Les victimes du réchauffement climatique planétaire sont nombreuses, et les mammifères marins, notamment les baleines, sont particulièrement impactés par la situation. Au cours des dernières années, les biologistes marins ont constaté avec effroi une baisse continuelle des populations de baleines, dont plusieurs sont en voie de disparition. C’est particulièrement le cas des baleines franches de l’Atlantique Nord, qui ont vu la mort de 2% de leur population au cours des deux derniers mois.
Un avion de surveillance canadien scrutait les eaux du golfe du Saint-Laurent lorsqu’il fit une macabre découverte : la carcasse d’une baleine noire de l’Atlantique Nord, l’une des quelque 400 restantes dans le monde, dérivait dans le courant, une grande partie de sa peau perdue. Le lendemain, une autre baleine noire morte a été aperçue dans la même zone. Et une baleine noire âgée de 18 ans s’est retrouvée empêtrée dans les filets d’un bateau de pêche près de Québec dont une corde avait fendu la tête et le dessus de l’évent.
L’été a été dévastateur pour ces mammifères marins en voie de disparition. Depuis le début du mois de juin, huit baleines franches de l’Atlantique Nord — soit 2% de la population mondiale — ont été retrouvées mortes dans les eaux canadiennes, alarmant des scientifiques, des défenseurs de l’environnement et des responsables gouvernementaux qui pensaient avoir commencé à progresser dans la protection des espèces en péril.
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La diminution alarmante du nombre de femelles reproductrices
« C’est un pas horrible vers l’extinction » déclare Regina Asmutis-Silvia, directrice de la Whale and Dolphin Conservation USA. Les résultats de l’autopsie sont toujours en attente pour la plupart des baleines, mais les résultats préliminaires pour trois d’entre elles suggèrent des collisions avec des navires.
Les décès de cette année sont particulièrement troublants, car quatre des baleines étaient des femelles reproductrices, dont il reste moins de 100 spécimens. Les taux de mise-bas ont chuté de 40% depuis 2010, selon les scientifiques de la Woods Hole Oceanographic Institution, ce qui rend la mort de ces femelles encore plus problématique. « C’est actuellement très clairement non viable » déclare Philip Hamilton, chercheur au New England Aquarium de Boston. « À ce rythme, dans 20 ans, il n’y aura plus de femelles reproductrices et la population sera effectivement éteinte ».
Baleines franches : un déclin causé par les activités humaines
Les baleines franches de l’Atlantique Nord ont déjà été sur le point de disparaître. Les baleiniers considéraient les créatures dociles et lentes remplies de graisse comme les « bonnes » baleines à chasser et, il y a un siècle, les massacraient presque toutes. La situation de l’espèce a changé en 1935, lorsque la Société des Nations a rendu leur chasse illégale. Au cours du 20e siècle, leur nombre a lentement augmenté, bien qu’elles ne se soient jamais rétablies.
Puis, en 2010, la population a recommencé à décliner. Beaucoup affirment que le déclin est lié à un changement du modèle de migration des baleines, probablement dû au réchauffement des eaux. Elles se sont présentées dans des zones imprévues, où elles sont peu protégées par la réglementation. Cela les a rendues vulnérables aux collisions avec des navires en mouvement rapide ou à l’enchevêtrement dans des lignes de pêche, ce qui peut fendre la chair et les os et tuer lentement et douloureusement les baleines par la noyade, la famine ou l’infection.
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Les chercheurs ont découvert que 88% des décès de baleines noires pour lesquels une cause avait été déterminée au cours des 15 dernières années résultaient de collisions avec des navires ou d’enchevêtrements. Aucun des décès, ont-ils rapporté dans une étude publiée le mois dernier dans la revue Diseases of Aquatic Organisms, n’était le résultat de causes naturelles.
Réchauffement des eaux et migrations forcée
Au cours des dernières années, les baleines ont passé l’hiver au large de la Floride et de la Géorgie, puis se sont déplacées au nord dans la baie de Cape Cod au printemps, puis dans le golfe du Maine et la baie de Fundy pendant l’été. Mais dernièrement, elles sont apparues plus au nord, dans le golfe du Saint-Laurent.
Les chercheurs accusent le changement climatique. À mesure que les habitats habituels des baleines se sont réchauffés, les copépodes qu’elles aiment manger se sont déplacés vers le nord. Les baleines ont suivi leur source de nourriture.
Dix-sept baleines noires de l’Atlantique Nord sont mortes en Amérique du Nord en 2017, dont 12 au Canada, dans les déclarations de l’Administration nationale des océans et de l’atmosphère, une situation qualifiée « d’événement de mortalité inhabituel ». Les décès ont été causés par l’Homme — suite à des enchevêtrements ou à des collisions avec des navires.
Un équilibre délicat entre protection des baleines et maintient de l’industrie
Le gouvernement canadien a mis en place des mesures incluant des limitations de vitesse pour certains navires, une interdiction temporaire de la pêche au homard et au crabe dans certaines parties du golfe du Saint-Laurent et une surveillance aérienne accrue des eaux. Les restrictions ont été resserrées en 2018 — et semblaient fonctionner. L’année dernière, aucune baleine noire n’a été retrouvée morte au Canada. Les responsables les ont donc assouplies afin de minimiser l’impact sur l’industrie.
Mais après le premier décès de cette année, le gouvernement canadien a de nouveau resserré les règles. La zone dans laquelle les limitations de vitesse s’appliquent a été élargie, de même que les catégories de bateaux qui y sont soumises. La surveillance aérienne a été renforcée. Selon Hamilton, réduire la force de la corde dans les engins de pêche et élargir les zones soumises à des limitations de vitesse pourrait réduire le nombre de décès. Les nouvelles technologies telles que les bateaux de pêche sans cordes sont également prometteuses.
Wilkinson, le ministre des Pêches, déclare qu’il n’est pas facile de trouver un équilibre entre la protection des baleines et la réduction de l’impact sur l’industrie. Il a déclaré que le bien-être de l’espèce est « la première et principale chose sur laquelle nous devons nous concentrer ». Tonya Wimmer, directrice exécutive de la Marine Animal Response Society en Nouvelle-Écosse, applaudit les actions du gouvernement, mais dit ne pas encore avoir trouvé le juste équilibre entre bien-être animal et protection de l’industrie.
Wimmer était présente à l’autopsie d’une mère et d’une grand-mère de 40 ans, une baleine connue sous le nom de Ponctuation, pour les petites cicatrices sur sa tête qui ressemblaient à des virgules et des tirets. Cette dernière, retrouvée morte dans le golfe du Saint-Laurent en juin, a été si violemment frappée par un navire que ses organes ont commencé à sortir d’une plaie dorsale de 180 cm.