Le réchauffement des océans a provoqué une extinction massive d’oiseaux de mer, une situation sans précédent

« Le constat dépasse tout ce que nous avions imaginé ».

Le réchauffement des océans a provoqué une extinction massive d oiseaux de mer une situation sans précédent
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Entre l’été 2015 et le printemps 2016, les plages du golfe d’Alaska jusqu’en Californie se sont transformées en cimetières naturels. Des milliers de guillemots de Troïl (Uria aalge), l’une des espèces d’oiseaux marins les plus prospères de l’hémisphère Nord, gisaient émaciés sur le sable. Les scientifiques, après avoir examiné ces cadavres, ont conclu à une mort par inanition (faim), mais sans pouvoir en identifier précisément les causes ni mesurer l’ampleur exacte de la catastrophe. Aujourd’hui, près de dix ans plus tard, une équipe de biologistes américains affirme avoir levé le voile sur l’origine de ce phénomène, décrit comme l’une des plus grandes extinctions d’oiseaux marins enregistrées à ce jour.

En 2013, une vague de chaleur marine exceptionnelle, surnommée « The Blob », a été détectée dans le nord-est de l’océan Pacifique. Ce phénomène, causé par une crête de haute pression persistante, a formé une poche d’eau chaude gigantesque, augmentant localement la température de 2 °C sur une surface de près de 1 600 kilomètres de large et jusqu’à 100 mètres de profondeur. Lentement, cette masse d’eau anormalement chaude a migré entre l’Asie et l’Amérique du Nord avant de stagner dans le golfe d’Alaska en 2016, où elle a persisté pendant deux ans.

Les conséquences écologiques ont été dramatiques. Cette hausse des températures a perturbé les écosystèmes marins, provoquant une forte réduction des proies disponibles et des déséquilibres thermiques, ce qui a entraîné une hécatombe chez des espèces variées, notamment les otaries à fourrure, les lions de mer, les saumons, les morues et les baleines grises.

Entre 2014 et 2017, de nombreuses espèces ont échoué à se reproduire. Cependant, ce sont les guillemots de Troïl qui ont payé le plus lourd tribut. « Nous avons immédiatement compris qu’il s’agissait d’une catastrophe majeure », explique Heather Renner, biologiste à l’US Fish and Wildlife Service, dans une interview accordée à Science News.

Un effondrement de la chaîne alimentaire

Le réchauffement provoqué par le Blob a entraîné une série de perturbations écologiques en cascade. La chaleur excessive a réduit la population du phytoplancton, base de la chaîne alimentaire marine. Leur raréfaction a entraîné une chute drastique des populations de poisson fourrage, nourriture principale des guillemots, tout en exacerbant la concurrence avec les poissons de fond, qui ont profité de cette situation pour s’imposer davantage. En clair, les guillemots se sont retrouvés privés de ressources alimentaires, tant des proies qu’ils consomment directement (poisson fourrage) que des proies qu’ils évitent, mais qui consomment les mêmes ressources alimentaires.

Diagramme chaîne alimentaire des guillemots
Schéma illustrant la pression exercée sur les guillemots par la diminution des ressources alimentaires, à la fois par le haut (prédateurs concurrents) et par le bas (disparition des proies) de la chaîne alimentaire. © Piatt JF, Parrish JK, Renner HM, et al.

Une étude réalisée en 2020 dans le cadre du programme de science citoyenne COASST (Coastal Observation and Seabird Survey Team), dirigé par l’Université de Washington, a permis d’identifier près de 62 000 carcasses de guillemots échouées sur les plages de la côte ouest des États-Unis et de l’Alaska. « 62 000 oiseaux retrouvés morts sur les plages, c’était alarmant. Mais cela ne reflétait probablement qu’une fraction de l’ampleur réelle de la mortalité », souligne Renner.

Un bilan sans précédent

Pour mieux appréhender l’impact global du Blob, Renner et son équipe ont analysé des données issues de trente ans de suivi des colonies de guillemots, couvrant la période 1995-2022. L’étude, publiée dans la revue Science, s’est concentrée sur les populations insulaires du golfe d’Alaska et des marges de la mer de Béring. Les résultats sont accablants : près de 4 millions de guillemots auraient péri à cause du Blob, soit près de la moitié de la population en Alaska avant la vague de chaleur. « Le constat dépasse tout ce que nous avions imaginé », confesse Renner.

comparaison population de Guillemots
Comparaison d’une colonie de guillemots sur l’île du Sud (îles Semidi), illustrant l’effondrement démographique avant (en haut) et après (en bas) la vague de chaleur marine. © Renner HM et al.

Une étude de 2023, menée par l’Université de Washington, estimait qu’un rétablissement des populations pourrait nécessiter trois ans. Pourtant, sept ans après, les guillemots peinent toujours à retrouver leurs effectifs d’antan. Renner craint qu’il ne s’agisse des prémices d’un changement profond et durable dans l’écosystème marin. D’autres habitats fragiles pourraient, eux aussi, être au bord de l’effondrement.

Source : Science

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