La lumière est composée de photons, les bosons vecteurs de l’interaction électromagnétique dans le Modèle Standard. Ces paquets d’énergie n’interagissent classiquement pas entre eux, ils se traversent les uns les autres en se propageant dans l’espace. Cependant, dans le cadre d’une toute nouvelle expérience, des scientifiques ont réussi à lier des photons, à l’image des atomes qui s’agglomèrent pour former une molécule.
La théorie comme l’expérience le montrent : les photons ne s’entrechoquent pas. « C’est pourquoi lorsque vous utilisez une lampe torche, les rayons lumineux ne rebondissent pas les uns sur les autres, vous les voyez se propager tout droit en se passant à travers » précise Sergio Cantu, doctorant en physique atomique au Massachusetts Institute of Technology. Toutefois, en utilisant des lasers, des chercheurs ont réussi à produire un nouveau type de lumière dans lequel les photons sont liés entre eux. La découverte a été publiée dans la revue Science, le 16 février 2018.
Pour ce faire, Cantu, Aditya Venkatramani (Harvard University), et leurs collègues, ont commencé par créer un nuage d’atomes de rubidium refroidis. En tant que métal alcalin, le rubidium se présente sous la forme d’un solide blanc-argenté. Mais lorsqu’il est vaporisé par laser et ultra-refroidi, le rubidium forme un nuage qui est ensuite confiné à l’intérieur d’un tube magnétisé. Cela permet de ralentir les atomes tout en les maintenant dans un état excité. Enfin, un laser à faible densité a été pointé sur le nuage atomique.
Ainsi, les scientifiques ont pu étudier les photons en sortie du nuage de rubidium et les résultats ont été extrêmement surprenants. Au lieu de ressortir du nuage à une vitesse de 300’000 km/s comme cela aurait dû être le cas, les photons se déplaçaient 100’000 fois moins vite, l’état photonique lié ayant acquis une fraction de la masse d’un électron. En outre, ils se présentaient sous forme de paires ou de triplets (3 photons liés). La signature énergétique et le déphasage de ces configurations étonnantes ont indiqué aux chercheurs que les grains de lumière interagissaient bien entre eux.
« Au début, ce n’était pas très clair » confie Venkatramani. Bien que les physiciens aient déjà observé précédemment des paires de photons en interaction, ceux-ci n’avaient aucunement imaginé que des triplets étaient possibles. « Après tout, une molécule d’hydrogène est une configuration stable composée de deux atomes d’hydrogène, alors qu’une configuration à trois atomes d’hydrogène ne peut rester stable plus d’un millionième de seconde. Nous ne pensions donc pas que trois photons pouvaient former un arrangement stable » explique Venkatramani. Les auteurs de l’étude ont en fait découvert que c’était totalement le contraire. Un triplet de photons est bien plus stable qu’une paire. « Plus on en ajoute, plus le lien est fort » déclare t-il.
Pour expliquer cette connexion, les chercheurs ont élaboré un nouveau modèle théorique. Lorsqu’un photon pénètre dans le nuage de rubidium, il passe d’un atome à un autre. Il peut brièvement se lier à un atome, formant une paire photon-atome appelée « polariton« . Si deux ou trois polaritons se rencontrent, alors ils se lient entre eux. Arrivés en sortie du nuage, les atomes restent à l’intérieur, tandis que les photons demeurent liés en paires ou en triplets.
« Maintenant que nous comprenons comment les interactions entre photons deviennent attractives, nous pourrions nous demander : comment faire pour qu’elles soient répulsives ? » explique Cantu. Il poursuit en affirmant qu’étudier plus profondément ces interactions photoniques devrait permettre de mieux comprendre la nature même de l’énergie et la façon dont elle se comporte. De plus, les photons sous forme de paires ou de triplets peuvent transporter de l’information plus complexe et ainsi ouvrir de nouvelles voies prometteuses dans le développement de l’informatique quantique.
Les auteurs envisagent de pousser le contrôle des effets attractifs et répulsifs des interactions photoniques jusqu’à pouvoir construire des configurations prédictives dans lesquelles les photons seraient liés entre eux en agencements complexes, à l’instar des cristaux.
Certains photons se repousseraient tandis que d’autres, attractifs, maintiendraient l’ensemble de la structure. Un tel agencement constituerait littéralement un cristal de lumière. Venkatramani explique que « dans un cristal de lumière, si l’on connaît la position d’un photon, alors l’on connaît la position de tous les autres à intervalles réguliers. Cela pourrait être très utile pour construire un système de communication quantique à intervalles réguliers ».
Bien que le développement de cristaux de lumière ne soient pas encore à l’ordre du jour, de telles structures photoniques ouvriront incontestablement de nouvelles perspectives très prometteuses dans la construction de systèmes de communication quantique ultra-sécurisés.