Le Soleil est un système dynamique, voire chaotique, et de nombreuses structures peuvent y être observées, corrélées aux nombreux phénomènes qui s’y produisent. Les modèles solaires prédisent l’existence de pluies de plasma, appelées pluies coronales, dans les boucles magnétiques solaires, bien qu’elles n’aient jamais été observées… jusqu’à maintenant. Une équipe d’astrophysiciens a pour la première fois détecté ces pluies qui pourraient, en outre, permettre d’expliquer deux des mystères actuels de la physique solaire.
Emily Mason, physicienne à l’Université catholique d’Amérique à Washington, cherchait une pluie coronale : des globes géants de plasma qui retombent de l’atmosphère extérieure du Soleil sur sa surface. Mais elle espérait la trouver dans les boucles magnétiques hautes de plusieurs kilomètres que l’on peut voir dépasser du Soleil lors d’une éclipse solaire.
Des simulations informatiques ont prédit que la pluie coronale pourrait se produire dans ces structures magnétiques. Les observations du vent solaire, du plasma s’échappant du Soleil et sortant dans l’espace, laissaient supposer qu’une pluie coronale était en cours. Et pouvoir étudier ce phénomène donnerait des pistes pour résoudre un mystère vieux de 70 ans concernant le Soleil : pour quelles raisons la couronne solaire est-elle plus chaude que sa surface ?
Mais après presque un an de recherche, Mason ne parvenait pas toujours à la trouver. « C’était beaucoup de recherche pour quelque chose qui ne se produirait peut-être jamais » déclare Mason.
En fait, le problème n’était pas ce qu’elle cherchait, mais où. Dans un article paru dans la revue Astrophysical Journal Letters, Mason et ses coauteurs décrivent les premières observations de pluie coronale dans un type de boucle magnétique solaire, auparavant négligé. Après une longue et difficile recherche dans la mauvaise direction, les résultats établissent un nouveau lien entre le réchauffement anormal de la couronne et la source du vent solaire lent — deux des plus grands mystères de la physique solaire à ce jour.
Le mécanisme à l’origine des pluies coronales
Observé à travers les télescopes à haute résolution montés sur le satellite SDO de la NASA, le Soleil semble avoir peu de similitudes physiques avec la Terre. Mais cette dernière fournit quelques guides utiles pour analyser le tumulte chaotique du Soleil : parmi eux, la pluie. Sur Terre, la pluie n’est qu’une partie du grand cycle de l’eau.
Il commence lorsque l’eau liquide, accumulée à la surface de la planète dans des océans, des lacs ou des ruisseaux, est chauffée par le Soleil. Une partie s’évapore et monte dans l’atmosphère, où elle se refroidit et se condense en nuages. Finalement, ces nuages deviennent suffisamment lourds pour que l’attraction gravitationnelle devienne irrésistible et que l’eau retombe sur Terre sous forme de pluie, avant que le processus ne recommence.
Sur le Soleil, dit Mason, la pluie coronale fonctionne de la même manière, « mais au lieu d’une eau à 60 degrés, vous avez affaire à un plasma à un million de degrés ». Le plasma, un gaz chargé électriquement, ne s’accumule pas comme de l’eau, mais trace les boucles magnétiques qui émergent de la surface du Soleil. Aux pieds de la boucle, où elle se fixe à la surface du Soleil, le plasma est surchauffé de quelques milliers à plus d’1 million de degrés C.
Il s’étend ensuite le long de la boucle et se rassemble à son sommet, loin de la source de chaleur. Lorsque le plasma se refroidit, il se condense et la gravité l’attire le long de la boucle sous forme de pluie coronale. Depuis au moins le milieu des années 90, les scientifiques savent que ces boucles particulières sont l’une des sources du vent solaire lent, un flux de gaz relativement lent et dense qui s’échappe du Soleil.
Cependant, les mesures du vent solaire lent ont révélé qu’il avait déjà été extrêmement chauffé avant de se refroidir et de fuir le Soleil. Le processus cyclique de chauffage et de refroidissement à l’origine de la pluie coronale, s’il se produisait à l’intérieur des boucles, serait une pièce du puzzle.
L’autre raison est liée au problème de chauffage coronal — le mystère de savoir comment et pourquoi l’atmosphère extérieure du Soleil est environ 300 fois plus chaude que sa surface. De manière frappante, des simulations ont montré que la pluie coronale ne se forme que lorsque de la chaleur est appliquée au pied de la boucle.
Mason possédait les meilleures données pour son travail : des images prises par le Solar Dynamics Observatory de la NASA, ou SDO, un engin spatial qui photographie le Soleil toutes les douze secondes depuis son lancement en 2010. Mais près de six mois après le début de la recherche, Mason n’avait toujours pas observé une seule goutte de pluie dans une des boucles. Elle avait cependant remarqué une multitude de structures magnétiques minuscules et peu familières.
« Elles étaient vraiment brillantes et ont véritablement capté mon regard. Quand je les ai enfin regardées minutieusement, il paraissait certain qu’elles subissaient des dizaines d’heures de pluies coronales » déclare Mason.
Des contraintes plus précises sur la cause du réchauffement coronal
Ces structures diffèrent des boucles magnétiques de plusieurs manières. Mais la chose la plus frappante à leur sujet est leur taille. « Ces boucles étaient beaucoup plus petites que ce que nous recherchions » déclare Spiro Antiochos, physicien solaire. « Cela indique donc que l’échauffement de la couronne est beaucoup plus localisé que nous le pensions ».
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Bien que les résultats ne disent pas exactement comment la couronne est chauffée, « ils restreignent les limites spatiales de là où le chauffage de la couronne pourrait se produire » explique Mason.
Mason avait découvert des boucles de pluie d’une trentaine de kilomètres, soit à peine 2% de la hauteur de certaines des boucles qu’elle recherchait à l’origine. Et la pluie condense la région où le réchauffement coronal peut avoir lieu. « Nous ne savons toujours pas exactement ce qui chauffe la couronne, mais nous savons que cela doit se produire dans cette couche » ajoute-t-elle.
Une nouvelle explication à la source du vent solaire lent
Mais une partie des observations ne correspond pas aux théories classiques. Selon les modèles actuels, la pluie coronale ne se forme que sur des boucles fermées, où le plasma peut se rassembler et se refroidir sans aucun moyen de s’échapper. Mais alors que Mason parcourait les données, elle découvrit des cas de pluie se formant sur des lignes de champ magnétique ouvertes.
Ancrée au Soleil à une extrémité seulement, l’autre extrémité de ces lignes de champ dégagées s’allonge dans l’espace, le plasma pouvant s’échapper dans le vent solaire. Pour expliquer cette anomalie, Mason et l’équipe ont mis au point une autre explication, à savoir une connexion entre la pluie sur ces minuscules structures magnétiques et les origines du vent solaire lent.
Dans la nouvelle explication, le plasma commence son parcours en boucle fermée, mais passe — via un processus appelé reconnexion magnétique — à un processus ouvert. Le phénomène se produit fréquemment sur le Soleil, lorsqu’une boucle fermée heurte une ligne de champ ouverte et que le système se rebranche. Soudain, le plasma surchauffé sur la boucle fermée se retrouve sur une ligne de champ ouverte, comme un train qui a changé de voie.
Une partie de ce plasma se dilate rapidement, se refroidit et retombe sur le Soleil sous forme de pluie coronale. Mais d’autres parties de celui-ci s’échappent, formant ainsi, selon eux, une partie du vent solaire lent. Mason travaille actuellement sur une simulation informatique de la nouvelle théorie, mais elle espère également que des preuves observationnelles à venir pourront le confirmer.
Maintenant que la sonde Parker Solar Probe, lancée en 2018, se rapproche davantage du Soleil que tout autre vaisseau spatial, elle peut survoler des rafales de vent solaire lent pouvant être retracées jusqu’au Soleil — potentiellement, à l’un des épisodes de pluie coronale détectés par Mason. Toutefois, la recherche de pluies coronales au sein des boucles magnétiques initialement visées continue car, selon Mason, elles devraient s’y produire également.