Les organismes extrêmophiles sont des organismes capables de survivre et d’évoluer dans des milieux extrêmes, dont les conditions sont généralement mortelles pour la majorité des autres espèces. Lorsque ces organismes combinent plusieurs résistances, ils sont alors appelés polyextrêmophiles. C’est le cas de la bactérie Kineococcus radiotolerans, dont l’incroyable résistance en a fait un objet d’étude précieux pour les scientifiques.
Selon leur nature, les extrêmophiles peuvent évoluer dans des milieux chargés en sel (halophilie), dépourvus d’eau (xérophilie), dépourvus d’oxygène (anoxie), hautement acides (acidophilie), très chauds ou très froids (hyperthermophilie, psychrophilie) à très haute pression (barophilie), etc. Lorsqu’ils sont résistants à plusieurs de ces conditions, il deviennent alors des polyextrêmophiles, capables de s’adapter à quasiment n’importe quel milieu sur Terre.
Parmi ceux-ci, la bactérie Deinococcus radiodurans fait figure de légende tant son incroyable polyrésistance a suscité l’étonnement des scientifiques et a donné lieu à de nombreuses études sur sa physiologie. Découverte en 1956 dans une boîte de conserve irradiée aux rayons gamma lors d’une expérience de décontamination, D. radiodurans a fait l’objet de nombreux projets visant à l’utiliser notamment pour la gestion de déchets radioactifs.
Keinococcus radiotolerans : une bactérie extrêmement polyrésistante
Cependant, il existe une seule autre bactérie polyextrêmophile dont la résistance surpasse celle de D. radiodurans. Découverte en 1996 au Savannah River National Laboratory dans des cuves de déchets radioactifs, Keinococcus radiotolerans est une bactérie aérobie à Gram positif possédant non seulement toutes les résistances de D. radiodurans, avec en plus une résistance aux substances chimiques extrêmement toxiques.
Tout d’abord, elle fait partie des très rares organismes (moins de 5 répertoriés) à montrer une si haute résistance à la radioactivité. Elle résiste jusqu’à 50’000 Gy (5’000’000 rads), soit 5000 fois plus que la dose de 10 Gy mortelle pour l’Homme. Elle montre une haute résistance aux trois classes d’UV (UV-A, UV-B et UV-C), pouvant encaisser entre 8000 et 10’000 fois la dose mortelle pour les organismes eucaryotes, et entre 80 et 100 fois celle pour les organismes procaryotes.
Elle possède également une forte psychrophilie ; la bactérie peut survivre à des températures inférieures à -45 °C sans dommage génomique. À l’inverse, elle se montre aussi hyperthermophile, pouvant tolérer des températures dépassant les 100 °C.
Résistante à la déshydratation et la dessiccation (déshydratation extrême), elle prospère ainsi dans des environnements très arides. En outre, elle résiste à l’acidité et aux milieux fortement basiques, ainsi qu’au vide et aux pressions extrêmes. Enfin, contrairement à D. radiodurans, elle résiste aux substances chimiques hautement cytotoxiques, génotoxiques, écotoxiques et aux composés chlorés.
Un mécanisme de réparation de l’ADN rapide et efficace
Tout cela est possible grâce à l’incroyable efficacité de son système de réparation de l’ADN, capable de réparer et restructurer son ADN en 10 à 14h après destruction partielle de celui-ci. En effet, la bactérie ne peut empêcher les radiations et substances toxiques d’endommager son ADN, mais elle possède en contrepartie des mécanismes génomiques et enzymatiques très perfectionnés. Elle peut tolérer jusqu’à 150 cassures du double brin par chromosome, contre 3 maximum pour Escherichia coli.
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Pour ce faire, K. radiotolerans possède plusieurs copies de son ADN (entre 5 et 12), la réparation nécessitant au moins 2 copies originales viables. Elle commence par rassembler tous les fragments de chromosomes nécessaires à la synthèse de l’ADN, puis passe à une phase de recombinaison génétique consistant à reconstituer les chromosomes circulaires originaux en réparant les brisures entre les brins. Une fois le génome initial rétabli, la bactérie peut reprendre la synthèse des différentes protéines.
Afin de protéger les éléments entrant dans le système de réparation de son ADN — les radiations et les substances toxiques produisant des radicaux libres dangereux pouvant dégrader les protéines de réparation, K. radiotolerans possède un ensemble d’enzymes à action rapide, éliminant les radicaux libres en question. Et pour éviter que les fragments d’ADN endommagés ne se réintègrent au génome, elle utilise un système de nettoyage permettant d’expulser ces déchets dans le milieu environnant.