Les propriétés hallucinogènes de certains champignons sont dues à diverses molécules. Plus de 200 espèces affichent de telles propriétés, parmi lesquelles les psilocybes, qui se caractérisent par la présence de psilocybine, entre autres principes actifs psychotropes. Il s’avère que sous contrôle médical, cette molécule peut soulager bien des troubles d’ordre psychique et neurologique. Or, la consommation de psilocybes est pour le moment illégale et l’extraction à grande échelle de la substance active engendrerait des coûts trop élevés. Des scientifiques viennent de découvrir que la psilocybine pourrait être produite par une levure.
La psilocybine, utilisée de manière contrôlée et à faible dose, est un traitement particulièrement efficace pour les patients souffrant de TOC (troubles obsessionnels compulsifs). D’autres études ont montré que la psilocybine induit une diminution de l’anxiété, une amélioration de l’humeur et donc, s’avère un excellent remède aux dépressions sévères. Elle offre notamment une meilleure qualité de fin de vie aux patients atteints d’un cancer létal. L’an dernier, la Food and Drug Administration (FDA) a d’ailleurs récemment désigné la thérapie à psilocybine comme étant « une thérapie révolutionnaire » afin d’accélérer la mise sur le marché de médicaments contre les troubles dépressifs majeurs.
Un produit 100% naturel et facile à purifier
Si la psilocybine suit le même chemin que le cannabis – aujourd’hui toléré dans plusieurs pays dans le cadre d’un usage thérapeutique – elle pourrait être bientôt approuvée comme médicament pharmaceutique. Des essais cliniques sont en cours en Europe et aux États-Unis. Cependant, l’extraction de la psilocybine des champignons, tout comme les meilleures méthodes de synthèse en laboratoire, nécessite des investissements bien trop coûteux. Ce qui rend difficilement envisageable la fabrication d’un traitement à grande échelle.
C’est pourquoi une équipe du Novo Nordisk Foundation Center for Biosustainability (DTU Biosustain), un laboratoire de recherche de l’Université technique du Danemark, a étudié d’autres possibilités de production. Des recherches antérieures ont montré que la production biosourcée de psilocybine par une bactérie, E. coli, était une piste potentielle ; les chercheurs sont en effet parvenus à produire la substance psychoactive à petite échelle. Mais la méthode pose quelques problèmes : entre autres, l’ajout de substrats de départ assez coûteux et la production de composés supplémentaires, indésirables et potentiellement nocifs.
Les scientifiques du DTU Biosustain ont donc eu l’idée de remplacer la bactérie E. coli par une levure. Ils ont partagé les résultats de leurs expérimentations dans Metabolic Engineering Journal. Ils démontrent notamment qu’avec la levure, la psilocybine peut être produite de novo, ce qui signifie que la substance est obtenue en cultivant simplement la levure avec du sucre et d’autres nutriments, sans avoir besoin d’ajouter d’autres substrats de départ.
La production de psilocybine de novo dans E. coli s’avère plus difficile, car l’une des enzymes clés du processus ne fonctionne pas dans les bactéries sans l’ajout d’un substrat de départ particulièrement coûteux. « Puisque la levure et les champignons psilocybes sont des espèces assez proches, cette enzyme fonctionne très bien dans la levure, fournissant une alternative beaucoup plus rentable », explique Irina Borodina, responsable de l’étude.
En outre, la levure est davantage adaptée à la fermentation à grande échelle ; pour preuve son utilisation historique dans le brassage de la bière. Elle offre également un bien meilleur rendement après le processus de purification ; E. coli produit des composés potentiellement nocifs supplémentaires qu’il est nécessaire d’éliminer.
À la découverte de nouvelles vertus thérapeutiques
Lors de leurs tests, l’équipe a atteint un taux de production relativement élevé (627 ± 140 mg/L). Ils ont constaté que les meilleurs rendements étaient obtenus via la fermentation en lots, nourris par de plus grandes quantités de glucose.
Pour améliorer la rentabilité du processus, il fallait surmonter un obstacle majeur : la structure moléculaire de la psilocybine comporte un groupement phosphate, qui est clivé lorsque la molécule est convertie en sa forme active. Ce groupe phosphate en moins, la molécule se transforme en psilocine, à l’origine de l’effet psychotrope. Mais au final, ce clivage entraîne la perte de la moitié du produit…
Pour pallier le problème, l’équipe a utilisé la voie du shikimate, une voie métabolique utilisée pour la biosynthèse de certains acides aminés – ici, le tryptophane, précurseur de la réaction principale. En incluant cette étape dans le processus, ils sont ainsi parvenus à augmenter l’approvisionnement natif en tryptophane et donc, améliorer le rendement.
Les chercheurs impliqués dans cette étude rappellent par ailleurs que la psilocybine n’est pas l’unique « trésor » des champignons hallucinogènes. Les psilocybes produisent toute une gamme de molécules dérivées de la tryptamine, dont la structure est similaire à celle de la psilocybine. Ces dérivés de la tryptamine sont connus pour interagir avec différents récepteurs de la sérotonine dans le corps. Si beaucoup induisent des effets psychoactifs, d’autres entrent dans la composition d’antidépresseurs, d’antimicrobiens, de somnifères, de sédatifs, ou de médicaments contre la migraine.
Ces produits sont cependant trop difficiles à purifier et les recherches sur leurs éventuels effets thérapeutiques sont donc particulièrement difficiles à entreprendre. Le processus de biosynthèse présenté ici pourrait ainsi servir de base à la production d’autres dérivés de la tryptamine, qui pourraient présenter eux aussi un grand intérêt thérapeutique.
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La technologie a été transmise à Octarine Bio, une filiale du DTU Biosustain et de l’Université de Copenhague, qui travaille à la production à grande échelle de psilocybine, tout en s’intéressant au potentiel de nouveaux produits dérivés. « Notre intérêt n’est pas seulement de produire de la psilocybine au kilo, mais d’exploiter la machinerie biologique pour fabriquer de nouveaux dérivés qui ne sont pas disponibles aujourd’hui. Ainsi, il est très utile que nous puissions non seulement démontrer la production de psilocybine, mais également trouver de nombreux dérivés qui pourraient avoir une pertinence thérapeutique », explique Nick Milne, CSO et co-fondateur d’Octarine Bio.
En dehors de ses effets anxiolytiques et antidépresseurs, une étude menée en 2015 a montré que la psilocybine pourrait être efficace pour traiter la dépendance à l’alcool. D’autres essais ont révélé qu’elle affichait de bons résultats chez les patients dépressifs dont la pathologie résiste aux traitements traditionnels.