Bien qu’il soit étudié depuis des décennies par les scientifiques, l’intérieur de la Terre, et la dynamique qui y règne, n’est pas encore totalement contraint par les modèles théoriques actuels. Ceci est en partie dû au fait qu’il est extrêmement difficile de pouvoir accéder à des profondeurs aussi importantes. Cependant, grâce à une analyse radio-isotopique minutieuse, des géophysiciens ont montré que le noyau de la Terre est entrain de « fuir » vers le manteau.
Le noyau est très difficile à étudier, en partie parce qu’il commence à une profondeur d’environ 2900 kilomètres, ce qui le rend trop profond pour procéder à un échantillonnage et à une observation directe. Pourtant, une équipe de recherche a trouvé un moyen d’obtenir des informations sur le noyau de la Terre. Les résultats ont été publiés dans la revue Geochemical Perspective Letters.
Fuite du noyau vers le manteau : une hypothèse de longue date
Le noyau est la partie la plus chaude de notre planète et le noyau externe atteint des températures supérieures à 5000 °C. Cela affecte le manteau supérieur et il est estimé que 50% de la chaleur volcanique provient du noyau.
Arborez un message climatique percutant 🌍
L’activité volcanique est le principal mécanisme de refroidissement de la planète. Certains volcanismes, tels que celui qui forme encore les îles volcaniques d’Hawaï et d’Islande, pourraient être liés au noyau par des panaches du manteau qui transfèrent la chaleur du noyau à la surface de la Terre.
Pourtant, l’échange de matériaux physiques entre le noyau et le manteau fait l’objet de débats depuis des décennies. Les nouveaux résultats suggèrent que certains matériaux de base sont effectivement transférés à la base de ces panaches du manteau, et que le cœur fuit depuis 2.5 milliards d’années. Les chercheurs ont découvert cela en observant de très petites variations dans le rapport des isotopes de l’élément tungstène.
Pour étudier le noyau de la Terre, il faut rechercher des traceurs chimiques du matériau du noyau dans les roches volcaniques dérivées du manteau profond. Nous savons que le noyau a une chimie très distincte, dominée par le fer et le nickel, ainsi que par des éléments tels que le tungstène, le platine et l’or, qui se dissolvent dans un alliage fer-nickel. Par conséquent, les éléments attirés par les alliages métalliques sont un bon choix pour rechercher des traces du noyau.
La recherche de radio-isotopes du tungstène
Le tungstène (symbole chimique W) en tant qu’élément de base possède 74 protons. Le tungstène a plusieurs isotopes, notamment W-182 (avec 108 neutrons) et W-184 (avec 110 neutrons). Ces isotopes pourraient constituer les traceurs les plus concluants du matériau du noyau, car le manteau devrait présenter des rapports W-182/W-184 bien supérieurs au noyau.
Ceci est dû à un autre élément, le hafnium (Hf), qui ne se dissout pas dans un alliage fer-nickel et qui est enrichi dans le manteau. Cet élément avait un isotope maintenant disparu (Hf-182) qui se désintégrait en W-182. Cela donne au manteau des isotopes W-182 supplémentaires par rapport au tungstène dans le noyau.
Mais l’analyse requise pour détecter les variations des isotopes du tungstène est extrêmement difficile, car les chercheurs examinent les variations du rapport W-182/W-184 en parties par million (ppm) et la concentration de tungstène dans les roches est aussi faible que des dizaines de parties par milliard. Moins de cinq laboratoires dans le monde peuvent effectuer ce type d’analyse.
Preuve de la fuite du noyau : modification du rapport isotopique du manteau
Notre étude montre un changement substantiel dans le rapport W-182/W-184 du manteau au cours de la vie de la Terre. Les roches les plus anciennes de la Terre ont un rapport W-182/W-184 supérieur à la plupart des roches modernes. La modification du rapport W-182/W-184 du manteau indique que le tungstène du noyau fuit depuis longtemps dans le manteau.
Fait intéressant : dans les roches volcaniques les plus anciennes de la Terre, sur une période de 1.8 milliard d’années, il n’y a pas eu de changement significatif dans les isotopes du tungstène du manteau. Cela indique qu’entre 4.3 milliards et 2.7 milliards d’années, peu ou pas de matériaux du noyau ont été transférés dans le manteau supérieur.
Sur le même sujet : Le noyau de la Terre est bel et bien solide
Mais au cours des 2.5 milliards d’années qui ont suivi, la composition isotopique du tungstène du manteau a considérablement changé. Il est possible d’en déduire qu’un changement dans la tectonique des plaques, intervenu il y a environ 2.6 milliards d’années, vers la fin de l’époque archéenne, ait déclenché des courants de convection suffisamment importants dans le manteau pour modifier les isotopes de tungstène de toutes les roches modernes.
Le mécanisme géologique à l’origine de la fuite
Si les panaches du manteau montent de la limite noyau-manteau à la surface, il s’ensuit que les matériaux provenant de la surface de la Terre doivent également descendre dans le manteau profond. La subduction, terme utilisé pour désigner les roches de la surface de la Terre descendant dans le manteau, transporte un matériau riche en oxygène de la surface dans le manteau profond, en tant que composant intégral de la tectonique des plaques.
Des expériences ont montré qu’une augmentation de la concentration en oxygène à la frontière entre le noyau et le manteau pourrait entraîner la séparation du tungstène hors du noyau et dans le manteau. La solidification du noyau interne augmenterait également la concentration en oxygène du noyau externe. Dans ce cas, ces nouveaux résultats pourraient en dire plus sur l’évolution du noyau, y compris l’origine du champ magnétique terrestre.
Le noyau de la Terre était initialement un métal entièrement liquide et s’est refroidi et partiellement solidifié au fil du temps. Le champ magnétique est généré par la rotation du noyau solide interne. Le temps de cristallisation du noyau interne est l’une des questions les plus difficiles à résoudre en sciences de la Terre et des planètes.
Cette étude fournit un traceur qui peut être utilisé pour étudier l’interaction noyau-manteau ainsi que le changement de la dynamique interne de la planète. Il peut aussi aider à mieux comprendre comment, et quand, le champ magnétique a été activé.