Les systèmes binaires d’étoiles sont des objets riches en informations pour les scientifiques, et ils le sont d’autant plus lorsqu’ils sont composés d’étoiles Wolf-Rayet, une configuration relativement rare dans l’Univers. En observant une zone particulière de la Voie lactée, des astrophysiciens ont découvert Apep, une paire d’étoiles Wolf-Rayet dont l’une est sur le point d’exploser en supernova. Cet événement devrait donner lieu à la production d’un sursaut gamma phénoménal.
À seulement 8000 années-lumière de la Terre, sous la constellation du Scorpion, au sein d’un panache enroulé de poussières et de gaz, se trouve un système stellaire binaire très particulier. Nommé Apep, comme le dieu-serpent égyptien du chaos, il s’agit d’un système constitué d’étoiles Wolf-Rayet — de vieilles étoiles lumineuses, rares et instables.
Selon les estimations des astrophysiciens, un puissant sursaut gamma devrait être produit lors de l’explosion en supernova de l’une des étoiles fortement instables d’Apep. Les sursauts gamma font partie des événements les plus énergétiques de l’Univers, relâchant en 10 secondes plus d’énergie que ne le ferait le Soleil en 10 milliards d’années. La découverte est d’autant plus intéressante puisqu’aucun sursaut gamma originaire de la Voie lactée n’a jamais été détecté.
Paire d’étoiles Wolf-Rayet : un objet rare dans l’Univers
« Il s’agit du premier système de ce type découvert dans notre propre galaxie » déclare Joseph Callingham, astronome à l’Institut néerlandais de radioastronomie (ASTRON). « Nous ne nous attendions pas à trouver un tel système dans notre environnement proche ».
Les deux étoiles du système sont très anciennes, très chaudes, très lumineuses, et ont généralement au moins 25 fois la masse du Soleil. Et cette paire particulière perd cette masse à un rythme effréné, menant à une fin violente. Étant donné que cette étape de la vie d’une étoile supermassive ne dure pas très longtemps, les étoiles Wolf-Rayet sont plutôt rares — nous n’en connaissons que quelques centaines dans la Voie lactée, sur un total d’environ 100 milliards d’étoiles.
C’est pourquoi un système binaire composé de deux étoiles Wolf-Rayet est une découverte spectaculaire, bien que ce ne soit peut-être pas inhabituel dans l’univers, dans la mesure où jusqu’à 85% de toutes les étoiles peuvent être dans une paire binaire. Les résultats de la découverte ont été publiés dans la revue Nature.
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« La plupart des étoiles massives — y compris du type Wolf-Rayet — sont probablement nées de systèmes multiples. En remontant de plus en plus haut dans la hiérarchie stellaire, les doublets et même les triples et les quadruples deviennent de plus en plus courants » explique Peter Tuthill, astrophysicien à l’université de Sydney.
Un système binaire stellaire complexe à détecter
« Cependant, les étoiles Wolf-Rayet sont si brillantes qu’il peut être difficile de déterminer s’il y a des compagnons ». Toutefois, si ces étoiles sont si brillantes, comment la lumière de deux d’entre elles a pu échapper à l’œil vigilant des scientifiques quand bien même le système binaire se trouvait à proximité ?
Selon Callingham, qui a découvert le système en comparant des ensembles de données archivistiques issues de campagnes d’observation dans les domaines X et gamma, la paire se trouvait dans une région du ciel particulièrement complexe à cibler, de sorte que les astronomes sont passés à côté.
« En toute honnêteté, l’objet aurait probablement dû être découvert bien avant, en particulier par les observatoires infrarouges spécialisés dans la recherche de tels systèmes » ajoute-t-il. Cependant, la zone où se trouve la paire est tellement encombrée d’étoiles brillantes, que des observations infrarouges depuis les années 1980 avaient fini par la catégoriser comme trop difficile d’accès.
Mais lorsque Callingham a montré sa première découverte à Tuthill, celui-ci a été intrigué par les propriétés infrarouges extrêmes de l’objet. En tant que spécialiste en imagerie, il a suggéré une observation infrarouge à haute résolution pour examiner de près la poussière, à l’aide du très grand télescope de l’ESO. C’est alors qu’il est devenu « clair que nous avions trouvé quelque chose de vraiment spécial » révèle Tuthill.
Ce « quelque chose » était un panache sinueux creusé dans la poussière et le gaz autour de la paire binaire. C’est un type rare de nébuleuse, appelée « nébuleuse moulin à vent », retrouvée dans plusieurs systèmes stellaires dans lesquels au moins une des étoiles est une Wolf-Rayet.
Supernova et sursaut gamma : le destin d’Apep
La nébuleuse est née des vents stellaires incroyablement puissants soufflés par les deux étoiles. À l’endroit où les deux vents se rencontrent, un panache de poussière s’enroule vers l’extérieur. Dans le cas d’Apep, il existe une autre particularité : le gaz dans la nébuleuse se déplace à une vitesse extrêmement élevée, environ 3400 km/s.
Mais la poussière ne se déplace qu’à une fraction de cette vitesse : 570 km/s. Cela peut arriver lorsqu’une étoile tourne incroyablement vite, se disloquant presque, générant des vents à grande vitesse à ses pôles, mais beaucoup plus lents autour de son équateur.
Une des étoiles Wolf-Rayet d’Apep tourne à cette vitesse extrême, ce qui signifie que si elle manque de carburant, elle explosera en supernova. Les pôles vont s’effondrer avant l’équateur, ce qui, selon les chercheurs, produira une phénoménal sursaut de rayons gamma.
« C’est la partie qui était inattendue et que personne n’avait pu montrer auparavant » déclare Tuthill. « En fait, les astronomes sont divisés sur le point de savoir si des étoiles Wolf-Rayet dans cet état devraient exister dans la galaxie ».
« Cette étoile est un objet tellement spectaculaire et puissant qu’elle appartient presque à une catégorie à part. Et heureusement pour nous, elle comporte énormément de phénomènes physiques intéressants que nous ne pourrions pas étudier en temps ordinaire. Comme dirait le poète John Ketas, c’est un exemple où la beauté et la vérité convergent » conclut-il.