Les vents solaires sont des flux de particules chargées (des ions, des électrons et des protons), un plasma, que le Soleil expulse continuellement ; il émet ainsi près d’un million de tonnes de matière par seconde. Or, les gaz et les plasmas se refroidissent lorsqu’ils se dilatent. Mais lorsque le plasma solaire se dilate dans l’espace, il s’avère beaucoup plus chaud que ce que prédisent les lois de la physique. Des chercheurs américains se sont donc intéressés à cette « anomalie » pour tenter d’en déterminer les causes.
Plusieurs propriétés de ce plasma solaire sont encore aujourd’hui mal comprises et la température des vents solaires questionne depuis longtemps les physiciens. Une nouvelle étude sur le sujet, réalisée par des chercheurs de l’Université du Wisconsin à Madison, apporte aujourd’hui une explication au phénomène : ils suggèrent que le plasma du vent solaire tire sa chaleur d’électrons provenant de la couronne solaire, qui sont comme piégés et demeurent sous l’attraction du soleil ; certains de ces électrons parviennent à échapper à cette attraction et distribuent leur énergie thermique à leurs homologues. De ce fait, le refroidissement du vent solaire se fait plus lent.
Des électrons « piégés » par le Soleil
Les observations montrent que dans l’héliosphère, la température des électrons diminue avec la distance, mais nettement plus lentement que ne le prévoit la loi de détente adiabatique (1er principe de la thermodynamique : aucun échange de chaleur n’a lieu avec le milieu extérieur, c’est le système qui fournit du travail au milieu extérieur, donc sa température diminue).
« Initialement, les chercheurs pensaient que le vent solaire devait se refroidir très rapidement à mesure qu’il se dilatait en s’éloignant du Soleil, mais les données satellites montrent qu’à mesure qu’il atteint la Terre, sa température est 10 fois plus élevée que prévu », explique Stanislav Boldyrev, théoricien spécialisé en physique des plasmas et co-auteur de l’étude. Face à de telles observations, l’équipe a donc étudié le plasma en mouvement, en laboratoire, afin d’apporter une explication au phénomène.
On suppose depuis longtemps que le processus d’expansion du plasma est soumis à des lois adiabatiques ; en d’autres termes, l’énergie thermique n’entrerait pas en jeu. Toutefois, les scientifiques soulignent que les électrons qui constituent le plasma sont soumis ici à de grandes variations de champs magnétiques, un « chaos » qui engendre plusieurs opportunités d’échange de chaleur. Les chercheurs proposent donc ici une théorie cinétique suggérant une évolution non adiabatique du plasma, avec très peu de collisions.
Les électrons ayant la plus faible masse de toutes les particules chargées (9,1.10-31 kg), ils se déplacent plus vite (environ 40 fois plus vite) et prennent ainsi une bonne longueur d’avance sur les autres particules lorsque le plasma est expulsé de l’atmosphère solaire. De ce fait, étant chargés négativement, ils laissent derrière eux une majorité de charges positives, plus lourdes. Et finalement, ces deux « nuages » de charges opposées s’attirent de plus en plus, jusqu’à ramener les électrons les plus faibles en énergie à leur point de départ… Ces électrons se livreraient donc à un incessant va-et-vient. De plus, certains de ces électrons peuvent être déviés de leur trajectoire par des collisions avec les particules environnantes.
Un véritable ping-pong électronique
« Ces électrons qui reviennent sont réfléchis de manière à se diriger loin du Soleil, mais là encore, ils ne peuvent pas s’échapper en raison de la force électrique d’attraction du Soleil », explique Boldyrev. « Leur destin est donc de rebondir d’avant en arrière, créant une grande population d’électrons « piégés » ». Pour tester leur théorie, Boldyrev et son équipe ont donc reconstitué ce va-et-vient d’électrons à l’aide d’une machine à miroir, un équipement couramment utilisé pour l’étude des plasmas.
Aussi connus sous le nom de miroirs magnétiques ou de pièges magnétiques, ces dispositifs sont constitués de longs tubes à flux magnétique divergeant radialement, avec un col de bouteille à chaque extrémité. Leur nature réfléchissante résulte de la tendance des particules chargées à rebondir en arrière depuis la région où le champ est fort. Une série d’électroaimants créent un champ magnétique de plus en plus dense vers chaque extrémité ; les particules approchant de ces goulots d’étranglement subissent ainsi une force croissante qui inverse leur direction et les renvoie vers leur zone de confinement initiale.
Mais cet effet miroir ne se produit que pour les particules d’une certaine gamme de vitesses et d’angles d’approche. « Certaines particules peuvent s’échapper, et lorsqu’elles le font, elles se propagent le long des lignes de champ magnétique en expansion à l’extérieur de la bouteille », explique Boldyrev. Un modèle qui s’applique totalement au vent solaire. L’objectif est donc ici d’examiner les différences entre les particules piégées et celles qui s’échappent, afin de comprendre comment la température des électrons qui fuient diminue en dehors de cette ouverture.
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Il s’avère que les électrons qui s’échappent sont capables de distribuer lentement leur énergie thermique aux électrons qui sont piégés. Ce qui vient expliquer la température « trop » élevée mesurée dans le vent solaire : « Dans le vent solaire, les électrons chauds affluent du soleil vers de très grandes distances, perdant au passage leur énergie très lentement et la distribuant à la population d’électrons piégés », explique Boldyrev. Leurs résultats concordent très bien avec les mesures de température réalisées au niveau du vent solaire et expliquent pourquoi la température des électrons diminue si lentement avec la distance.
Boldyrev et ses collègues soulignent enfin qu’une telle adéquation entre les résultats obtenus via le miroir magnétique et les observations spatiales suggère que d’autres phénomènes solaires pourraient être étudiés, et même découverts, de la même façon.