L’explosion cambrienne désigne une période très particulière de la Terre, marquée par l’apparition soudaine de la majorité des métazoaires (organismes multicellulaires) ainsi que par une diversification génétique extrêmement rapide et complexe des espèces animales, végétales et bactériennes. Si les hypothèses généralement avancées impliquent des mécanismes purement terrestres, une étude co-signée par plus de 30 généticiens, paléobiologistes et astrobiologistes propose une origine extraterrestre à cet événement, notamment concernant le cas unique des pieuvres.
L’ère cambrienne est la première période géologique du Paléozoïque et a pris place il y a de cela 541 millions d’années. Puis, soudainement, la vie unicellulaire simple passe à la vie multicellulaire complexe, accompagnée d’une diversification génétique rapide. La plupart des scénarios expliquant l’explosion cambrienne se basent sur des changements environnementaux (mouvement des continents, Terre boule de neige, augmentation des niveaux d’oxygènes, etc.), des changements génétiques embryonnaires (patrons de développement, origine bilatérienne, etc.) ou des changements écologiques (évolution de l’œil, course aux armements, etc.).
Cependant, en dehors de ces explications terrestres, une autre hypothèse publiée dans le journal Progress in Biophysics and Molecular Biology, a été proposée par une collaboration internationale de paléobiologistes, généticiens, astrobiologistes et biochimistes. Celle-ci propose une origine cosmique à l’explosion cambrienne. Plus précisément, les auteurs formulent trois sous-hypothèses.
La première est que la diversification génétique aurait été déclenchée par l’apparition des rétrovirus, connus pour intégrer les génomes multicellulaires et y opérer d’importants changements. La deuxième concerne les pieuvres, et avance qu’étant donné l’extrême complexité de ces organismes, ceux-ci pourraient directement être venus de l’espace sous forme d’œufs. Enfin, la troisième utilise les données récentes de détection de biomolécules atmosphériques et cométaires afin d’expliquer comment des comètes ont pu apporter la vie sur Terre.
Origine cosmique de la vie : la théorie de la panspermie
Les explications purement terrestres de l’explosion cambrienne ne peuvent rendre compte à elles seules de l’apparition « brutale » des métazoaires et de l’émergence d’une complexité génétique concomitante. En outre, en remontant encore plus loin dans le temps, l’apparition de la vie elle-même est en règle générale expliquée par le scénario de l’abiogenèse, c’est-à-dire le passage de molécules organiques terrestres (matière non vivante) à la vie. Rejetant l’abiogenèse pour son défaut de cohérence, certains scientifiques ont avancé la théorie de la panspermie.
La panspermie est une hypothèse qui avance qu’une partie au moins de la vie sur Terre possède une origine extraterrestre. Les scientifiques ont en effet montré que des molécules complexes comme l’ARN, l’ADN, des virus et même des bactéries, peuvent survivre à des voyages dans l’espace en étant contenus dans des corps comme des astéroïdes ou des comètes. En bombardant des planètes, ces vecteurs peuvent donc propager les bases de la vie, voire la vie elle-même partout dans l’univers, lorsque les conditions planétaires sont réunies pour qu’elle émerge.
Plusieurs recherches ont donné du crédit à la théorie de la panspermie. Dans le cas de la lithopanspermie, c’est-à-dire le transfert d’organismes vivants via des corps rocheux, l’étude de la météorite de Murchison a révélé la présence de 74 acides aminés, ainsi que de plusieurs molécules organiques comme des bases nucléiques entrant dans la composition de l’ADN. Plusieurs autres météorites ont révélé les mêmes indices biochimiques.
En outre, les avancées récentes en biologie ont permis de mettre en évidence l’existence de bactéries extrêmophiles résistant à des conditions extrêmes (température, pression, radiation, salinité, vide, famine, etc.) telle que Deinococcus radiodurans. Certaines bactéries peuvent revenir à la vie après 25 millions d’années, d’autres sont capables de résister au vide de l’espace. Ainsi, des simulations montrent que le transfert de bactéries par lithopanspermie à travers l’espace est possible avec des météorites d’au moins 1 m de diamètre.
La Terre : un milieu trop hostile pour une origine purement terrestre de la vie
En 1974, les astrophysiciens et astrobiologistes britanniques Chandra Wickramasinghe et Fred Hoyle approfondissent le modèle de la panspermie pour expliquer certains développements et événements soudains concernant la diversification du vivant. Les auteurs de l’étude reprennent les travaux des deux scientifiques afin de proposer une explication à l’explosion cambrienne. La récente découverte de micro-organismes datés d’environ 4.2 milliards d’années (pour rappel, l’âge de la Terre est de 4.6 milliards d’années) dans des stromatolites canadiennes pourrait remettre en cause le scénario classique de l’abiogenèse.
En effet, même si les scientifiques expliquent que le développement de tels micro-organismes est dû au fait de leur proximité avec des sources chaudes hydrothermales, les auteurs de la publication indiquent que cela n’explique pas comment ces micro-organismes ont pu initialement apparaître lors de l’Hadéen (période géologique s’étalant de -4.6 à -4 milliards d’années) alors que la Terre était constamment bombardée de météorites et d’astéroïdes, rendant celle-ci peu propice à l’apparition de la vie par des mécanismes purement terrestres.
La découverte de zircons en Australie, datant de la même époque et contenant eux aussi des micro-organismes, couplée aux données déjà recueillies par Wickramasinghe et Hoyle, tend ainsi à conforter l’hypothèse de la panspermie. Si les conditions à la surface de la Terre sont trop hostiles pour que la vie ait pu apparaître d’elle-même à sa surface, alors son origine n’est pas à rechercher initialement sur Terre, mais dans les comètes et les astéroïdes de l’Hadéen.
Explosion cambrienne : rétrovirus et pieuvres extraterrestres
Les astéroïdes et comètes de l’Hadéen auraient pu apporter avec eux un type particulier de virus, les rétrovirus, c’est-à-dire des virus constitués d’ARN et capables de le transcrire en ADN (rétrotranscription) afin de s’intégrer au génome des cellules infectées. Les rétrovirus sont réputés posséder un important potentiel de modification génétique en s’intercalant dans le génome de la cellule hôte. De tels virus comportent une information génétique très dense encodée dans leur ARN.
Les auteurs montrent que, transportés au sein de comètes et grâce à leur taille nanométrique, ils seraient à l’abri des rayonnements ionisants et pourraient traverser l’espace en conservant leur intégrité. Ainsi, les rétrovirus auraient joué le rôle principal dans la diversification génétique des espèces lors de l’explosion cambrienne, permettant à de nombreux organismes de muter tout en apportant également de nouveaux gènes provoquant la soudaineté de l’explosion génétique constatée lors du Cambrien.
L’hypothèse de l’évolution génétique apportée par les rétrovirus peut être confortée par l’analyse du génome des céphalopodes. Le génome de la pieuvre montre en effet une complexité hors-norme ; par comparaison avec le génome d’Homo sapiens, il contient 33’000 gènes codants supplémentaires. L’histoire de l’évolution des céphalopodes remonte à plus de 500 millions d’années mais comporte de nombreuses zones d’ombre. Le cas de la pieuvre interpelle particulièrement par l’apparition soudaine d’une sophistication organique impressionnante : gros cerveau, système nerveux complexe, dispositif oculaire optique dynamique, souplesse des tissus, camouflage instantané, etc.
La transformation génétique depuis le nautile (ancêtre) jusqu’à la pieuvre, en passant par le calamar, est unique et ne se retrouve chez aucun organisme vivant préexistant ; ces gènes pourraient donc être d’origine extraterrestre. Cette hypothèse est confortée par les récentes découvertes concernant le transcriptome (ensemble des ARN transcris) et sa diversification chez la pieuvre. Les sites d’édition A-to-I (adénosine vers l’inosine) des ARN messagers ont été totalement conservés à travers l’évolution, alors que ce n’est pas le cas chez son ancêtre le nautile.
Et cela n’est pas le cas non plus chez les autres vertébrés et invertébrés. Chez les humains et les drosophiles par exemple, seuls 1 à 3% des gènes codants présentent des sites A-to-I. Tandis que chez la pieuvre et le calamar, toutes les protéines ont conservé ces sites. Un tel écart qualitatif et quantitatif avec les autres espèces est impressionnant et constitue un véritable bond dans la stratégie génétique. Cette propriété unique ne peut, selon les auteurs, être expliquée par la simple hypothèse du néo-darwinisme, qui voudrait que ces propriétés génétiques hors-norme soient le fruit d’une lente évolution façonnée de mutations, étant donné la soudaineté de leur apparition.
L’hypothèse avancée par les auteurs est que ces gènes uniques auraient été apportés par des comètes ou des astéroïdes, soit via l’ARN contenu dans des rétrovirus, soit directement par des œufs de pieuvres cryopréservés. En effet, l’existence de rétrovirus extraterrestres pourrait expliquer la fulgurante émergence de la complexité génétique des pieuvres. Grâce à l’intégration génomique de gènes codants uniques, ces rétrovirus auraient pu fournir le boost génétique constaté chez les céphalopodes.
Mais également, d’après les scientifiques, l’apparition directe d’œufs de pieuvre fertilisés cryopréservés à partir de bolides spatiaux permettrait d’expliquer de manière cohérente l’émergence soudaine des pieuvres et de leur complexité génétique. En outre, l’origine cosmique de certains gènes offrirait également une explication à certaines caractéristiques génétiques retrouvées chez certaines espèces, aujourd’hui encore inexpliquées. Bien entendu, cette hypothèse, même si elle peut être théoriquement étayée, doit être prise avec du recul.