Lors d’une expérience d’ablation complète du thymus chez les axolotls, des chercheurs ont découvert qu’ils peuvent en régénérer une nouvelle entièrement fonctionnelle. L’organe, essentiel à la fonction immunitaire, a commencé à se régénérer dès sept jours après l’ablation – une capacité jusqu’ici non documentée chez les vertébrés. L’équipe espère identifier la voie de signalisation sous-tendant cette régénération pour une application potentielle chez l’Homme.
Le thymus est essentiel à la fonction immunitaire en contribuant à la production de lymphocytes T naïfs (qui n’ont jamais été en contact avec un agent pathogène). Plus précisément, ces lymphocytes sont générés par les cellules épithéliales du thymus. Chez l’humain, la perte de la fonction de l’organe, en raison de facteurs environnementaux ou du vieillissement, est associée à un risque de mortalité plus élevé, d’inflammation systémique, de cancers et de maladies auto-immunes.
Sous l’effet des altérations affectant les cellules épithéliales thymiques, le thymus peut déclencher naturellement une réponse régénératrice en mobilisant des cellules progénitrices épithéliales. Cependant, cette réponse est limitée et ne parvient pas à compenser la perte de tissu épithélial après une atrophie liée à l’âge de l’organe ou une ablation suite à une tumeur ou à une myasthénie sévère (une maladie auto-immune chronique provoquant une faiblesse musculaire).
Des stratégies de régénération ont permis, dans une certaine mesure, de restaurer la fonction du thymus en ciblant le microenvironnement du tissu épithélial ou les cellules progénitrices hématopoïétiques qui peuvent se différencier en cellules spécialisées. Ces approches incluent par exemple la modulation hormonale et métabolique, ainsi que des thérapies cellulaires et de génie tissulaire. Cependant, elles ne permettent que de ralentir la perte fonctionnelle de l’organe.
L’axolotl (Ambystoma mexicanum) est étudié depuis des décennies pour les thérapies régénératives, en raison de sa capacité remarquable à régénérer certaines parties de son corps telles que les yeux, le cœur, la moelle épinière, certaines parties du cerveau et même des membres entiers. Des chercheurs du Centre de thérapies régénératives de l’Université technologique de Dresde, en Allemagne, ont exploré s’ils peuvent également régénérer leur thymus, dans le cadre d’une étude publiée le 5 décembre dans Science Immunology.
« Étant donné le rôle central du thymus dans le développement et le fonctionnement de l’immunité adaptative, et l’importance du système immunitaire dans les processus de régénération, nous avons cherché à évaluer le potentiel régénérateur du thymus chez les jeunes axolotls », écrivent-ils dans leur étude. Les résultats permettraient peut-être de déboucher sur une piste de régénération du thymus chez l’humain.
Une régénération dès sept jours après l’ablation
L’étude de la capacité de régénération de l’axolotl a permis de comprendre des mécanismes biologiques complexes tels que l’identité positionnelle et la plasticité cellulaire. La régénération des parties manquantes de son corps repose cependant généralement sur la présence de vestiges, à l’exception du cristallin. On ignorait jusqu’ici si une régénération de novo, c’est-à-dire sans la présence de vestige, était possible pour un organe complexe entier, autant chez l’axolotl que chez tout autre vertébré.
Pour explorer cette possibilité, les chercheurs de la nouvelle étude ont retiré aussi complètement que possible les trois nodules thymiques de jeunes axolotls âgés de six à huit semaines. La régénération des organes a ensuite été suivie à l’aide de techniques d’imagerie, d’histologie et de séquençage d’ARN unicellulaire.
« De façon inattendue, des structures rappelant le thymus sont réapparues après l’ablation complète des nodules », indiquent les experts. De petites ébauches de structures thymiques ont commencé à apparaître dès sept jours après l’ablation, pour connaître une croissance importante entre le 14 et 35e jour. Au 35e jour de régénération, des nodules présentant une structure similaire à ceux des animaux témoins ont été observés chez 60% des animaux thymectomisés.
Une régénération aussi complète du thymus n’avait à ce jour pas été documentée chez les vertébrés après une ablation. Plus remarquable encore, les thymus nouvellement formés étaient fonctionnels, lorsqu’ils ont été transplantés chez d’autres axolotls. Ces nouveaux organes présentaient également des caractéristiques transcriptionnelles et morphologiques similaires à celles des cellules thymiques intactes et étaient également capables de restaurer une structure normale, une diversité cellulaire et une fonction immunitaire.



Une voie de signalisation spécifique à la régénération identifiée
Pour identifier les facteurs potentiels sous-tendant cette régénération, les chercheurs se sont concentrés sur le gène FOXN1, connu pour son implication dans le développement du thymus. En désactivant le gène chez un groupe d’axolotls, un sous-développement de l’organe a été constaté, sans toutefois empêcher le processus de régénération.



En explorant d’autres voies de signalisation, l’équipe a remarqué que le facteur de croissance midkine (MDK) s’est distingué par son implication dans la régénération du thymus. Si cette molécule est connue pour être impliquée dans le développement précoce des cellules épithéliales thymiques chez les souris, elle n’a jusqu’ici pas été étudiée dans un contexte de régénération.
Chez les axolotls, la MDK était fortement activée entre le 5 et 21e jour de régénération, tandis qu’elle était absente ou non activée chez le groupe témoin, ce qui suggère une voie de signalisation spécifique à la régénération, ce qui concorde en outre avec les résultats de récentes études indiquant une implication de la MDK dans la régénération des membres amputés de l’axolotl.
« Bien que sa fonction chez les mammifères soit inconnue, sa présence lors de phases clés de l’embryogenèse chez la souris et l’humain suggère qu’elle pourrait potentiellement être exploitée pour développer des thérapies régénératives », indiquent les chercheurs de leur étude en référence à la MDK. « Ainsi, les connaissances acquises ici pourraient être pertinentes pour des cas cliniques impliquant une thymectomie totale, comme la myasthénie grave, les myomes et la chirurgie cardiaque pédiatrique, ainsi que l’involution du thymus liée à l’âge, bien que cela nécessite une investigation directe », ajoutent-ils. La prochaine étape de recherche consistera à reproduire l’expérience sur les axolotls plus âgés afin de déterminer si la régénération du thymus est affectée ou non par l’âge.


