L’ère médicale moderne a commencé lorsqu’Alexander Fleming, scientifique britannique, a découvert la pénicilline en 1928. Il a ensuite travaillé durant plusieurs années pour tenter de la purifier (la pénicilline est une toxine synthétisée par certaines espèces de moisissures du genre Penicillium et est inoffensive pour l’humain), mais ce n’est que dès 1940, suite aux travaux de deux autres chercheurs, Florey et Chain, que la pénicilline a pu être purifiée. Le premier antibiotique au monde était né.
À présent, 90 ans après la découverte de la pénicilline, le monde traverse une crise des antibiotiques. De nombreuses superbactéries ont développé une résistance à des dizaines de médicaments, notamment aux antibiotiques, conduisant à des infections de plus en plus difficiles à traiter. On prévoit que les décès mondiaux dus aux infections résistantes aux antibiotiques atteindront les 10 millions par an, d’ici 2050. Ainsi, dans les laboratoires du monde entier, les scientifiques travaillent pour trouver des solutions pour combattre les superbactéries résistantes.
Le microbiologiste Sean Brady pense qu’il est temps de changer de tactique : au lieu de cultiver des antibiotiques dans une boîte de Pétri, il espère les trouver dans le sol. « À chaque pas que vous faites, il y a 10’000 bactéries, dont la plupart sont encore inconnues », a déclaré Brady, professeur agrégé à l’Université Rockefeller (New York, USA).
Beaucoup de ces bactéries se comportent d’une manière qui n’est pas encore comprise par les chercheurs et produisent des molécules que nous n’avions jamais vues auparavant. « Notre idée est, qu’il existe ce réservoir d’antibiotiques dans l’environnement auquel nous n’avons pas encore eu accès », a déclaré Brady.
Et cette idée commence à porter ses fruits : dans une étude publiée lundi dans la revue Nature Microbiology, Brady et ses collègues rapportent la découverte d’une nouvelle classe d’antibiotiques extraits de micro-organismes inconnus, vivant dans le sol.
Cette classe, qu’ils appellent malacidines, permet de tuer plusieurs superbactéries, y compris le redoutable Staphylococcus aureus, résistant à la méthicilline (SARM) sans engendrer de résistance. Bien entendu, Brady a prévenu que nous ne trouverons pas cet antibiotique en pharmacie la semaine prochaine. En effet, il faut des années pour qu’une nouvelle molécule soit développée, testée et approuvée pour la distribution. Mais sa découverte est la preuve d’un principe puissant : « Un monde de biodiversité inexploité potentiellement utile attend toujours d’être découvert », a déclaré Brady.
Bien que les antibiotiques soient appréciés pour leur capacité à combattre les microbes qui rendent malades, la plupart de ces médicaments proviennent de bactéries. Par exemple, la streptomycine, qui a été utilisée pour traiter la tuberculose et la peste, est produite par la bactérie Streptomyces griseus (à l’origine, ce microbe a été découvert dans la terre d’un champ de ferme du New Jersey, bien que les recherches d’antibiotiques aient été réalisées en utilisant des cultures cellulaires).
Le combat des bactéries entre elles dure depuis des milliards d’années. Il n’est donc pas surprenant qu’elles aient développé de meilleurs moyens de combattre les médicaments humains. Il faut savoir qu’une grande majorité de ces microbes, ne se développent pas bien dans des conditions de laboratoire contrôlées, ce qui les rend difficiles à étudier. « Peut-être que, en utilisant cette approche basée sur la culture simple, nous avons manqué la plupart des processus chimiques engendrés par les bactéries », a déclaré Brady.
Il serait donc préférable de dériver des molécules intéressantes directement de l’environnement. Et avec l’avènement de la métagénomique, des techniques qui permettent de séquencer en masse tout le matériel génétique d’un échantillon, les chercheurs peuvent à présent le faire.
Pour cette étude, l’équipe de Brady a cloné de vastes quantités d’ADN à partir de centaines d’échantillons de sol, fournis par des scientifiques à travers le pays. Puis, ils ont analysés les échantillons, à la recherche de séquences intéressantes. « La plupart de ce qui s’y trouve est complètement inconnu, et c’est ça l’avenir », explique Brady.
Brady et ses collègues recherchaient spécifiquement un gène connu, associé à la production d’antibiotiques dépendants du calcium (des molécules qui attaquent les cellules bactériennes, mais seulement lorsque le calcium est présent). Les scientifiques pensent que l’existence d’un tel interrupteur « marche-arrêt » peut rendre plus difficile l’évolution de la résistance des superbactéries.
Pour cette raison, le gène possédant une dépendance au calcium pourrait servir d’alerte, pour une séquence beaucoup plus longue contrôlant la production d’antibiotiques. Ayant identifié une séquence contenant le gène ayant la dépendance au calcium, les chercheurs l’ont alors cloné et injecté dans des microbes cultivables. Puis, assez rapidement, ces microbes ont commencé à fabriquer des malacidines.
Lorsqu’elle est appliquée à des coupures dans la peau de rats infectés par SARM, la molécule précédemment inconnue, a stérilisé avec succès les plaies. La bactérie n’a montré aucun signe de résistance, même après trois semaines d’exposition.
Selon Brady, les malacidines agissent en interférant avec le processus que les bactéries utilisent pour construire leurs parois cellulaires. Les cellules humaines quant à elles dépendent d’un processus différent, donc l’antibiotique n’est pas toxique pour les humains. Lui et ses collègues ne savent pas de quelle espèce proviennent ces molécules, mais ils n’en ont pas besoin – ils possèdent déjà le plan génétique pour la construire. « Maintenant, il faut le faire à grande échelle », a-t-il déclaré.
Il y a deux ans, Brady a fondé une entreprise appelée Lodo Therapeutics, qui vise à accélérer le processus de découverte et à produire de nouveaux médicaments pouvant être utilisés pour traiter les maladies. Mais Il n’est pas le seul scientifique à avoir eu cette idée : des chercheurs du monde entier utilisent la métagénomique pour rechercher de nouveaux antibiotiques dans l’eau de l’océan et dans les viscères des insectes. Pendant ce temps, la même technique a été appliquée aux eaux usées urbaines et aux lacs pollués, pour révéler l’étendue de la résistance aux antibiotiques.