L’hypothèse de la simulation propose, entre autre, que notre univers serait un ordinateur, plus généralement une machine de Turing universelle capable de calculer et générer un rendu de l’univers dans lequel nous évoluons. Si pendant longtemps cette hypothèse est restée du domaine de la science-fiction, elle est aujourd’hui sérieusement étudiée en physique et cosmologie théoriques.
Dès 1936, le mathématicien britannique Alan Turing démontre qu’un univers unidimensionnel peut aisément être créé et entretenu par une machine de Turing. Cependant, l’hypothèse de l’univers-ordinateur ne suscite véritablement l’intérêt des physiciens qu’à la fin des années 1990 ; par exemple, le mathématicien et informaticien G. Hayes démontre en 1999 qu’un univers physique complexe peut être simulé par une machine de Turing universelle.
En 2002, le cosmologue et mathématicien John Barrow (université de Cambridge) montre que si nous vivons dans une simulation, alors nous pouvons en avoir la preuve en étudiant la possible évolution des constantes physiques dans l’histoire de l’univers. En 2005, le physicien théoricien Andrea Fontana montre, à l’aide de la relativité euclidienne, que notre espace-temps pourrait n’être qu’un processus informatique parmi d’autres au sein d’un espace quadridimensionnel fondamental formant l’espace de calcul d’un ordinateur universel. Jusqu’à aujourd’hui, les physiciens continuent d’étudier sérieusement cette hypothèse en l’abordant sous différents angles.
Physique numérique théorique, principe de Church-Turing-Deutsch et univers-ordinateur
La physique numérique théorique (PNT) est une branche de la physique et de la cosmologie théorique reposant sur l’hypothèse que l’univers n’est fondamentalement que de l’information et peut donc être calculé. En 1957, le physicien américain Edwin T. Jaynes relie la théorie de l’information avec la mécanique quantique et démontre que tout ordinateur doit respecter les règles de la théorie de l’information. En 1969, l’ingénieur allemand Konrad Zuse publie un livre intitulé « Calculating Space » basé sur les travaux de Jaynes, dans lequel il introduit pour la première fois l’hypothèse d’un univers Turing-équivalent, c’est-à-dire un univers se comportant identiquement à une machine de Turing.
La PNT s’appuie sur la thèse de Church énoncée en 1935 et affirmant que tout problème de calcul algorithmique peut être résolu par une machine de Turing. Plus précisément, la PNT s’appuie sur la version forte de cette thèse : le principe de Church-Turing-Deutsch formulé en 1985 par le physicien britannique David Deutsch. Celui-ci affirme que « n’importe quel système physique fini réalisable peut être parfaitement simulé par un modèle de machine calculatrice opérant par des moyens finis ». En d’autres termes, un ordinateur universel peut calculer et simuler tous les processus physiques possibles.
Cette hypothèse sera ensuite reprise par des scientifiques comme le prix Nobel Gerard ‘t Hooft ou Stephen Wolfram, pour qui l’aspect probabiliste de la mécanique quantique n’est pas incompatible avec la théorie de la calculabilité. L’hypothèse principale de la PNT est que l’univers peut être décrit à la fois comme le résultat d’un immense calcul mais également comme l’ordinateur à l’origine de ce calcul. Certains physiciens proposent que l’univers serait une machine de Turing universelle ou alors un gigantesque automate cellulaire, qui contiendrait un programme pouvant calculer tous les univers mathématiquement possibles avec une complexité algorithmique asymptotique.
Un univers entièrement composé d’information
Dès 1990, le physicien John Wheeler expose son concept « It from bit », c’est-à-dire que tout objet de l’univers, particules, champs et même l’espace-temps, sont descriptibles en termes d’information et trouvent leur origine dans la théorie de l’information. Dans sa vision, l’information est la nature fondamentale de la physique, donc tous les phénomènes physiques de l’univers ne sont que des agencements de bits aux valeurs variables.
Le passage d’un état quantique à un autre pour une particule peut être, par exemple, décrit par le passage d’un bit 0 à un bit 1 ; ce changement d’état quantique s’appelle la « commutation quantique ». Chaque particule peut donc être décrite par un commutateur quantique ne nécessitant qu’un bit. Il serait ainsi possible de ne décrire l’univers qu’en terme d’information. On estime aujourd’hui que l’univers observable est composé de 1080 atomes, une telle simulation nécessiterait à l’univers de pouvoir stocker et manipuler 1090 bits, rendant ainsi plausible l’hypothèse d’un univers Turing-équivalent.
Cette hypothèse se combine à la théorie du pancomputationalisme qui conceptualise l’univers comme un calculateur qui calculerait sa propre évolution à partir de son état actuel et des différentes lois physiques. Le chercheur en informatique Jürgen Schmidhuber (université de Munich) a démontré qu’un système Turing-équivalent comme notre univers pourrait calculer de façon optimale toutes les évolutions d’univers possibles grâce au théorème de Cook-Levin (théorème montrant que le problème SAT est NP-complet). Cette démonstration est importante car elle implique que l’univers pourrait calculer et simuler sa structure et sa complexité en un temps fini.
Dans un article intitulé « Does the Universe have a Hard Drive ? » (l’univers possède-t-il un disque dur ?), le physicien Zura Kakushadze démontre que si l’univers peut être entièrement décrit par son information, alors selon le principe de conservation de l’information en mécanique quantique, cette information doit être stockée quelque part afin que l’univers, s’il est Turing-équivalent, puisse maintenir une simulation cohérente. Il montre par exemple que tout phénomène physique répondant à l’équivalence masse-énergie E=mc², contient une information encodée non-nulle qui doit nécessairement être stockée quantiquement par l’univers.
En 2003, la physicienne théoricienne spécialiste de la gravitation quantique à boucles, Paola Zizzi, publie un article intitulé « Emergent Consciousness » dans lequel elle démontre que durant l’inflation, l’univers peut être décrit comme la superposition de 109 registres quantiques (collection de qubits). Ce nombre étant identique au nombre de qubits avec lequel on peut décrire et calculer l’activité cérébrale totale d’un cerveau, la physicienne montre que l’univers dispose ainsi de la puissance de calcul nécessaire, en terme d’information quantique, pour permettre l’émergence de la conscience chez des entités.
L’univers est-il un ordinateur quantique ?
La même année, Paola Zizzi démontre que l’espace-temps à l’échelle de Planck est discret et divisé en unités de Planck. Chaque unité de Planck peut être organisée en pixels, encodant chacun un qubit. Ainsi, elle montre que l’espace-temps quantique se comporte exactement comme un ordinateur quantique. Dès lors, les lois physiques ne sont que la résultante macroscopique de la dynamique des qubits à l’échelle de Planck. La physicienne développe ainsi le modèle de la gravitation quantique à boucles numérique grâce auquel elle montre à plusieurs reprises que la gravité quantique peut être entièrement modélisée par un ordinateur quantique à N qubits.
À partir de 2005, une autre physicien quantique, Seth Lloyd, montre également qu’un ordinateur quantique suffit à répliquer la dynamique de la gravité quantique. Tous ces travaux étayent l’hypothèse d’un univers-ordinateur qui serait capable de générer une simulation d’univers. Le moyen de conforter cette hypothèse serait donc de mettre en évidence la structure discrète de l’univers. Depuis 2014, c’est la mission du Fermilab Holometer ; cet instrument est l’interféromètre laser le plus précis au monde, avec une sensibilité théoriquement capable de détecter toute fluctuation holographique de l’espace-temps.