Concept développé depuis des dizaines d’années par les auteurs de science-fiction, l’hibernation est aujourd’hui sérieusement étudiée par les scientifiques. Plonger le corps humain à basse température afin d’induire une biostase ou une hibernation pourrait servir dans divers domaines comme la médecine ou encore l’exploration spatiale. Bien que le processus soit déjà techniquement réalisable, certains obstacles barrent encore la route à une concrétisation simple, stable et sans dangers.
L’essence de l’hibernation, explique Kelly Drew, est la régulation de la température corporelle. La baisse de la température centrale du corps induit un état de « torpeur » à faible métabolisme, dans lequel les animaux n’ont presque pas besoin de nourriture.
La majorité des calories que nous brûlons (valable pour les animaux à sang chaud), servent à maintenir la température de notre corps, notre taux métabolique basal. Les écureuils, par exemple, se recroquevillent en petites boules et chutent de 37.3 °C à 27 °C. Cela fait baisser leur taux métabolique basal d’environ 99%.
Même les lémuriens nains peuvent réduire leurs besoins caloriques à 2% en abaissant leur température. Les humains semblent malheureusement avoir un point obstinément fixe : 37 °C. Hormis de minuscules fluctuations quotidiennes comme une baisse nocturne qui coïncide avec le sommeil, nos températures ne changent que lors de certains événements — fièvre ou hypothermie. Quelques degrés seulement peuvent faire la différence entre la bonne santé et la mort imminente.
Hypothermie artificielle : un processus « d’hibernation » déjà utilisé en médecine
Ce point a longtemps été considéré comme immuable, mais il se peut qu’il ne le soit pas. Même si les humains ne sont généralement pas plongés dans la torpeur de leur propre gré — et que notre corps l’empêche généralement en tremblant, Drew explique qu’il n’y a pas de « molécule d’hibernation » ou d’organe qui manque aux humains. En fait, la torpeur peut être provoquée par les médecins dans des circonstances extrêmes.
Les chirurgiens, par exemple, utilisent l’hypothermie pendant les procédures au cours desquelles le cœur doit être arrêté pendant une période prolongée, ce qui permet au cerveau et aux autres organes de survivre plus longtemps. Le refroidissement est également utilisé dans les cas d’urgence après un arrêt cardiaque. On pense que le fait de couvrir les patients sous sédation dans des couvertures qui font circuler de l’eau fraîche a un effet similaire à celui de mettre un sac de glace sur une cheville foulée, ce qui diminue le processus inflammatoire pour minimiser les dommages durables au cœur et au système nerveux central.
Le refroidissement est maintenant largement pratiqué dans les hôpitaux, et certains médecins en sont venus à croire que le principe pourrait être poussé plus loin — essentiellement garder les gens en vie après leur mort. À l’Université du Maryland, le chirurgien Samuel Tisherman étudie ce qu’il appelle la « préservation et réanimation d’urgence » ou EPR, un protocole expérimental dans lequel les médecins refroidissent rapidement les victimes de traumatismes dont le cœur cesse de battre.
Permettre au corps de survivre plus longtemps
Cela pourrait faire gagner du temps pour une chirurgie d’urgence. À l’heure actuelle, dans un cas de traumatisme grave, un patient peut n’avoir que quelques minutes à vivre — pas assez pour se rendre à la table d’opération.
Par exemple, Tisherman décrit une personne blessée par balle à l’aorte qui saigne intérieurement très rapidement. Si le cœur de cette personne s’arrête, l’équipe de Tisherman ouvrira chirurgicalement la poitrine et massera le cœur pour qu’il continue de pomper pendant qu’ils tentent de réparer l’aorte.
Cela ne prend que quelques minutes, mais lorsque le patient perd trop de sang, c’est fini. Privé d’oxygène, le cerveau meurt en quelques minutes. Le refroidissement pourrait étendre cette fenêtre cruciale. Même avec le cœur arrêté, le cerveau peut survivre pendant environ deux heures à une température suffisamment basse. Induire la torpeur dans de telles circonstances signifierait que le refroidissement devrait se produire très rapidement — nécessitant une équipe d’anesthésiologistes, de chirurgiens et de cardiologues travaillant tous en même temps sans préavis.
Mais la science est là. « Ces blessures sont techniquement réparables » explique Tisherman. « Les limites sont plus logistiques que physiologiques ». Cela soulève la question d’autres façons dont cette physiologie pourrait être modifiée, thérapeutiquement ou autrement. Si une personne mortellement blessée pouvait être maintenue en vie, la température pourrait-elle être utilisée pour ralentir les processus métaboliques dans des scénarios moins extrêmes ? Combien de temps une personne peut-elle « hiberner » en bonne santé ?
La biostase : gagner du temps pour sauver des vies
La biostase, ou “animation suspendue”, est une technique assimilable à l’hibernation et qui selon les chercheurs et les médecins, pourrait à l’avenir aider à sauver de nombreuses vies. En effet, à l’heure actuelle, il existe déjà des techniques brèves ou partielles qui ont une réversibilité quasi-automatique et naturelle, comme celles citées ci-dessus.
Mais il y a peu, des scientifiques ont passer un cap supplémentaire dans ce domaine : ils ont placé des humains en biostase pour la toute première fois, lors d’un essai effectué aux États-Unis et visant à permettre la réparation de lésions traumatiques qui autrement causeraient la mort.
La biostase implique de refroidir rapidement une personne à environ 10 à 15 °C en remplaçant tout son sang par une solution saline très froide. Se faisant, l’activité cérébrale du patient s’arrête presque complètement. Il est ensuite déconnecté du système de refroidissement et le corps (qui serait autrement classé comme mort) est transféré en salle d’opération. À partir de ce moment, l’équipe chirurgicale dispose d’environ 2 heures pour réparer les blessures de la personne avant que celle-ci ne se réchauffe à nouveau, et que son cœur ne redémarre.
Premiers essais humains pour la biostase : nous répondons à vos questions
L’hibernation : une solution pour les voyages spatiaux habités
Cette question est traitée sérieusement par la NASA. À partir de 2014, l’agence a financé la recherche sur l’hibernation à long terme comme moyen de faciliter les voyages spatiaux. Aller sur Mars, par exemple, est limité par les besoins obstinés des astronautes de manger et se déplacer. Mais si leurs processus métaboliques pouvaient être ralentis à presque zéro, ils pourraient théoriquement voyager beaucoup plus loin.
« L’avantage évident est d’avoir besoin de moins de nourriture » explique John Bradford, un ingénieur en aérospatiale qui a travaillé avec l’agence pour développer un protocole d’hibernation humaine. Un membre d’équipage resterait conscient pendant que les autres hiberneraient pendant des périodes de deux semaines. Ils pourraient être conservés dans de petites nacelles, minimisant la quantité d’espace dans le vaisseau.
Bien que son protocole n’ait pas été réellement testé, Bradford est optimiste. Pourtant, le risque de complications médicales n’est pas nul. Parce que notre corps ne stocke pas de réserves de nourriture, les astronautes devraient être nourris à travers un tube (inséré chirurgicalement en perçant un trou à l’avant de l’abdomen, dans l’estomac). Bradford dit que le plus grand défi serait de faire baisser la température des gens sans les faire frissonner et brûler de l’énergie.
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La quête d’un médicament pour abaisser la température en toute sécurité
Dans les hôpitaux, le frisson est surmonté avec des médicaments sédatifs, mais l’équipe de Bradford se méfie du fait de faire prendre à une équipe d’astronautes des sédatifs lourds durant des semaines ou des mois. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un médicament qui pourrait faire baisser la température centrale d’une personne en toute sécurité, provoquant une torpeur comme celle dont jouissent tant d’autres espèces.
Bradford et Tisherman soulignent tous les deux que ce type de médicament serait une percée potentielle — un moyen de s’attaquer aux facteurs limitatifs les plus clairs dans leur travail. Drew a un médicament qui, selon elle, pourrait faire exactement cela. Elle décrit sa fonction comme « capable de baisser notre thermostat ». Il fonctionne de manière fiable chez le rat, qui lui a servi de modèle expérimental, et Drew est en pourparlers avec la Food and Drug Administration des États-Unis au sujet des tests sur l’Homme.
Traiter les processus inflammatoires et les insomnies
En 2019, les National Institutes of Health ont financé son travail avec une subvention de 11.8 millions de dollars, suggérant que l’attrait de ces thérapies pour les humains ne se limite pas à ceux qui sont techniquement décédés ou en route vers Mars. Le refroidissement a le potentiel de jouer un rôle dans le traitement de nombreuses maladies inflammatoires, explique Drew. Elle s’intéresse également au rôle de la thermorégulation dans l’insomnie.
Dans certains cas, le trouble semble être dû à un défaut de la baisse cyclique standard de la température du corps humain chaque soir, de sorte que les médicaments modulant la température pourraient aider à induire le sommeil. Pendant ce temps, d’autres chercheurs étudient comment les voies métaboliques dépendantes de la température sont affectées dans l’obésité et le diabète, et si elles pourraient être réinitialisées.
Hibernation chez l’Homme : des obstacles persistent
Au-delà de la question de la limite thermique du cerveau, il existe des barrières anatomiques pour l’Homme. Par exemple, Drew dit que ses rats ne peuvent être mis en hibernation que pendant environ deux semaines avant de développer une septicémie, apparemment en raison d’une rupture de la paroi intestinale. De nombreux animaux en hibernation ont des organes anatomiquement adaptés à la pratique, contrairement aux nôtres.
Les ours noirs ont des organes plus semblables à ceux des humains, et ils maintiennent l’hibernation en parcourant diverses températures corporelles au lieu de chuter pendant des mois entiers. L’hibernation humaine nécessiterait probablement un cycle similaire, ce qui serait plus compliqué que de simplement éteindre le thermostat du corps avec une pilule.