En 2016, la collaboration LIGO annonçait la première détection des ondes gravitationnelles prédites 100 ans plus tôt par Einstein dans sa théorie de la relativité générale. Ces ondes ont été émises durant la fusion de deux trous noirs, la masse du trou noir final étant inférieure à la somme des masses des deux trous noirs initiaux. Dans le cas des trous noirs, la relativité générale est claire : rien ne peut s’échapper de leur horizon des événements. Comment de l’énergie a-t-elle donc pu s’échapper des trous noirs durant la fusion ?
Pour un trou noir, toute sa masse/son énergie est concentrée en son centre, au sein d’un objet appelé singularité. Cette singularité est séparée de l’extérieur grâce à la présence d’un horizon des événements. Une fois passée au-delà de l’horizon des événements, toute particule, qu’elle soit massive ou non, peu importe sa vitesse ou son énergie, empruntera une trajectoire qui la conduira inévitablement jusqu’à la singularité dans laquelle elle sera absorbée.
Dans sa théorie de la relativité générale, Einstein démontre que lorsqu’un corps massif accélère, il produit des ondes gravitationnelles. Une onde gravitationnelle est une ondulation de l’espace-temps qui se déplace à la vitesse de la lumière dans le vide. Elle provoque une contraction/dilatation de l’espace-temps à son passage, et transporte une certaine quantité d’énergie. Et selon l’équivalence masse-énergie E = mc², la masse n’est qu’une forme particulière d’énergie.
Fusion de deux trous noirs : une perte de masse dans le bilan final
Le 14 septembre 2015, LIGO détecte des ondes gravitationnelles issues de la fusion de deux trous noirs de 36 et 29 masses solaires. Cependant, le trou noir final issu de la fusion ne fait que 62 masses solaires. Où sont donc passées les 3 autres masses solaires ? Réponse : dans l’énergie des ondes gravitationnelles émises. Lorsque deux trous noirs de masses similaires spiralent et fusionnent, jusqu’à 5% de la masse totale peut être dissipée sous forme d’ondes gravitationnelles.
Toutefois, chaque trou noir possède un horizon des événements, que ce soient les deux trous noirs initiaux ou le trou noir final. Et à aucun moment du processus les singularités ne deviennent nues, c’est-à-dire dénuées d’horizon des événements. Comment les ondes gravitationnelles font-elles alors pour s’échapper des trous noirs ?
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Une analogie peut être formulée avec ces questions : où part la masse quand deux protons fusionnent en deutérium, puis en hélium-3 et enfin en hélium-4 au cœur du Soleil ? Pour quelle raison l’hélium-4 est-il moins massif que les masses des quatre protons fusionnés dont il résulte ? À cause de l’énergie de liaison nucléaire. Un état lié est plus stable et moins énergétique (donc moins massif) qu’un état non-lié.
Une perte de masse due à l’énergie de liaison gravitationnelle
De la même manière, lorsque deux trous noirs spiralent et fusionnent, ils deviennent plus fortement liés gravitationnellement. La perte d’énergie, et donc de masse, est due à l’énergie de liaison gravitationnelle, et non parce que de l’énergie (de la masse) s’échappe de l’horizon des événements.
Cela peut également se comprendre du point de vue de la gravitation newtonienne. Imaginons deux masses d’1 kg chacune, au repos, et séparées par une distance infinie. Selon E = mc², elles possèdent une énergie de 1.8×1017 J. Maintenant, réduisons la distance qui les sépare :
- avec une distance d’1 km, le système a perdu 6.67×10-14 J d’énergie
- avec une distance d’1 cm, le système a perdu 6.67×10-9 J d’énergie
- avec une distance de 10-15 m, le système a perdu 6.67×104 J d’énergie
- avec une distance de 10-27 m, le système a perdu 6.67×1016 J d’énergie, soit 35% de l’énergie initiale
Bien sûr, à ces échelles, c’est la relativité générale qui est utilisée, et non la gravité newtonienne, mais le phénomène demeure identique. Ce ne sont pas les trous noirs qui perdent de la masse, mais la quantité totale d’énergie du système qui est transformée d’une forme (deux masses séparées et non-liées), en une autre forme (des masses gravitationnellement liées + des ondes gravitationnelles).
Les propriétés orbitales et les masses des trous noirs déterminent quelle quantité de la masse totale initiale est convertie en énergie de liaison gravitationnelle. Lorsque les deux masses sont similaires, jusqu’à 5% de la masse peut être convertie. Si la valeur de leur spin est très élevée et que ces spins sont alignés, cela peut monter jusqu’à 11%. Mais lorsqu’un trou noir est bien plus massif que l’autre, ce pourcentage diminue. Par exemple, un trou noir d’une masse solaire fusionnant avec un trou noir d’un million de masses solaires ne peut convertir que 0.0001% de sa masse.
En résumé, lors de la fusion de deux trous noirs, rien ne s’échappe de l’horizon des événements. Les ondes gravitationnelles détectées par les interféromètres comme LIGO témoignent simplement du réajustement de l’espace-temps, sous l’effet de la libération de l’énergie de liaison gravitationnelle au cours de la coalescence et de la fusion.