moment pas comment l’âge d’un patient pourrait influencer sa réponse aux traitements. « Le vieillissement est un changement systémique de l’organisme, mais la plupart des études sur le cancer chez la souris sont menées sur des animaux plus jeunes », explique Emily Shuldiner, chercheuse au département de biologie de l’Université de Stanford.
Dans une nouvelle étude publiée ce mois-ci dans la revue Nature Aging, Shuldiner et ses collègues révèlent que cette corrélation a des causes biologiques plus profondes. « Lorsque nous avons introduit les mêmes mutations responsables du cancer du poumon chez des souris jeunes et âgées, les jeunes souris ont développé des tumeurs plus nombreuses et à croissance plus rapide », indique la chercheuse.
Trois fois moins de cancer chez les souris très âgées
Mis à part les marqueurs du vieillissement, d’autres modifications s’accumulent avec l’âge. Par exemple, les groupements méthyle au niveau de l’ADN, qui contribuent réguler l’expression des gènes, sont altérés. Le génome devient plus instable et plus vulnérable aux brisures de brins. Les ADN mitochondriaux peuvent aussi se dupliquer pour s’intégrer au génome, ce qui crée des séquences répétitives entravant le fonctionnement des cellules.
Les chercheurs suggèrent que certaines des modifications provoquées par ce désordre moléculaire pourraient potentiellement freiner l’évolution des mutations oncogènes vers des tumeurs. Pour explorer l’hypothèse, Shuldiner et ses collègues ont modifié génétiquement des souris pour développer des tumeurs pulmonaires marquées par fluorescence lorsqu’elles sont traitées avec des gènes administrés par inhalation.

Les cancers ont été induits chez de jeunes souris (de quatre à 6 mois) et des souris âgées (20 à 21 mois). Chez les souris âgées, l’induction du cancer n’a été réalisée qu’une fois qu’elles avaient dépassé deux ans, afin de s’assurer qu’elles étaient réellement très âgées. Les taux de formation des tumeurs ont été mesurés 15 semaines plus tard en quantifiant les cellules cancéreuses au niveau de leurs poumons à l’aide de l’imagerie par fluorescence.
Les résultats ont révélé que le taux de cancer chez les jeunes souris était près de trois fois supérieur à celui des souris âgées. Les tumeurs étaient également plus volumineuses et donc plus agressives. « À tous les égards, les animaux les plus jeunes présentaient des cancers plus graves », affirme Shuldiner. Ces observations s’accordent avec des travaux antérieurs montrant une incidence plus faible du cancer chez les personnes très âgées.
Vieillissement cellulaire : un terrain moins favorable aux tumeurs ?
Pour confirmer ses observations, l’équipe a analysé l’effet de l’inactivation de 25 gènes suppresseurs de tumeurs chez les souris avant de déclencher le développement du cancer. Ces gènes codent des protéines freinant le développement des tumeurs. Certains d’entre eux sont d’ailleurs impliqués dans des processus liés au vieillissement en bonne santé.
Les analyses ont montré que les effets de l’inactivation de ces gènes étaient significativement réduits chez les souris âgées. Cela signifie que même si le risque de cancer a augmenté chez les animaux dont les gènes suppresseurs de tumeurs étaient inactivés, quel que soit leur âge, cet effet était plus marqué chez les plus jeunes.
En particulier, les chercheurs ont remarqué qu’un gène suppresseur de tumeur appelé PTEN avait un impact significatif en comparaison d’autres gènes. « L’inactivation du gène PTEN s’est avérée avoir un effet beaucoup plus marqué chez les jeunes souris », explique Shuldiner. « Cela suggère que l’effet d’une mutation donnée, ou l’efficacité des thérapies anticancéreuses ciblant des mutations spécifiques, pourrait différer entre les jeunes et les personnes âgées », estime-t-elle.
Les chercheurs ont également observé qu’en analysant les profils d’expression génique des cellules cancéreuses des souris âgées avec des PTEN actif ou non, les marqueurs de vieillissement étaient toujours présents. Cependant, les animaux avec un PTEN inactivé présentaient des signes de vieillissement beaucoup moins prononcés. « Elles paraissaient aussi jeunes que les cellules cancéreuses déficientes en PTEN provenant de jeunes animaux, ce qui était très surprenant », explique Shuldiner.
D’après les chercheurs, ces résultats soulignent le besoin de développer de nouveaux modèles cellulaires et animaux pour l’étude du cancer qui intègrent correctement les effets du vieillissement. « Peut-être que le vieillissement a un aspect bénéfique que nous pourrions exploiter pour de meilleures thérapies », conclut Petrov.



