Selon une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Université de Stanford, un changement de régime est en train de se produire dans l’océan Arctique : la croissance du phytoplancton y a augmenté de 57% en seulement deux décennies, améliorant ainsi la capacité de l’océan Arctique à absorber le dioxyde de carbone.
Des scientifiques de l’Université de Stanford ont découvert un changement surprenant dans l’océan Arctique : une prolifération de phytoplancton (soit le plancton végétal, c’est-à-dire l’ensemble des organismes végétaux vivant en suspension dans l’eau). Dans ce cas précis, de minuscules algues (situées à la base d’un réseau trophique) ont considérablement modifié la capacité de l’Arctique à transformer le carbone atmosphérique en matière vivante. Au cours de la dernière décennie, cette augmentation subite a remplacé la fonte de glace de mer en tant que principal moteur des changements d’absorption de dioxyde de carbone par le phytoplancton.
L’auteur principal de l’étude, Kevin Arrigo, professeur à la Stanford’s School of Earth, Energy & Environmental Sciences, a déclaré que l’influence croissante de la biomasse de phytoplancton pourrait représenter un changement de régime important pour l’Arctique, une région qui se réchauffe plus rapidement que partout ailleurs sur Terre.
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Cette nouvelle étude se concentre principalement sur la production primaire nette (NPP), une mesure de la vitesse à laquelle les plantes et les algues convertissent la lumière du soleil et le dioxyde de carbone en sucres que d’autres créatures peuvent ensuite manger. « Les taux sont vraiment importants en matière de quantité de nourriture pour le reste de l’écosystème. C’est aussi important parce que c’est l’un des principaux moyens par lesquels le CO2 est extrait de l’atmosphère et dans l’océan », a déclaré Arrigo.
Une condensation du phytoplancton
Arrigo et ses collègues ont constaté que la NPP dans l’Arctique a augmenté de 57% entre 1998 et 2018. Il s’agit d’un bond sans précédent de la productivité pour tout un bassin océanique. Plus surprenante encore est la découverte que, bien que les augmentations des NPP aient été initialement liées au retrait de la glace de mer, cette productivité a continué d’augmenter, même après que la fonte ait ralenti vers 2009. « L’augmentation des NPP au cours de la dernière décennie est due presque exclusivement à une augmentation récente de la biomasse du phytoplancton », a déclaré Arrigo.
Autrement dit, ces algues microscopiques métabolisaient autrefois plus de carbone dans l’Arctique, simplement car elles investissaient plus d’eau libre au cours des saisons de croissance (qui étaient plus longues), en raison des changements climatiques de la couverture de glace. Mais à présent, ces algues sont de plus en plus concentrées. « Dans un volume d’eau donné, plus de phytoplancton a pu croître chaque année », a déclaré l’auteure principale de l’étude, Kate Lewis, qui a travaillé sur la recherche en tant que doctorante au Département des sciences du système terrestre de Stanford. « C’est la première fois que cela est signalé dans l’océan Arctique », a-t-elle ajouté.
De nouveaux approvisionnements alimentaires
Le phytoplancton a besoin de lumière et de nutriments pour se développer. Mais la disponibilité et le mélange de ces ingrédients dans toute la colonne d’eau dépendent de facteurs complexes. En conséquence, bien que les chercheurs aient observé des proliférations de phytoplancton se surmultiplier au cours de ces dernières décennies, ils ont également débattu de la durée de cette prolifération.
En assemblant un grand nombre de données quant à la couleur des océans et en construisant de nouveaux algorithmes pour estimer les concentrations de phytoplancton à partir de celles-ci, l’équipe de Stanford a découvert des preuves que l’augmentation continue de la production de phytoplancton pourrait ne plus être aussi limitée par la rareté des nutriments qu’on le pensait auparavant : « Nous en sommes encore aux premiers jours, mais il semble que maintenant, nous assistons à une augmentation de l’approvisionnement en nutriments », a déclaré Arrigo, professeur en sciences de la Terre à l’Université de Stanford.
Les chercheurs émettent l’hypothèse qu’un nouvel afflux de nutriments en provenance d’autres océans se propage dans les profondeurs de l’Arctique. « Nous savions que l’Arctique avait augmenté sa production au cours des dernières années, mais il semblait possible que le système recyclait simplement le même stock de nutriments », a déclaré Lewis. « Mais notre étude montre que ce n’est pas le cas. Le phytoplancton absorbe plus de carbone année après année, à mesure que de nouveaux nutriments pénètrent dans cet océan. C’était inattendu et cela a de gros impacts écologiques », a ajouté Lewis.
Comprendre l’Arctique
Les chercheurs ont pu extraire ces informations des mesures de la chlorophylle des pigments végétaux verts, prises par les capteurs satellites et durant des croisières de recherche. Cependant, en raison de l’interaction inhabituelle de la lumière, des couleurs et de la vie dans l’Arctique, ce travail a également nécessité de nouveaux algorithmes. « L’océan Arctique est l’endroit le plus difficile au monde pour effectuer de la télédétection par satellite. Les algorithmes qui fonctionnent partout ailleurs dans le monde, et qui regardent la couleur de l’océan pour juger de la quantité de phytoplancton, ne fonctionnent pas du tout dans l’Arctique », a expliqué Arrigo.
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Cette difficulté provient en partie d’un énorme volume d’eau de rivière couleur thé, qui transporte de la matière organique dissoute que les capteurs à distance confondent avec la chlorophylle. La complexité supplémentaire provient des manières inhabituelles dont le phytoplancton s’est adapté à la lumière extrêmement faible de l’Arctique. « Lorsque vous utilisez des algorithmes mondiaux de télédétection par satellite dans l’océan Arctique, vous vous retrouvez avec de graves erreurs dans vos estimations », a déclaré Lewis.
Pourtant, « ces données de télédétection sont essentielles pour comprendre les tendances à long terme à travers un bassin océanique dans l’un des environnements les plus extrêmes du monde, où une seule mesure directe de la NPP peut nécessiter 24 heures de travail (sans arrêt) par une équipe de scientifiques à bord d’un brise-glace », a déclaré Lewis.
Lewis a soigneusement préparé des ensembles de mesures de la couleur des océans et des NPP, puis a utilisé la base de données compilée pour créer des algorithmes adaptés aux conditions uniques de l’Arctique. Par ailleurs, la base de données et les algorithmes sont désormais disponibles pour un usage public.
Selon les chercheurs, ce travail aide à comprendre comment le changement climatique façonnera la productivité future de l’océan Arctique, l’approvisionnement alimentaire, et la capacité d’absorber le carbone. « Il y aura des gagnants et des perdants », a déclaré Arrigo. « Un Arctique plus productif signifie plus de nourriture pour de nombreux animaux. Mais de nombreux animaux qui se sont adaptés pour vivre dans un environnement polaire trouvent la vie plus difficile à mesure que la glace se retire », a ajouté Arrigo.
La croissance du phytoplancton peut également atteindre son apogée avec le reste du réseau trophique, car la glace fond plus tôt dans l’année. Ajoutez à cela la probabilité d’une augmentation du trafic maritime à mesure que les eaux arctiques s’ouvrent et le fait que l’Arctique est tout simplement trop petit pour absorber une grande partie des émissions mondiales de gaz à effet de serre. « Il absorbe beaucoup plus de carbone qu’il n’en absorbait auparavant, mais ce n’est pas quelque chose sur lequel nous allons pouvoir compter pour nous aider à sortir de notre problème climatique », a déclaré Arrigo.