Nous savons que les cas les plus graves de SARS-CoV-2 concernent majoritairement les personnes âgées ou souffrant d’une maladie chronique. Très rapidement, nous nous sommes également aperçus que les victimes étaient majoritairement de sexe masculin. Une récente étude vient expliquer cette tendance : les hommes sont plus à risque de développer une forme grave du COVID-19 que les femmes, à cause d’une enzyme particulière présente dans nos poumons. Or, certains traitements courants tendent à augmenter les taux de cette enzyme…
Cette enzyme n’est autre que l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (notée ACE2), désormais bien connue car c’est elle qui permet au virus de se fixer aux cellules humaines. Présente dans plusieurs organes, sa concentration dans l’appareil pulmonaire de l’homme est beaucoup plus élevée que chez les femmes, ce qui pourrait rendre ces messieurs plus vulnérables. C’est ce que rapporte une étude néerlandaise, dont les résultats viennent d’être publiés dans l’European Heart Journal.
Une prévalence masculine dans plusieurs pays
Depuis le début de la pandémie, plusieurs études ont souligné que les hommes semblaient mourir davantage du COVID-19 que les femmes. Ainsi, en Chine, en Italie, en France, en Allemagne, en Iran et en Corée du Sud, les hommes touchés par le virus étaient en moyenne 50% plus susceptibles de mourir de l’infection que les femmes. En outre, un rapport hebdomadaire de l’OMS (daté du 27 avril au 3 mai) précise que les hommes représentent 60% des décès liés au coronavirus en Europe occidentale. À noter que lors de la précédente épidémie de SARS-CoV en 2003, les hommes avaient également une mortalité plus élevée que les femmes (21,9% contre 13,2%).
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer le phénomène : un tabagisme généralement plus important, une hygiène moins soutenue (lavage de mains), plus de maladies préexistantes sous-jacentes (hypertension, diabète). Le tabagisme est en effet un facteur de risque prépondérant, car il engendre diverses pathologies respiratoires. Or, 50% des hommes chinois fument, contre seulement 3% des Chinoises ; en Italie : 7 millions de fumeurs contre 4,5 millions de fumeuses. En Italie, les hommes représentent 70% des patients décédés du COVID-19, principalement des hommes âgés.
Autre suspecte : l’enzyme ACE2. On la trouve sur la face externe des membranes des cellules dans les poumons, mais aussi dans le cœur, les reins, les tissus tapissant les vaisseaux sanguins et dans les testicules. Elle joue un rôle majeur dans la régulation de l’homéostasie hydrosodée (l’équilibre entre le sodium et l’eau) et de la pression artérielle. Elle est donc indispensable à l’organisme. Mais cette enzyme est aussi un récepteur fonctionnel des coronavirus, y compris celui à l’origine du COVID-19, et leur permet d’infecter plus facilement les cellules saines.
Parce qu’elle est présente à taux élevé dans les poumons, il est fort probable qu’elle joue un rôle crucial dans la progression des troubles pulmonaires liés au COVID-19, explique Adriaan Voors, professeur de cardiologie au Centre médical universitaire de Groningen (Pays-Bas) et co-auteur de l’étude. Par ailleurs, en comparant les taux d’ACE2 des deux sexes, les chercheurs se sont vite aperçus que ce taux était beaucoup plus élevé chez l’homme. Cela pouvait potentiellement expliquer pourquoi les taux de mortalité liés au COVID-19 chez l’homme sont plus élevés que chez la femme.
Les traitements de l’insuffisance cardiaque mis hors de cause
Par ailleurs, des rapports récents suggèrent un lien entre la mortalité due au COVID-19 et l’utilisation d’inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), un important système de régulation des fonctions cardiovasculaires et pulmonaires. À savoir que le blocage de ce système permet de traiter certaines pathologies cardiaques ou rénales. Ainsi, les inhibiteurs du SRAA sont couramment utilisés pour soigner l’hypertension artérielle par exemple, mais aussi l’insuffisance cardiaque. Ils sont toutefois suspectés d’augmenter les concentrations plasmatiques d’ACE2. L’équipe du Centre médical universitaire de Groningen a donc souhaité vérifier cette hypothèse.
Pour ce faire, les chercheurs ont mesuré les concentrations d’ACE2 chez 1485 hommes et 537 femmes issus de 11 pays européens, souffrant d’insuffisance cardiaque (cohorte de test). Les résultats ont ensuite été validés via un second groupe, constitué de 1123 hommes et 575 femmes (cohorte de validation). L’âge médian du premier groupe était de 69 ans pour les hommes et de 75 ans pour les femmes. Dans le second groupe, il était de 74 et 76 ans respectivement. Aucun des participants n’a été infecté par le COVID-19.
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Dans les deux cohortes, les individus de sexe masculin affichaient les concentrations plasmatiques moyennes d’ACE2 les plus élevées : 5,46 chez les hommes, contre 5,16 chez les femmes dans la cohorte de validation. En revanche, l’utilisation d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE) ou d’un bloqueur du récepteur de l’angiotensine (noté ARB) n’était pas associée à des concentrations plus élevées d’ACE2 dans le sang. Au contraire, dans la cohorte de validation, ces substances étaient même associées à des concentrations d’ACE2 plus faibles !
L’effet des ARM (antagonistes du récepteur minéralocorticoïde, utilisés dans le traitement de l’insuffisance cardiaque) sur les concentrations d’ACE2 n’est en revanche pas clair, car une faible augmentation des concentrations d’ACE2 observée dans la cohorte de validation n’a pas été détectée au préalable dans la cohorte de test.
En d’autres termes, le taux de mortalité est bien plus élevé chez les hommes que chez les femmes, mais rien à voir avec d’éventuels traitements inhibiteurs du SRAA. Les personnes qui suivent ce type de traitement peuvent se rassurer : « Nos résultats ne soutiennent pas l’arrêt de ces médicaments chez les patients COVID-19, comme cela a été suggéré par des rapports antérieurs », avertit Adrian Voors. « Ils sont un traitement très efficace de l’insuffisance cardiaque et les effets hypothétiques sur l’infection virale doivent être soigneusement pesés par rapport à leurs avantages prouvés ».
Ces résultats sont toutefois à prendre avec des pincettes. En effet, l’équipe a analysé les concentrations d’ACE2 dans le plasma, et non dans les tissus, notamment les tissus pulmonaires. De plus, l’étude ne peut fournir de preuves définitives sur les effets des inhibiteurs du SRAA chez les patients atteints de COVID-19. En effets, ses conclusions se limitent aux patients atteints d’insuffisance cardiaque non infectés. De ce fait, il est impossible d’établir un lien direct entre l’évolution de la maladie et les concentrations plasmatiques d’ACE2.