1I/’Oumuamua est un petit corps d’origine interstellaire découvert le 19 octobre 2017. En tant que premier objet identifié en provenance d’au-delà du Système solaire, et au regard de sa forme très inhabituelle, il n’a cessé de captiver l’attention des scientifiques. Plusieurs hypothèses sur son origine ont été avancées, certaines faisant intervenir une origine artificielle. La mesure d’une accélération anormale de l’objet a relancé le débat lorsque dans un article ayant fait le « buzz », les astrophysiciens Schmuel Baily et Avi Loeb de l’université Harvard ont avancé l’hypothèse d’une voile solaire.
Pour les astronomes et les astrophysiciens, la loi de la gravité devrait toujours être le facteur dominant lorsqu’un objet de grande envergure évolue dans le Système solaire. L’attraction gravitationnelle du Soleil a de loin l’effet le plus important, attirant toute masse vers lui conformément aux lois de Newton ou d’Einstein. Selon la loi de la gravitation de Newton, les seules orbites possibles devraient être un cercle, une ellipse, une parabole ou une hyperbole.
Pour un objet tel que ‘Oumuamua, l’orbite doit être hyperbolique. Un objet originaire de notre Système solaire, depuis Neptune ou au-delà, pourrait se déplacer initialement à des vitesses pouvant atteindre 1 km/s ; ‘Oumuamua a commencé son entrée dans le Système solaire à des vitesses supérieures à 20 km/s. Sans passage à proximité des géantes gazeuses pour bénéficier d’un effet de fronde gravitationnelle, l’objet est donc nécessairement d’origine interstellaire.
Cependant, lorsqu’il a quitté notre Système solaire, il n’a pas suivi la trajectoire hyperbolique prédite. Selon la meilleure reconstruction orbitale effectuée par les scientifiques, ‘Oumuamua a accéléré au fur et à mesure qu’il se dirigeait vers le Soleil, puis a ralenti à mesure qu’il s’en éloignait. Mais cette décélération ne s’est pas déroulée comme prévue, comme s’il y avait une légère accélération supplémentaire qui l’éloignait d’autant plus du Soleil que le simple effet de la gravité.
Les hypothèses à l’accélération anormale d’Oumuamua
Dans le cas d’un astéroïde interstellaire, plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer une divergence de l’orbite et de la vitesse par rapport aux prédictions :
- Une zone particulièrement dense de matière noire pourrait en être la cause, mais cela est très peu probable puisque c’est une accélération vers le Soleil qui serait provoquée dans ce cas.
- Des matériaux volatiles pourraient être chauffés et vaporisés depuis la surface, mais l’absence d’une structure similaire à une queue cométaire tend à rendre également cette hypothèse peu probable.
- L’astéroïde pourrait être chauffé inégalement par le Soleil, un phénomène déjà coupable de plusieurs cas d’accélérations anormales observés sur des engins spatiaux (sondes et satellites).
- Enfin, comme les auteurs le proposent, la pression de radiation solaire pourrait s’appliquer sur l’objet, le poussant à accélérer.
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L’explication du dégazage serait la plus logique, car les astéroïdes et les comètes de notre système solaire regorgent de composés volatils à leur surface.
Un volatile, par définition, est un produit chimique solide ressemblant à de la glace qui va s’échauffer, passer en phase gazeuse et s’évaporer lorsque le corps s’approche trop près du Soleil.
Les comètes (et parfois aussi des astéroïdes) développent des queues de dégazage, et la poussée du Soleil peut provoquer une accélération supplémentaire au-delà de ce que la gravité prédit.
Le seul problème avec ce scénario est que les observations très détaillées d’Oumuamua n’ont montré aucun phénomène de dégazage ni aucune structure ressemblant à une queue. La seule propriété remarquable ressortant des observations, en plus de cette inhabituelle accélération, est la forme lisse et allongée de l’objet.
Le mécanisme de chauffage inégal est extrêmement intéressant. Lorsqu’un côté de l’objet interstellaire fait face au Soleil, il se réchauffe à des températures pouvant être de plusieurs centaines de degrés supérieures à celles du côté opposé, ce qui entraîne un gradient de température important.
Chaque objet dégage de l’énergie proportionnellement à sa température. Le côté chaud rayonne alors avec une énergie supérieure à celle du côté froid. La nature irrégulière de l’astéroïde implique une émission de rayonnement inégale, ce qui pourrait, en principe, conduire à une accélération anormale. Les calculs d’accélération menés dans le cadre de cette hypothèse doivent encore être comparés aux mesures effectuées.
L’ultime explication est celle de la pression du rayonnement solaire. Ce phénomène est dû au transfert de l’impulsion des photons sur une surface donnée ; en d’autres termes, le flux de photons venant impacter une surface entraîne le mouvement de cette dernière en y appliquant une pression constante. Si ‘Oumuamua possède une surface plane assez grande, couplée à une masse relativement faible, alors la pression radiative solaire pourrait être responsable de son excès d’accélération.
C’est l’hypothèse développée par Baily et Loeb. En effectuant des calculs relativement simples, les deux astrophysiciens ont montré que pour un objet possédant un ratio particulier masse/surface, alors l’accélération mesurée correspondrait à celle fournie par la pression de rayonnement solaire. Les auteurs auraient pu arrêter leur développement ici et fournir ainsi une explication scientifique tout à fait plausible.
‘Oumumua : une origine artificielle peu plausible
Néanmoins, Baily et Loeb, en précisant qu’un tel objet pouvait être d’origine naturelle, ont poursuivi leurs explications en introduisant également l’hypothèse d’une origine artificielle, faisant alors directement référence à un engin spatial développé par une civilisation extraterrestre. Cet engin utiliserait ainsi, pour se déplacer, le principe de la voile solaire, reposant sur le phénomène de pression radiative décrit plus haut.
En effet, dans leurs calculs, les auteurs montrent que pour présenter une telle accélération en fonction de la pression radiative solaire reçue, la structure devrait présenter une épaisseur comprise entre 0.3 et 0.9 mm.
Ils rappellent que bien qu’extrêmement fin, un tel objet pourrait survivre à un voyage interstellaire sur des échelles galactiques, tout en résistant aux collisions avec les poussières et les gaz, ainsi qu’aux forces de rotation et de marées.
Ils concluent leur hypothèse en précisant que si cette structure est d’origine naturelle, alors elle est nécessairement composée d’un matériau actuellement inconnu au regard des propriétés physiques impliquées. Si en science l’ouverture d’esprit est une qualité appréciée, l’on peut reprocher aux deux astrophysiciens cette extrapolation quelque peu malheureuse.
Il existe plusieurs explications naturelles aux observations et données recueillies ne nécessitant pas l’implication d’une nouvelle physique, des scénarios exotiques ou l’intervention d’une intelligence extraterrestre.
D’autant plus que la signature spectrale, la couleur, la réflectivité, et tout un ensemble d’autres propriétés de l’astéroïde sont tout à fait en accord avec une origine naturelle. Baily et Loeb ont donc fourni une hypothèse certes séduisante, mais relevant plus de la science-fiction tant elle n’est appuyée que par les propres spéculations de ses auteurs.
Comme le disait le cosmologiste Carl Sagan, des affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires. Et, dans ce cas-ci, force est de constater que les preuves recueillies sont singulièrement ordinaires.
Lorsqu’une hypothèse extraordinaire est avancée, il est aisé d’oublier toutes les explications très ordinaires qui existent déjà, et qui impliquent généralement des phénomènes naturels connus et bien compris. Et c’est le cas ici, les hypothèses naturelles proposées ne nécessitent en aucun cas l’introduction d’une hypothèse artificielle.
Le rasoir d’Ockam est un puissant outil de méthodologie scientifique et, même si les deux auteurs n’ont rien affirmé et se sont montrés somme toute précautionneux, il aurait été souhaitable qu’ils s’y tiennent. L’imagination est importante, mais elle ne doit pas se faire aux détriments de la démarche scientifique. Après tout, ‘Oumuamua est déjà suffisamment extraordinaire en lui-même, car s’il n’est pas le messager d’une civilisation extraterrestre, il demeure le messager des étoiles.