Nouvelle expérimentation dans le traitement du COVID-19 : des médecins de New York sont en train de tester l’efficacité d’un médicament courant contre les brûlures d’estomac. Le nouveau coronavirus semble en effet répondre favorablement à la famotidine, un antihistaminique qui inhibe la production d’acide gastrique. Le composé serait capable de stopper la réplication du SARS-CoV-2.
Le 7 avril, des patients atteints du COVID-19 du réseau Northwell Health, qui gère 23 hôpitaux dans la région de New York, ont commencé à recevoir de la famotidine par voie intraveineuse (à des doses neuf fois plus élevées que celles administrées dans le cas de brûlures gastriques). Cet essai était jusqu’à présent resté secret, ses responsables craignant une pénurie rapide du médicament utilisé : « Si nous en avions parlé aux mauvaises personnes ou trop tôt, l’approvisionnement en médicaments aurait pu disparaître », explique Kevin Tracey, ancien neurochirurgien, vice-président exécutif de la section Recherche de Northwell Health.
Son mode d’action : bloquer la réplication du virus
Comment ce médicament agit-il sur le virus ? Des rapports en provenance de Chine et des résultats de modélisation moléculaire suggèrent qu’il semble se lier à une enzyme clé du virus, essentielle à sa réplication. Kevin Tracey reste toutefois prudent et préfère ne pas crier victoire trop vite, du moins, pas avant de connaître les résultats des quelque 400 premiers patients traités. Ceux-ci devraient être connus dans quelques semaines. Cet essai vise les patients en état critique, dont beaucoup nécessitent une ventilation artificielle ; près de 1200 personnes devraient bénéficier de ce traitement dans le cadre de l’expérimentation. À noter que les malades du COVID-19 touchés par une dysfonction rénale sont d’office exclus du test, car des doses élevées de famotidine peuvent provoquer des problèmes cardiaques chez ce type de patients.
Pourquoi la famotidine ? L’idée provient de Michael Callahan, spécialiste des maladies infectieuses au Massachusetts General Hospital. Présent en Chine dès le début de la pandémie, il a pu suivre de près les tests et les avancées de ses collègues chinois. Très vite, ils ont réalisé que le virus tuait surtout les personnes de plus de 80 ans et souffrant de maladies chroniques, telles que l’hypertension ou la BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive). Cependant, parallèlement, ils ont observé que les paysans âgés considérés comme « pauvres » survivaient davantage au virus.
En examinant le dossier de ces survivants, les médecins ont remarqué que nombre d’entre eux souffraient de brûlures d’estomac chroniques et prenaient de la famotidine (nom commercial : Pepcid) pour soulager leurs douleurs. À noter qu’il existe un autre remède, l’oméprazole (commercialisé sous le nom de Prilosec), mais il est plus cher et n’est ainsi utilisé que par les Chinois les plus aisés. Or, le taux de mortalité des patients hospitalisés pour COVID-19 qui étaient aussi sous famotidine était d’environ 14%, contre 27% pour ceux qui ne prenaient pas de médicament.
À son retour de Wuhan, Callahan a donc entrepris de creuser cette piste. Il a notamment contacté Robert Malone, des laboratoires Alchem, qui s’intéressait de son côté à une enzyme virale appelée protéase, qui participe à la réplication du pathogène. L’idée était de vérifier si la famotidine pouvait se lier à cette enzyme ; le cas échéant, il y avait peut-être un moyen de bloquer la réplication. Pour ce faire, Malone a fait appel à Joshua Pottel, informaticien chimiste et président de Molecular Forecaster, afin de modéliser une structure 3D de ladite protéine (à partir de deux structures cristallines de la protéase du coronavirus liée au SRAS de 2003, combinées à la séquence ARN du SARS-CoV-2).
Parmi les multiples combinaisons testées (au total, Pottel a testé l’interaction de 2600 composés différents avec la nouvelle protéase), la famotidine s’est révélée être un bon candidat. Fort de ce constat et s’appuyant sur les statistiques chinoises, Callahan a finalement contacté Kevin Tracey afin de mettre en œuvre une étude clinique randomisée – avec l’approbation de la Food and Drug Administration. Mi-avril, la US Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) a accordé à Alchem un contrat de 20.7 millions de dollars pour l’essai.
Des patients guéris, mais une efficacité non garantie à ce jour
Malheureusement, obtenir ne serait-ce que la moitié de la famotidine nécessaire dans des flacons stériles a pris des semaines, car la version injectable n’est pas couramment utilisée. Initialement, le protocole de l’étude visait uniquement à évaluer l’efficacité de la famotidine. Cependant, de par l’engouement du président américain pour l’hydroxychloroquine, celle-ci est rapidement devenue « la norme » de soins pour les patients atteints du COVID-19. Pour recruter un nombre suffisant d’individus, les chercheurs n’ont finalement eu d’autre choix que de tester l’efficacité du duo famotidine + hydroxychloroquine.
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Certaines preuves anecdotiques ont par ailleurs encouragé les chercheurs de Northwell. Après s’être entretenu avec Tracey, David Tuveson, directeur du Cold Spring Harbor Laboratory Cancer Center, a recommandé la famotidine à sa sœur de 44 ans, ingénieure aux hôpitaux de New York. Testée positive au COVID-19, elle avait développé une forte fièvre et ses lèvres étaient devenues bleues, une caractéristique du manque d’oxygène. Après avoir pris sa première (forte) dose de famotidine, sa fièvre a immédiatement baissé et sa saturation en oxygène est revenue à la normale. Selon Tuveson, cinq autres malades, dont trois cas de COVID-19 confirmés, auraient également montré des améliorations spectaculaires après avoir pris des formules en vente libre du médicament.
Ayant eu vent de ces résultats, Timothy Wang, chef de la gastro-entérologie au Columbia University Medical Center, a repéré d’autres indices de l’efficacité potentielle de la famotidine dans l’analyse rétrospective des dossiers de 1620 malades du COVID-19 hospitalisés. Il a donc fait part de ses observations à Tracey et Callahan, et tous trois ont résumé leurs résultats dans un article en cours de révision pour la revue Annals of Internal Medicine.
Les trois chercheurs soulignent cependant que rien n’est acquis et que le véritable test est en cours : « Nous ne savons toujours pas si cela fonctionnera ou non », prévient Tracey. Ce dernier a également conseillé aux gens de ne pas aller à la pharmacie en quête de ce médicament, car rien ne garantit son efficacité pour le moment.