Une étude révèle que certains oiseaux urbains, en particulier ceux nés pendant les confinements liés à la Covid-19, ont développé des becs plus longs et plus fins, similaires à ceux de leurs congénères sauvages, lorsque l’activité humaine a brusquement cessé. Ces observations offrent un éclairage nouveau sur la manière dont la pandémie a modifié les écosystèmes urbains, non seulement en permettant la recolonisation de certaines zones, mais également en provoquant des modifications morphologiques directes chez certains animaux.
L’urbanisation et l’expansion de l’activité humaine ont profondément modifié les écosystèmes. La faune sauvage est confrontée à des défis environnementaux rapides et incompatibles avec les caractéristiques de son habitat d’origine. Si de nombreuses espèces peinent à s’y adapter, certaines en revanche ont développé des capacités d’adaptation spécifiques aux milieux urbains et parviennent à y prospérer.
Ces adaptations se manifestent souvent par des modifications phénotypiques ou morphologiques rapides en réponse aux nouveaux défis environnementaux. Les mécanismes exacts et les facteurs sous-tendant ces changements restent cependant mal compris, les facteurs de stress et les modifications rapides survenant simultanément dans les milieux urbains.
Les mesures de confinement et l’interruption brusque de l’activité humaine lors de la pandémie de Covid-19 ont constitué un contexte particulièrement propice à l’étude de ces facteurs et de ces mécanismes. Cette interruption, désormais baptisée « anthropause », a vu des changements comportementaux marqués chez la faune sauvage. Les mammifères sauvages se sont mis à parcourir des distances plus longues que ce qu’ils parcourent habituellement et se sont même rapprochés davantage des routes.
Ces changements de comportement ont été encore plus marqués chez les oiseaux. Certaines espèces se sont mises à passer plus de temps à l’intérieur et aux abords des zones urbaines, ainsi qu’à proximité des grands axes routiers et des aéroports. Des modifications morphologiques de la faune sauvage associées à l’anthropause n’avaient cependant pas été documentées jusqu’ici.
Observer l’évolution à l’échelle d’un campus
Une équipe de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) a exploré la question en observant les oiseaux présents sur leur campus avant, pendant et après la pandémie. « Nous avons cherché à déterminer si l’activité humaine avait influencé la forme et la taille du bec des juncos en évaluant des individus d’âge connu avant, pendant et après l’anthropause », expliquent-ils dans leur étude publiée le 15 décembre dans la revue PNAS.
Le junco ardoisé (Junco hyemalis) est un petit oiseau à robe grise d’Amérique du Nord vivant habituellement dans les forêts montagneuses. Cependant, il a été contraint de s’adapter et d’occuper les zones urbaines et périurbaines en raison de la réduction de son habitat naturel et des effets du réchauffement climatique, en particulier ceux de la Californie du Sud. Se nourrissant habituellement de graines et d’insectes, les populations urbaines ont appris à se nourrir de miettes et de déchets alimentaires laissés par les humains. Cette adaptation en fait des modèles idéaux pour l’étude des réponses phénotypiques à l’urbanisation.
Les chercheurs de l’UCLA ont suivi l’évolution des juncos ardoisés qui ont élu domicile sur leur campus entre 2018 et 2025, c’est-à-dire avant, pendant et après la pandémie. Ils ont capturé et bagué 305 juncos adultes urbains et 132 juncos sauvages. Leurs caractéristiques physiques ont été analysées en mesurant les dimensions de leur bec et de leur tarse, un os situé sous la patte arrière. Les données ont ensuite été analysées statistiquement pour évaluer les changements au fil du temps.

Des becs révélateurs d’une activité humaine réduite
L’équipe a constaté que les oiseaux nés pendant la pandémie, lorsque le campus a été fermé, avaient des becs plus fins et plus longs, semblables à ceux des oiseaux sauvages. En revanche, ceux nés avant et après, lorsque les activités sur le campus ont repris, avaient des becs relativement courts et trapus. Ces résultats suggèrent que les oiseaux ont rapidement adapté leurs comportements et leurs morphologies en fonction de l’interruption et de la reprise de l’activité humaine.
« Pour être honnête, nous avons été assez surpris de constater l’ampleur de ce changement », indique dans un billet de blog de l’université Eleanor Diamant, auteure principale de l’étude, qui a mené ces recherches dans le cadre de son doctorat à l’UCLA et aujourd’hui professeure adjointe invitée au Bard College. « Nous pensons que cela s’explique probablement par le fait que, en l’absence d’humains, ces derniers ne laissent pas traîner leurs déchets ni leurs restes de nourriture », souligne-t-elle.
En effet, les juncos ardoisés de l’UCLA affectionnent particulièrement les zones fréquentées par les étudiants, telles que les terrasses des restaurants et les allées piétonnes. Lorsque les étudiants ont déserté le campus pendant la pandémie, ils auraient été contraints de trouver de la nourriture autrement, notamment dans des environnements plus complexes tels que les buissons, à l’instar de leurs congénères sauvages.



Se déplacer plus loin hors du campus pour trouver de la nourriture n’aurait pas été viable pour ces oiseaux, qui ne s’aventurent presque jamais trop loin de leur territoire. « Nous pensons que les juncos ayant des formes de bec différentes ont mieux réussi lorsque le campus était fermé. Ceux dont le bec leur permettait de mieux se nourrir de graines ont probablement obtenu plus de nourriture et élevé plus de petits », note Diamant.
« On a tendance à percevoir l’évolution comme un processus lent, car, en général, à l’échelle de l’évolution, elle est lente. Mais c’est fascinant de pouvoir observer l’évolution se dérouler sous nos yeux et de constater l’impact évident de l’activité humaine sur une population vivante », ajoute Pamela Yeh, auteure principale de l’étude et professeure d’écologie et de biologie évolutive à l’UCLA.
Toutefois, des analyses génétiques et comportementales supplémentaires seront nécessaires afin de confirmer si ces changements sont véritablement liés à l’activité humaine, soulignent les chercheurs. Il est essentiel de distinguer si ces changements ont été provoqués par des modifications génétiques induites par une faible activité humaine ou par des déplacements temporaires d’oiseaux sauvages vers la ville pendant la pandémie.


